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Pierre Boulez et l'Opéra

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Pierre Boulez entouré de Rolf Liebremann et de Patrice Chéreau. Photo : DR

Le texte ci-dessous a été écrit pour la plaquette de la remise des prix de l'Académie du Disque lyrique au Théâtre du Châtelet mercredi 24 juin 2015, qui rendait hommage à Pierre Boulez à travers sa discographie lyrique et son oeuvre vocale réunies en coffrets par ses trois éditeurs, Sony Classical ex-CBS, Erato/Warner et DG.

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Compositeur, chef d’orchestre, penseur, pédagogue, essayiste, organisateur, administrateur - avant et après l’Ircam et l’Ensemble Intercontemporain, il a travaillé sur deux réformes de l’Opéra de Paris qui n’aboutiront pas, à l’instar de la fameuse salle modulable de l’Opéra-Bastille qui devait servir de lieu expérimental pour une nouvelle approche de la création lyrique -, homme universel doué d’une intelligence aiguë et pragmatique, passionné de littérature, de poésie, de peinture, Pierre Boulez est l’un des artistes les plus marquants et les plus influents de notre temps. Né à Montbrison (Loire) voilà 90 ans le 26 mars 1925, il porte très haut les couleurs de la France artistique et musicale dans le monde, autant comme compositeur qu’en tant que chef d’orchestre. Il a en effet dirigé les fameux « big five » nord-américains, de l’Orchestre de Cleveland, que lui confia George Szell en 1967, au Philharmonique de New York, dont il a été dix ans le directeur musical après le départ de Leonard Bernstein, en passant par les Orchestres Symphonique de Chicago, dont il est l’invité privilégié, et Philharmonique de Los Angeles. En Europe, il a été le patron de l’Orchestre Symphonique de la BBC, et il est très souvent invité par les Orchestres Philharmonique de Berlin et de Vienne et de la Staatskapelle de Berlin, ainsi que des Orchestres National de France et de Paris.

Pierre Boulez et Jean-Louis Barrault en 1959, Théâtre de l'Odéon. Photo : (c) Lipnitzki / Roger Viollet

Côté opéra, s’il n’a lui-même jamais composé pour la scène lyrique qu’il a longtemps vouée aux gémonies avant d’espérer collaborer avec de grands écrivains comme Samuel Beckett, Jean Genet, Bernard-Marie Koltès et Heiner Müller, Boulez s’est plu à travailler avec les grands noms de la mise en scène, à commencer par Wieland Wagner avec qui il collabora une première fois dans Wozzeckde Berg à Hambourg, avant que ce petit-fils de Richard Wagner l’appelle une première fois en 1966 à Bayreuth pour diriger Parsifalà la suite du décès de Hans Knapperbusch au mois d’octobre de l’année précédente. Il dirigera ce même Parsifaljusqu’en 1970. Avec Wieland Wagner, il avait également prévu une nouvelle production de Salomé… Mais la mort prématurée de ce dernier en octobre 1966 stoppa net leurs nombreux projets communs. Début 1967, il dirige à Osaka son unique Tristan et Isolde, dans la célèbre mise en scène de Wieland Wagner. 

Pierre Boulez et Wieland Wagner travaillant sur la partition de Parsifal de Richard Wagner à Bayreuth en 1966. Photo : DR

Mais le décès du metteur en scène en octobre 1966 met un terme à cette première période lyrique. En 1976, Wolfgang Wagner le rappelle à Bayreuth pour diriger le Ring du centenaire. C’est lui qui recommande à Bayreuth pour l’occasion le jeune Patrice Chéreau. A eux deux, avec cette production en constante évolution jusqu’à son ultime reprise de l’été 1980, ils vont révolutionner la scène lyrique mondiale jusqu’à aujourd’hui. En 1979, Rolf Liebermann offre aux deux hommes la création à l’Opéra de Paris de l’intégrale en trois actes de Lulu d’Alban Berg, qui avait laissé à sa mort l’acte final incomplet. C’est d’ailleurs avec le chef-d’œuvre du même Berg, Wozzeck, que Boulez avait fait ses débuts en 1963 dans une fosse d’orchestre, tandis que son protecteur Jean-Louis Barrault faisait lui aussi dans cette même production ses premiers pas dans la mise en scène lyrique, à l’Opéra de Paris sur l’invitation de Georges Auric, son directeur d’alors, qui les appellera de nouveau en 1966 pour une reprise de cette production. Il retrouvera Patrice Chéreau en 2007 dans De la maison des morts de Janacek qui se révèlera être son ultime spectacle lyrique. 

Pélléas et Mélidande de Claude Debussy dans la production de l'Opéra de Cardiff dirigée par Pierre Boiulez et mise en scène par Peter Stein. Photo : DR

Auparavant, il dirige Pelléas et Mélisande au Covent Garden de Londres en 1969, ouvrage qu’il retrouve en 1992 avec la complicité de Peter Stein dans une production donnée à Cardiff et à Paris, Théâtre du Châtelet, où il avait dirigé Huit chants pour un roi fou de Peter Maxwell Davies en 1984. En 1995, il dirige Moïse et Aron de Schönberg à Amsterdam avec de nouveau Peter Stein, le Château de Barbe-Bleue de Bartók mis en scène par Pina Bausch au Festival d’Aix-en-Provence 1998 qui lui offre également le triptyque Pierrot lunaire de Schönberg / Tréteaux de Maître Pierre de Falla / Renard de Stravinski mis en scène par Klaus Michael Gruber en 2006. En 2004 et 2005, Boulez fait ses dernières apparitions dans la fosse mystique de Bayreuth dans Parsifal dans une mise en scène malheureusement trash de Christoph Schlingensief.

De la maison des morts de Leos Janacek dans la production du Festival d'Aix-en-Provence dirigée par Pierre Boulez et mise en scène par Patrice Chéreau. Photo : (c) Festival d'Aix-en-Provence

Dans sa propre création, la voix, qu’elle soit pour soliste(s) et ensemble ou pour chœur avec ou sans ensemble instrumental, occupe une place capitale, avec des œuvres comme Visage nuptial, le Soleil des eaux, le Marteau sans maître, Pli selon pli, Über das, über ein verschwinden et Cummings ist der Dichter, mais elle est toujours traitée tel un instrument de musique comme un autre, le compositeur s’arrangeant toujours pour que le texte se fasse musique au risque d’être inintelligible, malgré un choix drastique de poètes, puisqu’il s’agit rien moins que de Stéphane Mallarmé, René Char ou EE Cummings.

Toutes ces œuvres et la majorité de ces productions lyriques ont été heureusement sauvegardées par le disque, certaines par le DVD, par les labels Sony, DG et Erato. Ces trois éditeurs ont réuni leurs enregistrements en trois gros coffrets à l’occasion du quatre-vingt-dixième anniversaire de Pierre Boulez, l’un des chefs d’orchestres les plus enregistrés de l’histoire du disque.

Bruno Serrou

Une Dame de pique de Tchaïkovski scéniquement esthétisante et d’une tension musicale extrême

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Strasbourg, Opéra du Rhin, mardi 16 juin 2015

Piotr I. Tchaïkovski (1840-1893, la Dame de PiqueMisha Didyk (Hermann), Tatiana Monogarova (Lisa). Photo : (c) Clara Beck

Avec Eugène Onéguine, autre opéra inspiré de Pouchkine, tout comme le moins couru Mazeppa, la Dame de Pique est l’opéra le plus célèbre de Tchaïkovski. Créé en 1890, ce dernier ouvrage fourmille de particularités de l’écriture du compositeur russe, avec son ouverture aux tensions dignes de ses deux dernières symphonies et l’hommage à la grâce de Mozart et aux Lumières françaises via la grande aria nostalgique venue du Richard Cœur de Lion de Grétry chantée par la vieille Comtesse alors qu’elle se souvient de sa splendeur du temps ou les modes venaient de France et de la cour de Louis XV qu’elle fréquentait dans sa jeunesse alors que tout ce qui était russe n’était que prosaïsme au sein de la Cour impériale de Saint-Pétersbourg. 

Piotr I. Tchaïkovski (1840-1893, la Dame de PiqueMisha Didyk (Hermann), Tatiana Monogarova (Lisa). Photo : (c) Clara Beck

Dans cet opéra, où le fantastique et le surnaturel côtoient les passions, celles de l’amour et celles du jeu, la porte est grande ouverte aux excès de toute sorte, et il est facile de focaliser une mise en scène sur la psychanalyse et la folie. Si, dans la nouvelle production venue de Zurich présentée par l’Opéra du Rhin, Robert Carsen évoque bel et bien la folie, le metteur en scène canadien n’insiste pas sur l’aspect psychanalytique, quoiqu’enfermé entre des murs tarotés qui se resserrent ou vont s’élargissant selon les sentiments évoqués - le moment le plus saisssant est le deuxième tableau de l’acte 3, moment où Lisa tourne en rond à la périphérie d’un rai de lumière sous l’emprise du doute -, sa conception s’avérant respectueuse d’un livret pris peut-être un peu trop au pied de la lettre. 

Piotr I. Tchaïkovski (1840-1893, la Dame de PiqueMalgorzata Walewska (la Comtesse). Photo : (c) Clara Beck

C’est depuis la fosse que le drame dans toute sa force. Le chef slovène Marko Letonja, qui nous avait enthousiasmés en plusieurs occasions dans ce même théâtre (la Walkyrie en 2008, le Crépuscule des dieux en 2011, le Son lointain en 2012, le Vaisseau fantôme en 2014) donne de la partition une lecture noire aux tensions parfois exacerbées. L’extrême présence qu’il offre aux basses donne un relief saisissant à cette œuvre qu’il tire vers l’atmosphère tragiquement tendue des Cinquièmeet Sixième symphonies« Pathétique ». Sous sa direction, l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg s’avère toujours plus homogène, virtuose et étincelant, répondant aux sollicitations extrêmement contrastées de son directeur musical avec une précision et une vigueur à laquelle la formation ne nous avait pas toujours habitués. 

Piotr I. Tchaïkovski (1840-1893, la Dame de Pique. Misha Didyk (Hermann). Photo : (c) Clara Beck

Sur le plateau, pas moindre faille, y compris parmi les plus petits rôles. Misha Didyk, qui a gagné en maturité vocale depuis son Trouvèrede Bruxelles en 2012, est un Hermann halluciné, Tatiana Monogarova une Lisa captivante, autant par sa vocalité que par son engagement théâtral, Malgorzata Walewska, loin des cantatrices vocalement en ruine à qui ce rôle est trop souvent dévolu, est une émouvante Comtesse, tandis qu’Eve-Maud Hubeaux (Pauline) fond le séduisant alliage de sa voix dans celui de Monogarova dans leur duo du deuxième tableau du premier acte. Les sept rôles secondaires sont tout aussi bien tenus, à l’instar du Chœur de l’Opéra du Rhin, impressionnant.

Bruno Serrou

L’original de ce compte-rendu est paru dans le quotidien La Croix du vendredi 19 juin 2015

Toulouse, Turandot en cheffe d’entreprise refoulée et perruque blonde

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Toulouse, Théâtre du Capitole, vendredi 19 juin 2015

Giacomo Puccini (1858-1924), Turandot. Alfred Kim (Calaf), Elisabete Matos (Turandot). Photo : (c) Patrice Nin

Ultime opéra de Giacomo Puccini (1858-1924), qui n’a pu parvenir au terme de sa genèse la mort l’emportant avant qu’il entreprenne le duo final entre la princesse Turandot et son soupirant Calaf, Turandot est l’un des chefs-d’œuvre de l’opéra du XXe siècle. Loin de l’esprit tréteaux de l’opéra que Ferruccio Busoni (1866-1924) adapta lui aussi de Carlo Gozzi, en 1917, celui de Puccini est un drame violent qui plonge dans l’exotisme d’une Chine médiévale réputée particulièrement sanguinaire.

Giacomo Puccini (1858-1924), Turandot. Paul Kaufmann (Pong), Alfred Kim (Calaf), Gezim Myshketa (Ping), Gregory Bonfatti (Pang). Photo : (c) Patrice Nin

La  plongée trash de Calixto Bieito dans l’enfer d’une usine chinoise jure avec la conception du chef d’orchestre Stefan Solyom qui offre une interprétation en tout point réussie. Ce qu’en offre à voir le metteur en scène catalan dans cette coproduction du Capitole de Toulouse et des Opéras de Nuremberg et de Belfast annihile tout imaginaire. Bieito entend de toute évidence décontenancer le chaland. Or, à trop vouloir rompre avec les intentions du compositeur et de ses librettistes, il sombre plus encore dans le poncif, et prête davantage à sourire qu’à choquer le spectateur qui en a trop vu de semblables par ailleurs. 

Giacomo Puccini (1858-1924), Turandot. Elisabete Matos (Turandot). Photo : (c) Patrice Nin

Quant aux autres, ils ne peuvent que déplorer leur incompréhension : « Je n’avais pas vu Turandot depuis longtemps, et je ne me souvenais plus précisément de l’action, avouait consternée une femme à une amie à l’issue de la première. Je n’ai strictement rien compris. » Se déroulant au milieu de racks de stockage de cartons de poupées, cette production fait de Turandot, coiffée d’une perruque blonde façon cheffe de parti d’extrême droite française mais que l’on découvrira chauve durant une crise de rage, une harpie PDG d’une usine pékinoise travaillant pour l’Occident qui maltraite aussi bien ses ouvriers que son propre père Altoum, vieillard en phase terminale d’une maladie incurable qui rampe continuellement en couche-culotte souillée, tandis que Calaf est un syndicaliste rebelle à la tyrannie de sa patronne dont il tombe amoureux, que les ministres Ping, Pang, Pong sont des gardes chiourmes sans humour et que Liù pleure sur des poupées avant de se donner la mort. 

Giacomo Puccini (1858-1924), Turandot. Dong-Hwan Lee (un Mandarin), Eri Nakamura (Liu), Alfred Kim (Calaf). Photo : (c) Patrice Nin

Cette conception inutilement iconoclaste n’a que l’avantage d’offrir une continuité musicale, parce que sans entracte, et une seule bonne idée, le précipité d’une minute entre le dernier tableau, de la main de Puccini, et le finale, réalisé par Franco Alfano...

Giacomo Puccini (1858-1924), TurandotElisabete Matos (Turandot), Alfred Kim (Calaf). Photo : (c) Patrice Nin

Mais tout n’est pas de la même veine, heureusement. Car, de la fosse émane sans faillir l’essence-même de Turandot. Cela grâce au jeune compositeur chef suédois Stefan Solyom, dont l’énergie et l’engagement exaltent avec sagacité les subtilités et les grandes envolées de la partition, suivi avec maestria par un Orchestre du Capitole aux sonorités de braise. Abstraction faite de la Turandot criarde de la soprano portugaise Elisabete Matos, la distribution convainc, sous la houlette du ténor coréen Alfred Kim, Calaf sûr et ardent, de la soprano japonaise Eri Nakamura, Liù étincelante, de la basse coréenne In Sung Sim en Timur, et, surtout, du chœur du Théâtre du Capitole, puissant et homogène.

Bruno Serrou

Maria Stuarda de Donizetti : quand le bel canto s’impose dans unedramaturgie désinvolte de Leiser et Caurier

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Paris, Théâtre des Champs-Elysées, mardi 23 juin 2015

Gaetano Donizetti (1797-1848), Maria Stuarda. Francesco Demuro (Roberto Dudley), Carmen Giannattasio (Elizabeth), Aleksandra Kurzak (Marie Stuart). Photo : (c) Vincent Pontet

Cinquantième des soixante-cinq opéras de Gaetano Donizetti (1797-1848), deuxième volet de la trilogie dite des « reines anglaises », placé entre Anna Bolena (1830) et Roberto Devereux(1837), Maria Stuarda (1835), même s’il n’est pas le plus inspiré, est l’un des plus représentatifs de l’art du bel canto du compositeur italien. Ses deux grands moments se situent au second tableau du premier acte, dans la confrontation entre les deux reines, l’Anglaise anglicane Elisabeth d’Angleterre et l’Ecossaise catholique Marie Stuart, et, dans le tableau final, celui des derniers instants de l’héroïne alors qu’elle s’apprête à mourir la tête tranchée par la hache d’un bourreau à la suite d’un funeste décret vengeur signé par Elisabeth Tudor.

Gaetano Donizetti (1797-1848), Maria Stuarda. Carmen Giannattasio (Elizabeth), Carlo Colombara (Talbot). Photo : (c) Vincent Pontet

Adaptée du drame Maria Stuart (1800) de Friedrich von Schiller (1759-1805) par un certain Giuseppe Bardari alors âgé de 17 ans, l’action de l’opéra de Donizetti qui se déroule en 1587 est plus défavorable à Elizabeth Ière que l’original, la pièce se terminant sur les remords de la reine Tudor tandis que l’opéra se termine sur le pardon de la reine d’Ecosse pour sa meurtrière. Composé pour l’Opéra de Naples, où il devait être créé à l’automne 1834, l’ouvrage s’attira les foudres de la censure napolitaine, qui, inquiète des révolutions qui agitaient alors l’Europe, prit ombrage du tableau où Marie Stuart traite Elisabeth Ière de bâtarde, tandis qu’à la fin de l’opéra est exécutée la reine d’Ecosse, ancêtre de la reine de Naples, Maria-Cristina, épouse du roi Ferdinando de Savoie. En outre, la générale fut le cadre d’un pugilat entre les deux prime donne, qui en vinrent aux mains dans la scène de confrontation entre les deux reines, l’une d’elles devant être évacuée après s’être évanouie. Il sera finalement donné en octobre 1834 sous le titre Buondelmonte. Donizetti doit attendre le 30 décembre 1835 pour voir son opéra présenté sur la scène de la Scala de Milan sous son titre original, avec la fameuse Maria Malibran dans le rôle-titre. L’accueil est pourtant mitigé, en raison notamment de défaillances de la diva le soir de la première, tandis que la censure intervient une fois encore pour interdire l’opéra après la sixième représentation.

Gaetano Donizetti (1797-1848), Maria StuardaCarmen Giannattasio (Elizabeth), Francesco Demuro (Roberto Dudley), Aleksandra Kurzak (Marie Stuart), Carlo Colombara (Talbot). Photo : (c) Vincent Pontet

Pour cet opéra assez rare sur les scènes lyriques françaises, le Théâtre des Champs-Elysées s’est associé au Royal Opera House Covent Garden de Londres, au Gran Teatre del Liceu de Barcelone et à l’Opéra National de Pologne pour une production nouvelle confiée au binôme franco-belge Moshe Leiser / Patrice Caurier, qui, convenons-en sans attendre, nous avait habitués à beaucoup mieux… Peut-être eux-mêmes conscients de leur défaillance, ils ont préféré s’abstenir de leur présence à Paris, confiant l’adaptation de leur travail à la scène parisienne à l’un de leurs collaborateurs, le Marseillais Gilles Rico. Commençant en flash-back par la scène de la décolation par un bourreau pourvu d'une hache, mélangeant costumes contemporains (hommes, choristes) et robes Renaissance (reines, confidentes), dans un décor à peine digne du mobilier Ikea (la prison), tandis que la direction d’acteur est réduite aux acquêts. Malgré le relâchement de cette mise en scène, mais avivée par la conviction et l’ardeur du chef italien Daniele Callegari, la distribution donne à l’ouvrage de Donizetti toute son authenticité musicale et psychologique. 

Gaetano Donizetti (1797-1848), Maria StuardaAleksandra Kurzak (Marie Stuart). Photo : (c) Vincent Pontet

Après un premier acte sans conviction, Aleksandra Kurzak entre peu à peu dans son personnage pour camper finalement une Marie Stuart touchante à la voix toute en nuances, souple et polychrome, ce qui lui permet d’offrir un acte final bouleversant. Soprano solide et ample, Carmen Giannattasio brosse une Elizabeth ferme et déterminée, tout en laissant transparaître sa fragilité intérieure. Autour de deux héroïnes, Francesco Demuro est un Robert Dudley bien chantant, Carlo Colombara un honorable Talbot, tandis que Christian Helmer s’impose en Cecil et Sophie Pondjiclis brille en Anna Kennedy.

Bruno Serrou

Juventus de Cambrai intronise Félix Dervaux, jeune géant du cor enfant du pays né la même année que le festival

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Festival Juventus, Cambrai, Théâtre municipal, jeudi 2 juillet 2015

Félix Dervaux (né en 1990), lauréat Juventus 2015. Photo : (c) Festival Juventus

Cent-six lauréats Juventus en un quart de siècle d’existence. Tel est le nombre de jeunes musiciens qui forment désormais ce qui est plus qu’une amicale, une élite européenne d’interprètes qui accomplissent la plus belle des carrières de solistes et de chambristes.

La première promotion Juventus a compté en ses rangs Xavier Phillips et Alexandre Tharaud, puis, en 1992, Marc Coppey et Andreas Scholl. L’année suivante, François Leleux et Emmanuel Pahud les rejoignaient... Chaque année, des jeunes interprètes sont invités à rejoindre Juventus sous la proposition de leurs pairs, qui les accueillent, les parrainent et participent à leur premier concert à Cambrai. Les musiciens s’y retrouvent une semaine avant le début du festival pour y préparer des programmes variés et contrastés, avec plusieurs effectifs possibles dans le cadre d’un même concert, dont les programmes couvrent quatre siècles d’histoire de la musique.

Fondé en 1991 à Arc-et-Senan dans le Doubs par le Hongrois Georges Gara, par ailleurs chargé de la programmation musicale du Théâtre de la Ville à Paris, Juventus est implanté depuis dix-huit ans dans l’enceinte du théâtre et du conservatoire qui le jouxte, dans cette cité de Cambrai déjà marquée par la présence hongroise depuis huit cents ans, puisque sainte Elisabeth avait pris la place cambrésine sous sa protection en 1207. « Je rappelle n’être pour rien dans le choix des nouveaux membres du club Juventus, relève Gara. Ce sont les musiciens qui attirent mon attention sur leurs jeunes camarades et les choisissent de façon collégiale. Je ne fais qu’entériner leurs choix. » La famille s’élargit chaque année d’un petit nombre d’unités, pour atteindre cette année le chiffre respectable de cent-dix. A chacune des investitures, les impétrants sont officiellement intronisés dans un concert public en partie assuré par eux-mêmes et pour le reste en sonate ou en formation de chambre avec leurs parrains.

Georges Gara remettant le trophée Juventus 2015 à Félix Dervaux. Photo : (c) Bruno Serrou

Cette année pourtant, un seul lauréat, le cent-sixième. Et pas n’importe qui ; un virtuose de très grande classe, qui pourtant ne mesure pas son talent tant il est naturel. Il s’agit d’un jeune corniste français, Félix Dervaux, que les plus grands orchestres internationaux s’arrachent déjà, perpétuant ainsi la réputation des « souffleurs » français dans le monde. « La musique est pour moi une véritable philosophie, convient-il, et je ne peux pas m’en passer, même quand je ne joue pas. Quand je travaillais mes maths à la maison de l'école primaire jusqu'au baccalauréat, j’écoutais des disques ou France Musique, et quand je lis aussi. » Ses prédispositions de musicien sont si considérables qu’il est à 25 ans l’un des cornistes les plus demandés dans le monde. Il s’avère être également excellent pianiste, comme en a témoigné le bis qu’il a donné à l’issue de son concert d’investiture Juventus, le 2 juillet. Cet enfant du pays - il est né en 1990 à Cambrai, et a commencé le piano et la percussion à l’Ecole de musique de Caudry, avant d’entrer au conservatoire de Cambrai dans la classe de piano de Philippe Keller et d’y découvrir le cor par hasard grâce à Yves Polvent qui poussa un jour la porte de la salle de classe de piano (« S’il n’était pas passé… »).

C’est grâce à Juventus que Félix Dervaux a découvert la musique, le soir de l’ouverture de la première édition à Cambrai en juillet 1997 de ce festival hors normes né sept ans plus tôt dans le Doubs. Il avait lui aussi 7 ans. D’abord attiré par le piano, pour suivre l’exemple d’Alexandre Tharaud, qui l’avait ébloui ce soir-là, Felix Dervaux cherchait un autre instrument pour rejoindre l’harmonie municipale de Caudry, et le hasard a fait que c’est le professeur de cor qui passa la tête par la porte de la classe de piano à ce moment décisif. « Le cor m’est apparu facile, se souvient-il, et mon professeur était enthousiaste. Pourtant, le jeu n’est pas évident avant 14-15 ans. J’ai poursuivi mes études de piano jusqu’à 17 ans, pour finalement me consacrer entièrement au cor. Je viens néanmoins de m’acheter un Yamaha demi-queue, car le clavier me manquait terriblement. » Tout en entrant au lycée, il envisage de devenir musicien, et décide de suivre le cursus complet du Conservatoire de Cambrai en piano et cor, pour lequel il opte finalement, « le piano étant trop solitaire pour [lui] qui a besoin de jouer avec d’autres musiciens ». Préparé par Jean-Michel Vinit, il réussit le concours d’entrée au Conservatoire National Supérieur de Musique de Lyon, où il entre dans la classe de David Guerrier. « Il m’a apporté sa rigueur incroyable, tant son exigence est ahurissante. Je n’avais jamais imaginé qu’il y ait un tel niveau de quête de perfection. Au point que je me croyais mauvais. » Pendant ses études au Conservatoire de Lyon, ses qualités de musicien d’exception commencent à se répandre. Grâce à ERASMUS, programme européen pour l’éducation, la formation, la jeunesse et le sport, il se rend à Berlin pour se former auprès de ses aînés au sein de l’Orchestre Philharmonique de Berlin, où il ses dons ses capacités sont particulièrement appréciées. A la fin de son cursus du CNSMDL, il est reçu au concours de cor solo de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon en 2013. « L’opéra a une exigence différente de celle de musicien d’orchestre. Il faut être très souple, attentif, car cela bouge beaucoup, à l’opéra, ce qui aide à la dextérité, mais l’on est aussi caché du public, puisque l’on est dans une fosse. »

La même année 2013, Félix Dervaux remporte le Concours international de la ville de Porcia en Italie. Tout en travaillant à l’Opéra de Lyon, il se présente en 2014, sur les conseils de Fergus McWilliam, l’un de ses tuteurs durant son cursus à l’Académie du Philharmonique de Berlin au concours pour le poste de cor solo de l’Orchestre Royal du Concertgebouw d’Amsterdam. Ainsi, à 24 ans, il devient soliste de l’un des plus grands orchestres symphoniques du monde, où il se fait d’ores et déjà brillamment remarquer, comme je l’écrivais ici même le 21 février dernier (voirhttp://brunoserrou.blogspot.fr/2015/02/le-royal-concertgebouw-orchestra.html). « J’aime l’orchestre, il y a de si belles choses pour le cor solo. Je découvre ces parties avec infiniment de bonheur. Je veux tout faire dans ce répertoire, et le faire vraiment bien. Il n’est donc pas question pour moi d’envisager une carrière de soliste ni de chambriste à part entière. » Cet amour de l'orchestre pourrait très vite l'amener à l'Orchestre de Cleveland, où il a été appelé à postuler au poste actuellement vacant de cor solo...

Juventus 2015. Ernö Kallai (violon), Félix Dervaux (cor) et Katia Skanavi (piano). Photo : (c) Bruno Serrou

Pour son concert d’intronisation au sein de Juventus, donné devant une salle pleine à craquer, où les Cambraisiens se sont bousculés pour découvrir et entendre le premier enfant du pays à intégrer cette élite de musiciens, entourant sa famille, ses amis et ses premiers professeurs, à l’exception de ceux de piano à qui pourtant il avait tenu à réserver une surprise, Félix Dervaux aura ouvert et fermé le programme, précédé par une jeune fille de onze ans Alexandra Stychkina, avec qui Georges Gara, directeur du Festival, a voulu symboliser la pérennité de Juventus au-delà de cette vingt-cinquième édition. C’est sur une œuvre d’un compositeur allemand rarement joué en France, Josef Rheinberger (1839-1901), la Sonate pour cor et piano en mi bémol majeur op. 178, dont il n’a retenu que le Con Moto, que le jeune corniste cambrésien né en 1990 a lancé le programme, dialoguant avec allant et chaleur avec la pianiste russe Katia Skanavi, lauréate Juventus 1992. Conformément aux structures des concerts Juventus, celui de jeudi a présenté des œuvres aux formats variés, puisqu’entre deux prestations de Félix Dervaux ont été intercalés trois lieder d’Hugo Wolf (1860-1903), sur des poèmes de Goethe et d’Eduard Mörike et le cycle de mélodies de Francis Poulenc (1899-1963), Fiançailles pour rire sur six poèmes de Louise de Vilmorin. La voix de la soprano belge lauréate Juventus 1999 dont la voix lumineuse et le charme naturel ont magnifié les pages de Poulenc, tandis que son élan et sa simplicité ont servi à la perfection celles de Wolf, accompagnée avec conviction par la pianiste Barbara Moser, lauréate Juventus 1992, dont la présence s’est néanmoins avérée trop affirmée. Le morceau de roi était le sublime Trio pour piano, violon et cor en mi bémol majeur op. 40 de Johannes Brahms (1833-1897) auquel Félix Dervaux a restitué toute la poésie évocatrice qui le caractérise, particulièrement dans l’Adagio, instillant tendresse et chaleur à la mélancolie que d’autres cornistes peuvent rendre grise et prostrée, une énergie joyeuse dans l’air de chasse du finale d’où émergent des accents tendrement mélancoliques. Avec ses deux partenaires, le violoniste hongrois Ernö Kallai, lauréat 2011, et la pianiste Katia Skavani, il a donné à cette grande partition chambriste un tour judicieusement symphonique, alternant tutti richement contrastés et charnus, dialogues chaleureux et fusionnels, solos virtuoses et déliés, mettant également en relief les sublimes respirations des admirables mélodies brahmsiennes. Seule ombre légère à cette ardente interprétation, la chanterelle un peu rêche du violon.

Après avoir reçu son trophée Juventus des mains de la pianiste autrichienne Barbara Moser, c’est avec Brahms que Félix Dervaux a mis un terme au concert d’ouverture de Juventus 2015. Non pas au cor, comme la salle s’y attendait, mais au piano, avec une impressionnante interprétation de la Rhapsodie n° 2 en sol mineur op. 79/2à laquelle le corniste a donné toute l’ampleur et l’inexorable élan.

Bruno Serrou


Festival Juventus Cambrai 2015, jusqu’au 14 juillet 2015. www.music-juventus.fr

"Adriana Lecouvreur" de Cilèa clôt de façon mitigée l’ère Nicolas Joël à l’Opéra de Paris dans une production du Covent Garden de Londres

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Paris, Opéra National de Paris-Bastille, lundi 29 juin 2015


Malgré son renom, Adriana Lecouvreur de Francesco Cilèa (1866-1950) n’est pas l’opéra vériste le plus couru en France. C’est pourtant grâce à cet ouvrage que ce contemporain de Mascagni et de Leoncavallo, eux aussi reconnus pour un seul de leurs opéras, s’est maintenu. Inspiré du drame d’Eugène Scribe et Ernest Legouvé Adrienne Lecouvreur(1849), le livret d’Arturo Colautti est tiré d’un fait réel qui opposa la princesse de Bouillon et la célèbre tragédienne Adrienne Lecouvreur (1692-1730) admirée par Voltaire, dont elle fut l’une des interprètes favorites et avec qui elle entretint une relation amoureuse. Elle eut également une liaison plus suivie avec Maurice de Saxe (1696-1750), maréchal de France. Mais en 1730 sa santé vacilla, au point qu’elle s’évanouissait de plus en plus souvent pendant les représentations de la Comédie-Française dont elle était l’une des stars. C’est alors que le bruit courut de son empoisonnement par la duchesse de Bouillon, elle-même éprise du maréchal. Enterrée à la sauvette par des amis du maréchal de Saxe et de Voltaire, l’église excommuniant en ce temps-là les comédiens, le triste sort d’Adrienne Lecouvreur inspira à Voltaire ces vers qui sonnent aujourd’hui encore de funeste façon : « Et dans un champ profane on jette à l’aventure / De ce corps si chéri les restes immortels ! / Dieux ! Pourquoi mon pays n’est-il plus la patrie / Et de la gloire et des talents ? »

Francesco Cilèa (1866-1950), Adriana Lecouvreur. Production de David McVicar. Photo : (c) Vincent Pontet / Opéra national de Paris

C’est cette rivalité entre la duchesse et la tragédienne pour l’amour du maréchal, et la mort de la seconde après avoir inhalé les parfums mortels d’un bouquet de violettes empoisonné qui sont au centre de l’action de l’opéra de Cilèa. Créé au Teatro Lirico de Milan le 6 novembre 1902 par Angelica Pandolfini dans le rôle-titre, Enrico Caruso dans celui de Maurizio et Giuseppe De Luca en Michonnet, le régisseur du Théâtre Français secrètement épris de la tragédienne, l’ouvrage connut un rapide succès. Théâtre dans le théâtre, le livret est en effet efficace dramatiquement parlant, alternant vie réelle et théâtre à l’instar de Cavalleria rusticana de Mascagni, en dépit d’un texte plutôt kitsch. Ce dernier a inspiré néanmoins au compositeur une musique brillante et expressive mais d’une évidente facilité bien qu’évitant les accents trop larmoyants, avec des airs qui touchent et mettent en valeur les qualités vocales de ses interprètes, particulièrement de l’héroïne, tandis que l’orchestration est luxuriante.

Francesco Cilèa (1866-1950), Adriana Lecouvreur. Production de David McVicar. Photo : (c) Vincent Pontet / Opéra national de Paris

Pour le retour de cet ouvrage à l’Opéra de Paris vingt-deux ans après son apparition en 1993, Nicolas Joël, dont c’est l’ultime « nouveau » spectacle qu’il aura programmé pour le premier théâtre lyrique de France, a choisi de faire appel à une production élaborée voilà cinq ans par David McVicar pour la scène du Covent Garden de Londres, où elle a été captée pour le DVD, reprise au Liceu de Barcelone, à l’Opéra de Vienne et à celui de San Francisco. Le metteur en scène écossais nous a habitués à beaucoup plus inspiré (cf. son Ringà Strasbourg) que ce spectacle qui est aussi pour lui l’occasion de sa première prestation à l’Opéra de Paris. Sa direction d’acteur est étonnement figée, malgré l’écrin de lumières bien léchées d’Adam Silverman et les riches costumes XVIIIefort bien dessinés par Brigitte Reiffenstuel. Mais les somptueux décors de Charles Edwards qui plongent justement l’action dans l’artifice de la scène se perdent un peu sur le vaste plateau de l’Opéra Bastille. 

Francesco Cilèa (1866-1950), Adriana Lecouvreur. Adriana Lecouvreur et la Princesse de Bouillon. Production de David McVicar. Photo : (c) Vincent Pontet / Opéra national de Paris

Alternant dans le rôle-titre avec Angela Gheorghiu, pour qui la production a été conçue, Svetla Vassileva campe une Adriana Lecouvreur ardente et spontanée, ne forçant jamais ni le trait ni la voix pour mettre en avant une musicalité et une fraîcheur constantes, un timbre lumineux et charnel. Luciana d’Intino est une Princesse de Bouillon abjecte et haineuse à souhait rivalisant non seulement psychologiquement avec l’héroïne mais aussi vocalement, par sa puissance, ses colorations et son engagement. Entre elles deux, Marcelo Alvarez est un Maurizio solide et riche en nuances, sa voix rayonnant sans forcer. De sa voix ferme et bien timbrée, Alessandro Corbelli brosse un Michonnet à la fois touchant et enjoué. Wojtek Smilek est un Prince de Bouillon fort respectable, à l’instar de Raúl Giménez en Abbé de Choiseul, tandis qu’Alexandre Duhamel (Quinault) Carlo Bosi (Poisson), Mariangela Sicilia (Melle Jouvenot) et Carol Garcia (Melle Dangeville) complètent avec les honneurs cette distribution pour le moins homogène.

Francesco Cilèa (1866-1950), Adriana Lecouvreur. Luciana d'Intino (la Princesse de Bouillon), Marcelo Alvarez (Maurizio). Production de David McVicar. Photo : (c) Vincent Pontet / Opéra national de Paris

Sous la direction effilée et idiomatique de Daniel Oren, qui, en habitué de la fosse de Bastille et du répertoire italien, s’avère particulièrement attentif aux chanteurset joue d’un nuancier raffiné, l’Orchestre de l’Opéra de Paris alterne fougue et onirisme,mettant en évidence l’orchestration de Cilèa.

Bruno Serrou

CD : Arturo Benedetti Michelangeli, le magicien du perfectionnisme absolu (intégrale de ses enregistrements Warner)

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« J’ai toujours eu pour Arturo Benedetti Michelangeli une immense affection, et je crois que du point de vue esthétique et pianistique, il est le musicien dont je me sens le plus proche, me confiait Aldo Ciccolini en janvier 2001. Je sais que Michelangeli m’admirait, et j’ai appris assez récemment que lorsque j’ai été opéré à cœur ouvert en 1984, il a téléphoné chez moi, où je n’étais pas, c’est mon neveu qui lui a répondu, il était anxieux de ma santé. J’ai trouvé ce geste merveilleux, surtout de la part d’un homme que je n’avais vu qu’une fois à Bologne en 1949, où je faisais mes débuts après le Concours Long/Thibaud. Il a demandé le numéro de téléphone de la clinique, qu’il a appelée. C’était un homme extrêmement mélancolique, triste. Il avait peur de ne pas se plaire. Il était martyr du perfectionnisme à tout prix, et je m’insurge contre ceux qui disent qu’il était capricieux, qu’il annulait les concerts pour un oui ou pour un non. Je ne le fais pas parce que j’ai une autre mentalité, mais je le justifie amplement. »

Arturo Benedetti Michelangeli (1920-1995). Photo : DR

Arturo Benedetti Michelangeli était en effet à la fois d’une élégance extraordinaire, tant morale que musicale et technique, un perfectionniste jusqu’à l’outrance. Autant que pouvait l’être un Glenn Gould, et de façon à peine moins paralysante. Mécontent d’un piano ou de l’acoustique d’une salle, se méfiant du moindre courant d’air, il renonçait à se produire sous le prétexte de ne pas vouloir décevoir son public. Au point de posséder à titre personnel deux Steinway de concert, dont l’un était toujours plus ou moins en révision par ses propres soins, tandis qu’il jouait l'autre dans ses récitals. A l’instar des Ferrari, marque dont il était l’un des plus illustres clients et dont il se plaisait à démonter les moteurs dont il aimait l’exceptionnelle musicalité. Cette exigence pouvait lui couter cher. Preuve en est l’aventure dont j’ai été témoin à l’époque où je travaillais au Théâtre du Châtelet survenue dans les années 1980 au Japon. Alors qu’il était venu accompagné de l’un de ses instruments, il décida d’annuler un récital peu avant de commencer parce qu’il n’était satisfait ni de lui-même ni de la salle. Rentré en Italie, il attendit en vain le retour de son piano, que les organisateurs du concert japonais avaient bloqué à Tokyo en attendant qu’il rembourse son cachet qui lui avait été versé à son arrivée au Japon. Dans l’intervalle, il dut annuler ses récitals, dont celui du Châtelet… Mais cette exigence maladive a toujours été sa caractéristique. En 1948-1949, il interrompit sans crier gare une tournée aux Etats-Unis en raison de l’atmosphère de show business qui l’environnait, et il déclara à la presse : « Ils voulaient que j’agisse comme si j’étais au Cirque Barnum. » En 1986, à Zurich, il refusa d’aller au terme d’un récital en raison de l’air conditionné qui désaccordait son piano… Mais si le nombre de ses apparitions publiques est allé en décroissant, passant de plus d’une trentaine en 1947-1948 à cinq en 1992-1993 - il donna son dernier récital le 7 mai 1993, à Hambourg -, avec une moyenne d’une vingtaine de prestations par an, le pourcentage de ses annulations n’a cru en vérité qu’en raison du faible nombre de ses concerts annuels.

Arturo Benedetti Michelangeli (1920-1995). Photo : DR

Ses mains et ses bras immenses dont il jouait avec une grâce suprême étaient aussi à l’aise sur un clavier qu’aux commandes d’une Ferrari, marque dont il a porté les couleurs par trois fois au cours de la fameuse course sur les routes italiennes, les Mille Miglia. Une passion de la mécanique héritée de ses années de guerre passées aux commandes de chasseurs de l’armée de l’air italienne qui lui valurent d’être arrêté par les nazis, qui s’en prirent à ses mains et à ses bras qu’ils torturèrent lorsqu’ils découvrirent qu’il était pianiste. Il vénérait le son incomparable des moteurs V12 des bolides de la célèbre marque de Maranello capable d’atteindre les notes les plus aiguës et de créer des harmonies incomparables, une symphonie de douze cylindres qu’il écoutait à satiété pour oublier les rigueurs du travail du piano. Un travail sans cesse remis sur le métier, bien que son répertoire fut assez limité, courant néanmoins du XVIIIesiècle de Bach, Galuppi et Scarlatti au XXe siècle de Debussy, Ravel et Mompou. Il émanait de son jeu une grande liberté et son style était éminemment personnel, d’une distinction infinie, donc immédiatement reconnaissable, mêlant romantisme et cérébralité décontractée. Son toucher clair et aérien exaltait des couleurs aux nuances extraordinairement luxuriantes.

Les mains d'Arturo Benedetti Michelangeli. Photo : DR

Né à Brescia le 5 janvier 1920, Arturo Benedetti Michelangeli a commencé l’étude de la musique à 4 ans par le violon, avant de se mettre à l’orgue à 5 ans, et d’opter finalement pour le piano à 10 ans. A 20 ans, il remporte le Concours de Genève. Le président du jury qui n’était autre qu’Alfred Cortot, remarqua qu’il y avait « dans ce garçon du Liszt et du Paderewski ». Après la guerre, il se partagera entre sa carrière de virtuose et celle de pédagogue, exerçant cette dernière notamment au Conservatoire Martini de Bologne. Il dispensait aussi son enseignement réputé hors normes en son domicile de Florence, où il recevait gracieusement ses élèves, élaborant les menus et fixant des horaires stricts, avec des journées de travail débutant à sept heures du matin. Parmi ses étudiants, Martha Argerich et Maurizio Pollini.

Arturo Benedetti Michelangeli (1920-1995). Photo : DR

Pour le vingtième anniversaire de sa disparition survenue à Lugano le 12 juin 1995, Warner Classics a réuni en un coffret de quatorze CD l’intégralité des enregistrements qu’il a réalisés entre 1939 et 1975 devant les micros de Fonit Cetra, Parlophone, Teldec et Warner. Tout commence dans les années de guerre, avec Beethoven (Sonate op. 2/3), Grieg (Pièce lyrique op. 43/5), Bach (Concerto italien BWV971), Galuppi (le Prestode la Sonate en si bémol majeur), un étonnant Tomeoni (Allegro), Scarlatti (Sonates Kk 9, 11, 27 et 96), Chopin (Berceuse op. 57, Mazurka op. 33/4) suivis de concertos de Grieg et de Schumann avec l’Orchestre de la Scala de Milan dirigé par Alceo Galiera. Malgré la précarité des prises de son, l’on mesure l’énergie, la musicalité inouïes, l’ardente intériorité de cet artiste magnifique qui donne du fil à retordre à un orchestre et à un chef contraints de se surpasser pour répondre à l’extraordinaire maîtrise de la technique et de la pâte sonore de son instrument. Les écueils de la prise de son, même dans les années 1955-1965, n’empêchent pas de goûter sans restriction les infinies beautés que recèlent ses éblouissantes interprétations des concertos de Liszt (Concerto n° 1 avec la RAI de Turin mais solidement dirigé par rien moins que Rafael Kubelik en 1961), Schumann avec la RAI de Rome et Gianandrea Gavazzeni en 1962, Beethoven (l’Empereur avec la RAI de Rome et l’obscur Massimo Freccia, 1960), Haydn (Concerto n° 11 avec la RAI de Turin et Marlo Rossi, 1959), les légendaires Ravel (Concerto en sol) et Rachmaninov (Concerto n° 4) tous deux avec le Philharmonia Orchestra et Ettore Gracis en 1957, le même chef le dirigeant dans le Concerto n° 15de Mozart en 1951 avec un orchestre de chambre milanais, enregistrement présenté aux côtés des Concertos n° 13 et 23 (l’Andante de ce dernier chante comme nulle part ailleurs) du même Mozart captés en 1953 avec l’Orchestre Alessandro Scarlatti dirigé par Franco Caracciolo. Si la prise de son est meilleure pour la seconde version du Concerto n° 11 de Haydn couplée avec le Concerto n° 4 du même compositeur enregistrés tous deux en 1975, l’accompagnement de l’Orchestre de Chambre de Zurich dirigé par Edmond de Stoutz n’est pas digne de ce qu’offre à entendre l’artiste italien, qui était l’un des très rares pianistes à jouer ces œuvres dans les années 1970.

Arturo Benedetti Michelangeli et sa Ferrari 330 GT en 1964. Le Commandatore Enzo Ferrari évoque le pianiste dans son autobiographie

En revanche, les partitions solistes sont à écouter et à réécouter sans restriction. Si le rendu sonore n’est pas toujours à la hauteur, chaque note, chaque respiration, chaque variation d’intensité atteint une force et une intensité prodigieuse, le sens du phrasé, la richesse du discours, l’unité fabuleuse des interprétations trahissent la richesse et la profondeur de la pensée de ce musicien sans pareils. Ainsi, son sublime Carnaval op. 9 de Schumann enregistré par deux fois, la première à Londres en 1957 la seconde en Suisse en 1975, son récital du 4 mars 1957 au Royal Albert Hall avec au programme quatre Imagesde Debussy, la Fantaisie en fa mineur op. 49 et la Ballade n° 1 op. 23 de Chopin, la Cancion n° 6 de Mompou et la Valse en mi bémol majeur op. Posth. de Chopin enrichi d’une demi-heure de répétition des pages de Debussy au cours de laquelle Michelangeli demande vigoureusement de ne pas voir le public. D’autres trésors sont proposés, plusieurs Schumann (opp. 26, 68), d’admirables Debussy (des Images, Préludes et le Children’s Corner entier en 1963), d’autres Chopin (Scherzo n° 2, Ballade n° 1, Fantaisie op. 49, trois Valses et trois Mazurkas), des pièces d’Albéniz, Granados, un Marescotti inédit, de superbes Variations sur un thème de Paganini de Brahms enregistrées à Londres en 1948, la Chaconnede la deuxième Partita de Bach arrangée par Ferruccio Busoni, la Sonate Op. 2/3 de Beethoven…

Arturo Benedetti Michelangeli (1920-1995). Photo : DR

Ce substantiel coffret de quatorze disques bien remplis couvrant plus de trente ans de carrière d’un pianiste hors du commun que nous offre aujourd’hui Warner Classics s’avère clairement indispensable autant pour l’amateur de piano que pour le professionnel, car il présente la quintessence d’un musicien d’exception qui a porté l’art de l’interprétation au plus haut degré de perfection.

Bruno Serrou

Arturo Benedetti Michelangeli « The complete Warner Recordings ». 14 CD Warner Classics 0825646154883 

La Périchole d’Offenbach révèle Héloïse Mas, grande Carmen en devenir, dans une production festive et policée des Festivals de Saint-Céré et des Folies d’Ô de Montpellier

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Montpellier, Festival Les Folies d’Ô, Domaine d’Ô, mercredi 8 juillet 2015

Jacques Offenbach (1819-1880), la Périchole. Production Opéra Eclaté/Les Folies lyriques. Au centre : Hélène Mas (la Périchole), Marc Larcher (Piquillo). Photo : (c) Guy Rieut

C’est sur la découverte d'un lieu exceptionnel qu'a été placée la soirée « opérette et comédie musicale sous les étoiles » qui m'a conduit à Montpellier le temps d'un unique spectacle. Le Domaine d’O est en effet un site culturel de premier ordre. A côté d’un théâtre couvert, un second théâtre cette fois en plein air dans l’esprit de celui de l'Archevêché à Aix-en-Provence, mais en plus contemporain. Y sont donnés principalement des pièces de théâtre ou des concerts de musique du monde et populaires, mais la musique classique et surtout le théâtre lyrique y ont leur place, non seulement en raison d'un plateau de grande envergure mais surtout par la présence d’une fosse assez vaste et profonde. 

Jacques Offenbach (1819-1880), la Périchole. Production Opéra Eclaté/Les Folies lyriques. Au centre : Hélène Mas (la Périchole). Photo : (c) Guy Rieut

C’est donc en toute logique que l’association Folies lyriques y a élu domicile, sous la direction artistique du chef d’orchestre Jérôme Pillement, également directeur artistique d’Opéra Junior depuis 2009. Il y programme chaque année deux ou trois opérettes et opéra-bouffes ainsi qu’un festival et plusieurs manifestations dans le cadre de la Fête de la Musique. Cette fois, c’est un spectacle appelé à tourner dans toute la France dans les mois qui viennent que les Folies lyriques ont créé ce début de semaine Domaine d’Ô à Montpellier. Il s’agit d’une nouvelle production de l'opéra-bouffe de Jacques Offenbach la Périchole, coréalisée avec Opéra-Eclaté et le Festival de Saint-Céré.

Jacques Offenbach (1819-1880), la Périchole. Production Opéra Eclaté/Les Folies lyriques. Au centre : Hélène Mas (la Périchole). Photo : (c) Guy Rieut

Opéra-bouffe tiré de la nouvelle de Prosper Mérimée, l’auteur de Carmen dont les même Meilhac et Halévy s’inspireront pour le chef-d’œuvre de Georges Bizet, le Carrosse du Saint-Sacrement que Jean Renoir adaptera en 1953 pour le cinéma sous le titre le Carrosse d’or, la Périchole (1868) est l’un des opéras-bouffes les plus célèbres du « Mozart des Champs-Elysées ». Son livret, avec son dictateur d’opérette digne d’une aventure de Tintin amoureux d’une jolie métisse comédienne, et le cadre de l’action, le Pérou, ouvrent toutes les perspectives aux metteurs en scène, jusqu’aux délires les plus fous. Mais il faut aussi savoir y ménager des espaces de poésie, l’œuvre contenant de grandes pages d’émotion pure et de romantisme.

Jacques Offenbach (1819-1880), la Périchole. Production Opéra Eclaté/Les Folies lyriques. Photo : (c) Guy Rieut

Mis en scène par Benjamin Moreau et Olivier Desbordes, c’est bel et bien la patte de ce dernier qui émerge de ce spectacle enlevé, festif un brin grivois mais aussi empreint de nostalgie et de pudeur. A commencer par la distribution où l’on retrouve ses fidèles interprètes, comme Eric Vigeau et Yassine Benameur, inénarrables duettistes de lèches-bottes mielleux, roublards et balourds, mais aussi Antoine Baillot-Devallez, Samuel Oddos, Hervé Martin…

Jacques Offenbach (1819-1880), la Périchole. Production Opéra Eclaté/Les Folies lyriques.  L'affiche du spectacle à l'entrée du Domaine d'Ô. Photo : (c) Bruno Serrou

Entourés ainsi de ces vieux briscards champions assidus de Desbordes-le-facétieux, les deux principaux protagonistes n’ont qu’à se glisser sans forcer dans le sourire à la fois malicieux et grave d’Offenbach. Les qualités vocales et la plastique de ce duo révèle tout ce que Bizet et sa Carmendoivent à Offenbach et à sa Périchole. Plusieurs situations, les espagnolades, la figure de bohème de la chanteuse, la façon dont celle-ci mène les hommes par le bout du nez, le couple vocal mezzo-soprano/ténor, des airs et un certain nombre de tournures orchestrales apparaissent en toute évidence dans la mouvance de Mérimée pour le texte et de Bizet pour la musique. Ici, le grotesque le dispute au sublime, la comédie au tragique, le lyrisme au drame, le tout entremêlé avec science et avidité par un Offenbach au sommet de son art tandis que le Second Empire court à sa perte et se remet à grand peine de la mésaventure mexicaine dont le Pérou de la Périchole n’est que l’allégorie.  

Jacques Offenbach (1819-1880), la Périchole. Production Opéra Eclaté/Les Folies lyriques. Photo : (c) Bruno Serrou

Olivier Desbordes et Benjamin Moreau profitent du fait que les héros soient des artistes qui s'affrontent au pouvoir despotique qui les exploite et les maltraite pour intégrer les chevaux de bataille du premier, notamment les revendications des intermittents du spectacle. Moins surchargée que ce qu'offrait Jérôme Savary, la mise en scène de Moreau et Desbordes n’hésite pas à empiéter dans les espaces réservés au public, et s'avère lubrique mais sans excès.

Jacques Offenbach (1819-1880), la Périchole. Production Opéra Eclaté/Les Folies lyriques. Hélène Mas (la Périchole), Philippe Ermelier (Don Andrès de Ribeira, vice-roi du Pérou). Photo : (c) Guy Rieut

Marc Larcher est un Piquillo plein de charme et d’élégance, la voix est claire, ensoleillée, charnue, le chant coule avec naturel, le timbre est suave et se fond avec naturel à celui de sa comparse, la chanteuse de rues incarnée de magistrale façon par la superbe mezzo-soprano Héloïse Mas, Révélation de l’Adami 2014 qui a déjà tous les atouts pour devenir une grande Carmen : élégance, abattage, jeu de chatte énamourée, enjôleuse enjouée, voix chaude, moelleuse, ample, sensuelle au timbre de bronze. Face à eux, un vice-roi du Pérou adipeux et lubrique qui joue les rappeurs trop bien élevés. Moins convainquant est le trio des cousines, guère à leur avantage dans leur accoutrement de commères et aléatoires sur le plan vocal. En revanche, le Chœur de l'Opera de Montpellier est homogène et coloré. 

Côté fosse, sous la direction nuancée, précise et énergique de Jérôme Pillement, l'Orchestre Avignon-Provence est impeccable. A l’instar d’Offenbach qui des plaisait à improviser des citations de pages célèbres en son temps dans ses œuvres, le chef en rajoute en références musicales, intégrant au premier acte une longue citation d’une œuvre célèbre qu’Ennio Morricone a composée pour un western spaghetti de Sergio Leone suivie d’une allusion à la Flute enchantée de Mozart alors que le chanteur songe à se pendre... Au total un réjouissant divertissement qui donne néanmoins à réfléchir autant qu’à sourire, qui « grandira, grandira, grandira, car il est espagnol-gnol-gnol ».

Bruno Serrou

Saint-Céré, Halles des sports les 3, 7, 11 et 15 aoutà 21h30. Antibes,  Anthéa, les  25 et 26 octobre

CD : « La Chute du rouge » de Christophe Bertrand

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Christophe Bertrand que le festival Musica de Strasbourg découvrit en 2000, s’est donné la mort un matin de septembre 2010. Il avait 29 ans. Cet élève d’Ivan Fedele au conservatoire de Strasbourg qui a suivi le cursus de l’Ircam pour travailler avec Philippe Hurel, Tristan Murail, Brian Ferneyhough et Jonathan Harvey, était le compositeur le plus prometteur de sa génération. Toutes ses œuvres sont d’un maître de la forme et de la narration. Des pièces ascétiques empreintes d’une pérenne mélancolie mais toujours virtuoses, toute sa création est nourrie d’une sève et d’une fraîcheur nostalgiques qui font terriblement regretter son départ prématuré. 


Le parcours trop bref mais exctraordinairement dense de Christophe Bertrand, son exceptionnelle précocité, sa puissance créatrice hors du commun (il composait cinq œuvres par an) sont remarquablement synthétisés dans ce disque monographique réunissant sept pièces chambristes conçues entre 1999 et 2008 interprétées par d’excellents musiciens des Ensembles Court-Circuit dirigé par Jean Deroyer et In Extremis avec le compositeur au piano, et avec la participation de l'altiste Vincent Royer. A écouter impérativement pour découvrir ce génial créateur à la sensibilité à fleur de peau, une sensibilité qui se sera avérée fatale, puisqu'elle l'a conduit à mettre un terme à sa précieuse existence. 

Bruno Serrou

1 CD Motus M214008 (distribution Distrart). 56mn 31s. 

Article paru dans le quotidien La Croix daté samedi 20 et dimanche 21 juin 2015

Jon Vickers, le plus grand heldentenor du second XXe siècle, s’est éteint vendredi 10 juillet, terrassé par la maladie d’Alzheimer

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Jon Vickers (1926-2015). Photo : DR

« La dernière fois que j’ai chanté Kundry, c’était à New York avec Jon Vickers, me racontait la grande mezzo-soprano Christa Ludwig le 9 octobre 1993... Quand il a abordé son dernier acte... pfffouh !... Cet homme-là était vraiment extraordinaire... Il avait quelque chose dans la voix qui était unique. Et son Peter Grimes ! Il était vraiment LE personnage ! »

Jon Vickers dans le rôle d'Enée des Troyens de Berlioz à Covent Garden en 1958. Photo : DR

S’il est un chanteur qui a marqué mon adolescence et m’a fait aimer passionnément l’opéra dans mes premières années d’adulte, c’est Jon Vickers. Cette voix d’airain aux couleurs à nulles autres pareilles, identifiable dès l’émission de la première syllabe, reste à jamais gravée dans ma mémoire. Son seul véritable héritier aujourd’hui est Jonas Kaufmann, dont la voix résonne dans la pièce voisine à celle où je suis en train d’écrire ce texte sous le coup d’une prégnante émotion, alors qu’il chante Don José de Carmen en direct à la télévision depuis les Chorégies d’Orange. Un rôle que marque Jon Vickers de son empreinte indélébile... 

Jon Vickers et Birgit Nilsson dans Tristan und Isolde de Wagner aux Chorégies d'Orange 1974. Photo : (c) INA

Or, c’est précisément à Orange, à quelques encablures de ma maison familiale où je passais mes vacances enfant, que j’ai découvert cet incroyable tragédien-chanteur un soir d'été 1973. J'en ai été proprement foudroyé. Le ténor canadien était bien plus qu’un chanteur, tant il brûlait les planches. Sa voix, au timbre inouï et incomparable, pouvait exprimer toutes les émotions, que le chanteur canadien magnifiait par un sens du texte, une intelligence des rôles qu’il incarnait plus qu’il campait au point d’être littéralement habité par eux. Qui l’écoutait chanter et voyait ce colosse taillé comme un bûcheron canadien d’où il émanait une intelligence et une sensibilité hors du commun, torturé sur scène, ne sortait pas indemne de ses représentations. Aujourd’hui encore, alors qu’il s’est arrêté à la fin des années 1980, il reste un infaillible modèle. La dernière fois que je l’ai entendu, c’était sur le plateau du Palais Garnier, dans le Chant de laTerre de Gustav Mahler dirigé par Pierre Boulez. Tandis que sa partenaire, la mezzo-soprano Yvonne Minton, rayonnait dans les trois lieder que Mahler confie à la voix de contralto, Vickers n’était plus que l’ombre de lui-même. A l’instar d’un Voyage d’Hiver de Schubert particulièrement douloureux pour lui, sa voix le trahissait, mais le timbre était toujours aussi charnel et riche en harmoniques graves et il vivait comme aucun autre chanteur les douloureux poèmes qu’il interprétait. 


Jon Vickers dans Peter Grimes de Benjamin Britten au Covent Garden de Londres en 1975. Photo : DR

Voulant s’imprégner de ses rôles, qu’il choisissait avec minutie pour les vivre pleinement, et s’économiser pour les interpréter le plus longtemps possible, il avait décidé d’un petit nombre de personnages - puritain profondément chrétien, il refusait d’endosser certains rôles, comme Tannhäuser, pour des raisons d'ordre moral -, Néron, Florestan, Enée (les Troyens) - rôle qui, dira-t-il à Londres, a été écrit par Berlioz pour un ténor qui n’existe pas -, Erik, Tristan, Siegmund, Parsifal, Don José, Hermann (la Dame de pique), Samson (celui de Haendel et celui de Saint-Saëns), Don Alvaro (la Force du Destin), Radamès, Otello, Vacek (la Fiancée vendue), Andrea Chénier, Canio (Pagliacci), Peter Grimes. Pour Orange, il avait abordé les personnages moins flatteurs de Polione (Norma) et d’Hérode (Salomé). Il a également été Gustavo III (Un ballo in maschera), Don Carlo dans la production de Luchino Visconti, Jason dans Medea au côté de Maria Callas Chacun de ces rôles qu’il a fait sien reste dans mon esprit à jamais marqué de son empreinte, au point que je me réfère toujours à lui lorsque j’écoute les ouvrages dans lesquels il excellait, à la scène comme au disque. Vickers possédait cette capacité rare qui consiste à pénétrer les intentions les plus profondes des compositeurs et à révéler les dimensions dramatiques de la musique et des personnages qu’il incarnait.

Jon Vickers et Gundula Janowitz dans Fidelio de Beethoven aux Chorégies d'Orange 1977. Photo : (c) INA

Mes plus belles soirées d’opéra restent celles vécues à Orange, l’été sous le ciel de Provence, par tous les temps et tous les vents. Tristan und Isolde en 1973, qui se déroulait sous une grande voile blanche tendue depuis le mur d'Auguste jusqu’à la « fosse », au côté de Birgit Nilsson avec l’Orchestre National de France dirigé par Karl Böhm (https://www.youtube.com/watch?v=9MpOy1ujOYo), Saloméen 1974 en Hérode, force de la nature incroyablement vicieux et torturé, avec Leonie Rysanek dans le rôle-titre et Ruth Hesse en Hérodias avec le National dirigé par Rudolf Kempe, dans Norma la même année en Polione au côté de Montserrat Caballé en Norma et Josephine Veasey en Adalgisa, dirigé par Giuseppe Patanè (https://www.youtube.com/watch?v=rO_gVT5zNqs), Otello de Verdi un an plus tard avec Teresa Zylis-Gara, toujours avec le National mais dirigé par Lorin Maazel, Fidelio en 1977 où il incarnait Florestan dont le Gott! Welch Dunkel hier! résonne encore à mes oreilles, hurlé à gorge déployée alors qu’il était couché à l’avant-scène, gisant dans un rais de lumière blanche sépulcrale, et tétanisant le public qui en resta saisi d’effroi jusqu’à la fin de la représentation, avec à ses côtés une sublime Gundula Janowitz en Leonore et un hallucinant Theo Adam en Pizarro, William Wilderman en Rocco, avec l’Orchestre Philharmonique d’Israël et les Chœurs New Philharmonia de Londres dirigés par Zubin Mehta. Cette sublime soirée d'été a été heureusement immortalisée par la télévision dans une réalisation de Pierre Jourdan (voir https://www.youtube.com/watch?v=7rwJt3NNwh8).

Jon Vickers et Gwynneth Jones dans le Couronnement de Poppée de Monteverdi à l'Opéra de Paris en 1978. Photo : (c) INA

Puis, plus rien à Orange… L’arrivée de Raymond Duffaut à la tête des Chorégies marqua la fin de la collaboration de l’immense ténor canadien avec la manifestation provençale, sans aucune explication du côté de la direction du festival… A l’Opéra de Paris, outre Parsifal dirigé par Horst Stein, l’on se souvient de son vicieux Néron du Couronnement de Poppée de Monteverdi de 1978 victime de la sensuelle Poppée de Gwynneth Jones et de son profond décolleté qui donna le vertige non seulement à Jon Vickers mais aussi au public de Garnier en son ensemble. Sa dernière apparition scénique à Paris, au Palais Garnier, remonte à 1980 dans le rôle-titre de Peter Grimes de Britten qui faisait sa première apparition à l’Opéra de Paris dans une production d’Elijah Moshinsky dirigée par Colin Davis avec la troupe du Covent Garden de Londres.

Jon Vickers et Mirella Freni dans Otello de Verdi en 1973 pour le film d'Herbert von Karajan. Photo : (c) Unitel

Né le 29 octobre 1926 à Prince Albert, troisième ville de l’Etat de Saskatchewan au Canada, Jon Vickers est le sixième d’une fratrie de huit enfants. En 1945, il entre au Royal Conservatory of Music de Toronto dont il sort diplômé en 1950. Très vite, il est invité à chanter à New York Fidelio et Médée, et, en 1956, il est auditionné par David Webster pour le Covent Garden de Londres où il fait ses débuts dans Un bal masqué de Verdi en 1957 - c'est dans ce même ouvrage qu'il débute à l'Opéra de Paris en 1965 -, puis Enée des Troyens de Berlioz l’année suivante. 1958 marque également ses débuts au Festival de Bayreuth, où il est invité à chanter Siegmund dans la Walkyrie


En 1959, il est invité par Herbert von Karajan à l’Opéra d’Etat de Vienne pour Siegmund et il fait ses débuts à l’Opéra de San Francisco en Radamès, avant de se produire pour la première fois en 1960 à la Scala de Milan dans Fidelio et au Metropolitan Opera de New York en 1960 dans Canio de Pagliacci. Il y chantera pendant un quart de siècle tous ses grands rôles, allemands, anglais, français, italiens. En 1988, il met un terme à sa carrière après avoir chanté en concert le deuxième acte de Parsifalà Kitchener Center dans l’Ontario. Il fera une ultime apparition sur scène au Canada en 1998 dans le monodrame parlé Enoch Arden de Richard Strauss dans le cadre du Festival de musique de chambre de Montréal. Jon Vickers est mort vendredi 10 juillet 2015 victime de la maladie d’Alzheimer.


Il reste heureusement le disque, qui a préservé l’essentiel de ses grands rôles, dans des enregistrements studio et en « live », ces derniers dans des gravures plus ou moins officielles. Il faut absolument connaître ses Fidelio de Beethoven, avec Christa Ludwig dirigé par Otto Klemperer (EMI/Warner Classics), et avec Helga Dernesch et Herbert von Karajan (Emi/Warner Classics), ainsi que le « live » avec Sena Jurinac et Klemperer (Testament), Carmende Bizet, avec Grace Bumbry, avec Rafael Frühbeck de Burgos au disque (EMI/Warner Classics) et avec Karajan en DVD, les Troyens de Berlioz (le premier enregistrement intégral mondial) avec Colin Davis (Philips/Decca), Peter Grimes de Britten avec Colin Davis (Philips/Decca)...


... Le Messie de Haendel dirigé par Thomas Beecham (RCA/Sony Classical), le Chant de la Terre de Mahler avec Jessye Norman et Colin Davis (Philips/Decca), Samson et Dalila de Saint-Saëns avec Shirley Verrett dirigé par Colin Davis (DVD Warner) et avec Rita Gorr et Georges Prêtre dirigeant le Chœur et l’Orchestre de l’Opéra de Paris (EMI/Warner Classics)...


... Les opéras de Verdi Don Carlo avec Gre' Brouwenstjin et dirigé par Carlo Maria Giulini (Myto), la plus belle Aïda du disque avec Leontyne Price et Georg Solti (Decca), le somptueux Otello avec Leonie Rysanek et dirigé par Tullio Serafin (RCA/Sony Classical), le DVD de ce même opéra avec la bouleversante Desdémone de Mirella Freni et dirigé par Karajan (DG Unitel), et la Missa da Requiem avec Montserrat Caballé et dirigé par John Barbirolli (EMI/Warner Classics). 


Enfin, les Wagner : quatre Tristan und Isolde, le studio avec Helga Dernesch et Karajan, qui a malheureusement eu l’idée incongrue de noyer le heldentenor canadien dans un halo de brume sonore (EMI/Warner Classics), le « live » d’Orange (DVD VAI), un « live » de Vienne avec Birgit Nilsson et Horst Stein (Myto), quatre Walkyrie, Rysanek/Knappertsbusch/Bayreuth (Arkadia), Brouwenstjin/Leinsdorf (RCA/Sony Classical), Janowitz/Karajan (DG), Crespin/Karajan (Hunt)), et un Parsifal enregistré à Bayreuth avec Hans Hotter et Hans Knappertsbusch (Melodram).

Bruno Serrou

Le Festival Messiaen au Pays de La Meije et ses arborescences

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Festival Messiaen au Pays de La Meije. La Grave, église. Le Chazalet, église. Lundi 13 et mardi 14 juillet 2015

La Meije. 14 juillet 2015. Photo (c) : Bruno Serrou

Etre cet été du Festival Messiaen au Pays de La Meije tient du pèlerinage médiéval. En effet, la principale voie d’accès à La Grave, village situé aux confins des Hautes-Alpes et de l’Isère, qui relie Grenoble et Briançon, est en effet fermée depuis le 10 avril pour une durée indéterminée. En cause, l’effondrement attendu d’un pan de montagne à l’aplomb du lac du Chambon. Venant du nord, il est de ce fait nécessaire de passer par les cols du Galibier et du Lautaret ou par Oulx pour qui opte pour le train. Mais pour mélomanes, randonneurs, alpinistes et vacanciers qui réussissent à rejoindre ce village de 500 habitants, c’est pain béni car cette route habituellement très fréquentée n’a jamais été aussi paisible qu’en ce moment. Au point que les fous de vélo sont actuellement les rois du bitume alors-même que l’étape du Tour de France initialement prévue a dû être annulée. Il n’empêche, le public est bel et bien présent et toujours singulièrement empressé.

Olivier Messiaen (1908-1992). Photo : source The Guardian

Le Festival Messiaen est désormais le rendez-vous obligé des compositeurs contemporains, de leurs interprètes et des amateurs de création musicale, car il est le seul du genre en période estivale. Une sorte de Festival Musica de Strasbourg transposé au cœur du massif escarpé de l’Oisans. Chaque année, mises en regard avec celles du Maître Olivier Messiaen (1908-1992), plusieurs œuvres sont données en première mondiale en présence de leurs concepteurs, tandis que des jeunes talents sont mis à l’honneur, compositeurs comme interprètes. Mais Messiaen est toujours au centre de la programmation, et le point fort de cette dix-huitième édition sera dans  l’exécution le 18 juillet de Et expecto resurrectionem mortuorum que Messiaen a composé en 1964 à la demande d’André Malraux pour le vingtième anniversaire de la Libération. Cette partition sera donnée à flanc de montagne à 2400 mètres d’altitude par l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, devant un lac naturel de La Meije. Un hélicoptère est requis pour monter à flanc de montagne percussion et contrebasses pour les deux autres œuvres programmées, rien moins que le Lontano de György Ligeti et Tod und Verklärung de Richard Strauss, tandis que musiciens et public seront obligés d’emprunter le téléphérique.

Vanessa Wagner (piano) et Catherine Hunold (soprano), église de La Grave. Photo : (c) Colin SAMUELS

Outre cet événement auquel je n’aurai pas la chance d’assister, étant alors en Suisse pour le Festival de Verbier, le festival 2015 propose l’intégrale des mélodies de Messiaen, qu’elles soient pour voix et piano ou pour ensemble vocal. Ces cycles représentent une sorte de journal intime du compositeur pianiste et organiste, le chant étant l’expression fondamentale de la musique. Ainsi, la voix est chez Messiaen une constante, des premiers essais que sont les Trois Mélodies de 1924 jusqu’aux huit années passées sur la genèse monumentale de son unique opéra, Saint François d’Assise (1975-1983), qui contient tout Messiaen. La voix humaine, qu’elle soit soliste ou chorale, a suscité de prégnants chefs-d’œuvre de la part du musicien des oiseaux et de la nature qu’il aimait à fréquenter dans les hauts alpages du Dauphiné. La poésie a toujours fait partie de l’univers de ce fils de la poétesse Cécile Sauvage (1883-1927). Si bien qu’il a choisi d’écrire lui-même la plupart des textes qui ont inspiré sa musique. Ecrits sur ses poèmes qui chantent le mariage, « symbole de l’union du Christ [l’homme] et son Eglise [la femme] », dédiés à sa première épouse, la violoniste Claire Delbos morte prématurément dans de terribles souffrances, les Poèmes pour Mi ont été donnés dans leur version avec piano par un grand soprano dramatique, 

Vanessa Wagner (piano) et Catherine Hunold (soprano), église de La Grave. Photo : (c) Colin SAMUELS

Catherine Hunold, qui remplaçait au pied levé Karen Vourc’h. De sa voix puissante et pleine, son interprétation s’est avérée d’autant plus impressionnante qu’elle découvrait la partition qu’elle n’a eu le temps de travailler que quelques jours avant cet unique concert. Assurée de la puissance vocale de sa partenaire, Vanessa Wagner a pu donner à son piano la plénitude de l’orchestre dans lesquels ces poèmes sont le plus souvent exécutés. En raison de ce changement de partenaire inattendu, la pianiste a dû assurer seule la première partie de la soirée. Pour ce faire, tout en retenant des pages des deux compositeurs initialement prévus, elle a choisi de Pascal Dusapin (né en 1955) deux des Etudes pour piano que le compositeur lui a dédiées, les première et troisième (1999), ainsi que les trois Estampespour piano (1903) de Claude Debussy (1862-1918) auxquelles Vanessa Wagner a donné au sein de la chaude acoustique de la petite église de La Grave leurs sensuelles couleurs.  

Marie Vermeulin (piano) et Elodie Hache (soprano). Eglise de La Grave. Photo : (c) Colin SAMUELS

Accompagnée avec grâce et ferveur par Marie Vermeulin, qui fréquente assidûment autant le Festival Messiaen que les mélodies du compositeur, qu’elle a enregistrées avec Nathalie Manfrino (1), la jeune soprano Elodie Hache, que l’on connaît surtout comme interprète du répertoire baroque, a donné des douze mélodies du troisième grand cycle vocal de Messiaen, Harawi,Chants d’Amour et de Mort de 1945 (premier volet de la trilogie dite « de Tristan », avec les Cinq Rechants et la Turangalîla Symphonie) une interprétation engagée, lumineuse et pleine de verve. Une heure de bonheur pur, avec le piano aux sonorités pleines et enluminées galvanisé par le toucher surnaturel de Vermeulin.

L'Ensemble Musicatreize, église du Chazalet. Photo : (c) Bruno Serrou

Sous les voûtes de l’église du Chazalet, plus petite encore que celle de La Grave mais acoustiquement moins flatteuse, ce sont les Cinq Rechantspour douze voix mixtes de Messiaen qui ont résonné. Ce recueil composé en 1948 sur des poèmes en une langue plus ou moins inventée par le compositeur, qui emprunte aux grands mythes amoureux, des troubadours Jaufré Rudel et Folquet de Marseille à Pelléas et Mélisande de Debussy en passant par Tristan et Isoldede Wagner, constitue depuis près de soixante-dix ans un véritable référent, ne serait-ce que du point de vue de l’effectif. Ce dernier volet de la trilogie dite « de Tristan », alterne comme son titre le suggère couplets (chants) et refrains (rechants), et emprunte une partie de ses rythmes aux Decî-Tâlas indiens. Cette œuvre particulièrement inventive a été chantée avec dextérité et élégance par Musicatreize. La fin de l’exécution de ce remarquable recueil a été précisément marquée par la cloche de l’église qui sonnait 10h du soir. L’ensemble vocal marseillais a mis en regard trois œuvres d’autant de compositeurs, toutes trois enrichies de percussion. Pour Ardor (2015), que Musicatreize a créé à Marseille le 30 avril dernier, Philippe Schœller (né en 1957) a confié à chacun des douze chanteurs un instrument à percussion particulier, peau, bois, métaux, allant de la grosse caisse à la cloche de vache et au gros tam-tam, mais à l’exclusion des claviers. Cette pièce d’une vingtaine de minutes se fonde sur le poème éponyme de Frederika Amalia Finkelstein (née en 1991) qui évoque l’amour, « ses adresses, ses énigmes, ses territoires de feu ». L’œuvre se présente tel un rituel qui puise dans différents types de cultures, dont l’arborescence est assurée par une percussion spécifique à chaque chanteur. Créé le 29 mars 1994 par le Chœur de Radio France, dédié à Maurice Ohana, Chu-Ky VI de Tôn Thât Tiêt (né en 1933) pour douze voix mixtes appartient au cycle de sept œuvres intitulé Chu-Ky pour diverses formations commencé en 1976, toutes centrées sur le principe de retour éternel ou de succession cyclique puisé dans la spiritualité hindoue. Ce sixième Chu-Ky adopte lui-même la forme cyclique commençant et s’achevant sur une formule identique exprimée sur l’invocation « Om », symbole de l’absolu pour les hindous, tandis que le tout semble à l’écoute former un cercle magique. La voix est souvent traitée en récitatif ponctué par la percussion cristalline jouée par les chanteurs.

Philippe Schoeller (à gauche) et François-Bernard Mâche (à droite). Photo : (c) Bruno Serrou

Compositeur en résidence cette année du Festival Messiaen, qui célèbre ainsi ses quatre-vingts ans et qui fut l’élève d’Olivier Messiaen, François-Bernard Mâche a présenté au public son œuvre qui concluait le programme. Danaé, pour douze voix mixtes et un percussionniste, a été conçu en 1970. Une œuvre créée à Persépolis dans les ruines du palais de Darius par l’Ensemble Marcel Couraud à laquelle Mâche donné ce titre après coup, parce que les sonorités utilisées lui semblaient évoquer la pluie d’or sur des murs de bronze qui figurent dans la légende de la mère de Persée. De l’aveu du compositeur, Danaédoit beaucoup à Nuit de son ami Iannis Xenakis. Autre source, un enregistrement réalisé au Cachemire, chez les Hunzas, considérés comme des païens par les musulmans et comme des étrangers par les hindous. « La légende veut qu’ils soient les descendants des soldats d’Alexandre le Grand, me racontait François-Bernard Mâche en 2004 (2). J’ai trouvé cette musique superbe, et il s’en trouve quelques échos dans Danaé, où j’utilise des instruments de percussion joués en même temps que de longues tenues vocales, trouvant cette association particulièrement intéressante. Mais j’ai utilisé des instruments que j’ai fait construire à l’imitation des tambours à boules fouettantes du Tibet. » Dans l’acoustique de l’église du Chazalet, Danaé est apparue un peu à l’étroit, tout en gardant sa force invocatrice chantée avec ferveur par l’Ensemble Musicatreize dialoguant avec l’excellent percussionniste Christian Hamouy.

Bruno Serrou

1) CD Universal Classics
2) François-Bernard Mâche, « De la musique, des langues et des oiseaux », entretien avec Bruno Serrou. Editions INA/Michel de Maule (316 p, + DVD Rom), © 2007. 25€


Le Festival Messiaen célèbre François-Bernard Mâche et ses « petits-enfants » musiciens

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Festival Messiaen au Pays de La Meije, La Grave, église, mercredi 15 et jeudi 16 juillet 2015

L'église de La Grave et La Meije. Photo : (c) Bruno Serrou 

Invité d’honneur de l’édition 2015 du Festival Messiaen à l’occasion de ses quatre-vingts ans, François-Bernard Mâche (né en 1935) s’est vu gratifié d’un colloque international et d’être le premier compositeur à offrir un concert électroacoustique au pied de La Meije. En lieu et place des habituels instruments acoustiques, ce sont des haut-parleurs diligemment disséminés à travers le chœur de l’église qui ont accueilli un public venu en nombre poussé par la curiosité. Peu de spectateurs en effet sont familiarisés avec les concerts de haut-parleurs caractéristique de la diffusion des œuvres conçues au GRM (Groupe de Recherche Musicale) de l’INA (Institut National de l’Audiovisuel) dont Mâche est l’un des compositeurs les plus inventifs et originaux depuis la fondation de cette institution par Pierre Schaeffer en 1951.

François-Bernard Mâche (né en 1935) présente son concert acousmatique. Photo : 'c) Bruno Serrou

Acousmonium de La Grave

Je gardais personnellement un mauvais souvenir de ces concerts dits « acousmatiques », terme inventé par François Bayle, qui a dirigé le GRM de 1966 à 1997. Concerts donnés à Radio France, dont je devais faire les comptes rendus pour un journal d’information musicale alors bimensuel. Je n’ai pas tenu un an, tant je m’ennuyais et ne voyais rien à en dire. Jusqu’au jour où François-Bernard Mâche se mit à la console pour y donner l’une de ses pièces et instaurer un dialogue fructueux avec une claveciniste. Cette œuvre reste le seul ilot de plaisir d’écoute au bout de cinq concerts entendus dans l’acousmonium du GRM installé sur le plateau du 104.

Le concert conçu pour La Grave s’est présenté en sept étapes constituées chacune par une œuvre électronique pure, « drivé » par un technicien du son planté devant un ordinateur portable tandis que le compositeur était face aux potentiomètres. Au sein de cet ensemble d’où l’humour n’a pas été exclu, trois œuvres de 2014, l’une ouvrant le cycle, une troisième le clôturant, chacune intitulée à la façon de clins d’œil La porte, celle d’entrée, et Porte close en fin de parcours, la deuxième étant plus développée, Curiose Geschichte, tandis que la page la plus consistante a été Tempora de 1988, malheureusement « jouée » avec le seul ordinateur alors qu’elle a été conçue pour un trio de synthétiseurs à clavier. Au total une heure de musique plus ou moins concrète et évocatrice mais toujours poétique et surtout émanant d’un authentique musicien, qui va jusqu’à suggérer la cigale sans que l’on distingue la moindre trace tangible. Chaque page a été présentée par Mâche en des termes choisis mais toujours clairs et précis, agrémentés d’un humour charmeur. Tant et si bien que le public a adhéré sans sourciller, et son écoute s’est avérée concentrée à en juger par les judicieuses questions qui ont été posées à l’issue du concert.

Le colloque Messiaen-Mâche : Orient-Occident. Photo : (c) Colin SAMUELS

Colloque Messiaen-Mâche : Orient-Occident

La matinée du 16 juillet était le cadre d’un colloque consacré à François-Bernard Mâche et ses relations avec les musiques et cultures du monde. Intellectuel pur jus, ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm, diplômé d’archéologie grecque, agrégé de lettres classiques, docteur en musicologie, passionné de cultures orientales, d’ornithologie, d’anthropologie et de plongée sous-marine, membre fondateur du Groupe de recherche musicale (GRM) de Pierre Schaeffer, producteur d’émissions sur France Musique et sur France Culture, ses goûts et son amour de la liberté l’ont conduit à mener de front plusieurs carrières. Farouchement indépendant, ce qui l’a conduit à se consacrer à l’enseignement scolaire puis universitaire enfin à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales, spécialiste du langage, plus particulièrement des langues mortes ou en voie d’extinction, il a élaboré une théorie et une méthode personnelles de composition centrées sur les concepts de modèle et d’archétype, auxquelles il associe souvent la nature, les instruments acoustiques et l’électronique qui gouvernent l’essentiel de la centaine d’œuvres que compte aujourd’hui son catalogue. Cette matinée intitulée Orient-Occident, était placée sous la présidence d’Apollinaire Anakesa, violoniste, sinologue, responsable du Centre d’Archives des Documents Ethnographiques de la Guyane, musicologue, ethnomusicologue, professeur à l’Université de Guyane, il est l’auteur d’ouvrages sur Jean-Louis Florentz, Charles Chaynes, l’Afrique subsaharienne dans la musique savante occidentale au XXe siècle et Chansons traditionnelles des plaines et des bocages vendéens. Sa communication a porté sur François-Bernard Mâche et Olivier Messiaen, l’Afrique comme ressourcement. Quatre autres communications ont été exposées durant ce colloque. La première a été prononcée par Gérard Denizeau, professeur à Paris IV, historien d’art, musicologue et écrivain, spécialiste des correspondances entre les arts, auteur de nombreuses publications, romans, poèmes, articles et ouvrages sur les beaux-arts et la musique. Sa communication a porté sur François-Bernard Mâche et la tentation de l’exotisme. Daniel Durney, qui a enseigné à l’Université de Bourgogne (Dijon), auteur de textes sur Georges Aperghis et d’un Hommage à François-Bernard Mâche s’est exprimé sur les relations culturelles en général et musicales en particulier entre la France et le Japon, qui remontent aux années 1860. Etats-Unien pré-doctorant à l’Université Libre de Bruxelles, auteur de plusieurs articles sur Olivier Messiaen, Christopher Murray a présenté une éclairante étude des deux Iles de feu contenues dans les Quatre études de rythmes pour piano composées en 1949-1950. Retour à François-Bernard Mâche avec la dernière communication formulée par Anne-Sophie Barthel-Calvet, professeur de musicologie à l’Université de Lorraine (Metz), spécialiste d’Iannis Xenakis et de François-Bernard, qui fut l’ami du compositeur d’origine grecque et au fauteuil de qui il a succédé à l’Académie des Beaux-Arts. Son intervention était intitulée Mâche et l’Orient. Reste à espérer que ces communications, parfois interrompues en raison du temps imparti à chacun assez réduit, feront l’objet d’une publication, ne serait-ce que sur le site Internet du Festival Messiaen au Pays de La Meije.

Concert d’élèves du troisième cycle du Conservatoire de Paris

Les six élèves du CNSMD de Paris et Laurent Durupt. Photo : (c) Colin SAMUELS

Donné en l’église de La Grave, le concert de l’après-midi s’est inscrit dans la ligne de l’accord passé dans la perspective de l’édition 2012 dont la thématique était « la classe Messiaen » entre le Festival Messiaen et le Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris pour que les élèves de la première institution française de pédagogie musicale participent activement au festival. C’est la raison pour laquelle la manifestation est inscrite depuis trois ans dans le calendrier des festivals d’été dans la deuxième décade de juillet au lieu de la troisième pendant les quatorze premières éditions. En l’église de La Grave, six élèves (Jean-Etienne Sotty, accordéon, Justine Leroux, piano, Eun-Joo Lee et Malika Yessetova, violons, Thien-Bao Pham-Vu, alto, et Aurélie Allexandra, violoncelle) de la classe de troisième cycle « Répertoire contemporain et création » que dirige Hae-Sun Kang ont présenté un programme riche et exigeant, autant pour l’interprétation que pour l’écoute, tant les œuvres sont denses, virtuoses, inventives. Malika Yessetova a ouvert le concert avec AnthèmesI pour violon seul de Pierre Boulez. Il s’agit d’une courte pièce de neuf minutes environ fruit d’une commande du Concours Yehudi Menuhin 1991, que le compositeur a dédiée au directeur d’Universal Edition de Vienne, Alfred Schnee. En 1994, Boulez élargira considérablement les proportions de cette œuvre dans une version pour violon et électronique live qu’il intitulera Anthèmes II. Anthèmes I doit sa structure à aux souvenirs d'enfance de son auteur alors qu’il assistait aux offices du Carême, au cours desquels étaient chantés les versets des Lamentations de Jérémie, alternant expositions en hébreux et versets en latin. Se conformant à ce schéma, Boulez crée deux mondes sonores distincts, les énumérations en hébreux devenant de longs sons harmoniques statiques ou filés, et les versets latins formant contraste par leur tour vif et délié. Malika Yessetova en a donné une interprétation un peu contrainte et manquant de lumière, mais le son est plein et le jeu sans tâche. Le clic sec de départ sur la corde n’a pas été assez marqué, contrairement à celui de fin, deux marques qui se retrouveront dans Anthèmes II. 

Justine Leroux, piano, Eun-Joo Lee et Malika Yessetova, violons, Jean-Etienne Sotty, accordéon, Thien-Bao Pham-Vu, alto, et Aurélie Allexandra, violoncelle. Photo : (c) Colin SAMUELS

Conçu en 1991, Silenzio pour violon, violoncelle et accordéon de Sofia Gubaidulina tient de la veine de son Offertorium pour violon et orchestre. Il s’agit donc de l’une des pièces les plus significatives de la compositrice russe, ses trois mouvements alternant vif-lent-vif s’avérant parmi les morceaux les plus inventifs de Gubaidulina. Eun-Joo Lee, Aurélie Allexandre et Jean-Etienne Sorry en ont donné l’essence, soulignant la fusion des instruments qui conduit à ce que l’auditeur confonde l’origine du son émis. Autre œuvre de Pierre Boulez écrite pour un concours et qu’il déploiera en élargissant effectif et durée, Incises pour piano. Composé en 1994 pour le Concours Umberto Micheli de Milan, complété en 2001, Incisesmarque le retour de Boulez au piano, trente-sept ans après la Troisième Sonate. En 1996/1998, il en tirera sur Incises pour trois pianos, trois harpes et trois percussionnistes. L’œuvre joue avec les contrastes de textures et de gestes, avec des accords de tempos semblables interrompus par de violents arcs mélodiques ou des interjections chorales clairsemées sans rythme perceptible. Justine Leroux en a donné une version aux résonances larges et rutilantes bien dans l’esprit de la flamboyance de l’écriture boulézienne.

Allain Gaussin (né en 1943). Photo : (c) Colin SAMUELS

La Bossa nova pour accordéon solo de Frank Bedrossian, brillamment exécutée par Jean-Etienne Sotty, nécessite une forte concentration de l’auditeur pour identifier une bossa nova, mais les rythmes et les couleurs en sont, indubitablement. Bedrossian exploite avec art toutes les aptitudes de l’instrument soliste dont il tire des sonorités de braise. Dédié à Harry Halbreich, Chakra pour quatuor à cordes a été écrit en 1984 par Allain Gaussin. Cette œuvre en trois parties qui se fonde sur les sept chakras indiens du corps humain (deux dans le bas ventre, un au thorax (le cœur), le reste dans la tête), est mue par une forte énergie, qui s’exprime par quantité de glissandi. Le quatuor à cordes constitué par Eun-Joo Lee et Malika Yessetova (violons), Bao Pham-Vu (alto) et Aurélie Allexandre (violoncelle) en ont donné une lecture enthousiaste mais sèche et contrainte qui n’a pas permis d’apprécier tous les tenants et aboutissants de l’œuvre.

Création de Vertical Speed de Laurent Durupt

Laurent Durupt (né en 1978) présente sa création. Photo : (c) Colin SAMUELS

Mais le moment attendu de ce concert était la commande du Festival Messiaen pour cette édition 2015 passée au pianiste compositeur Laurent Durupt (né en 1978), ex-pensionnaire de la Villa Médicis à Rome. Vertical Speedpour piano, accordéon et quatuor à cordes est une œuvre foisonnante, à la fois inventive et émouvante. Elle est en effet placée sous un double choc émotionnel. Le premier est la catastrophe aérienne de l’Airbus A330-200 Rio de Janeiro-Paris qui s’abîma en mer le 1er juin 2009, et dont les derniers mots envoyés par l’ordinateur de bord donnent le titre à l’œuvre, CabinVertical Speed. Le second est celui de la mort soudaine de la compositrice Miujung Woo, camarade de Laurent Durupt dans la classe d’Allain Gaussin dont ils ont tous deux été les élèves au CNSMDP, morte à 38 ans pendant qu’il terminait sa partition. Autre hommage de Durupt à travers ce sextuor, celui à Pierre Boulez pour ses 90 ans. L’informatique et le temps réel sont de l’univers naturel de cet élève de Frédéric Durieux, Allain Gaussin et Philippe Leroux. Cela se sent, dans cette œuvre de plus de vingt minutes pourtant exclusivement écrite pour instruments acoustiques, à l’exception d’un capodastre électronique posé sur le la du violoncelle, qui, utilisé assez longuement comme un faux bourdon, a suscité à mes oreilles par la puissance et la durée de son exposition un effet d’acouphène à peine supportable. Grave, profonde, douloureuse, portée par une affliction intérieure, l’œuvre contient un superbe solo d’accordéon, et, plus loin, un étonnant alliage d’un piano aux tournures minimaliste dans l’esprit d’une Steve Reich et de cordes extrêmement mobiles et d’une expression de plus en plus tendue jusqu’à l’explosion de l’émotion qui finit par submerger l’auditeur tant l’effroi qu’elle suscite est bouleverse. Cette tension dramatique hallucinante et la puissance de la créativité de son auteur font espérer l’émergence d’un grand compositeur.

François-Bernard Mâche (né en 1935) entouré par le Quaruor Béla. Photo : (c) Bruno Serrou

Création du Quatuor à cordes n° 2de Frédéric Pattar par le Quatuor Béla

L’ultime concert auquel j’ai assisté durant mon séjour à La Grave a été donné par le Quatuor Béla en l’église du petit village des Hautes-Alpes cadre du plus grand festival estival de musique contemporaine. Au programme, Eridanop. 57 que François-Bernard Mâche a composé en 1986. A l’instar de l’œuvre de Laurent Durupt donnée en création trois heures plus tôt au même endroit, l’on trouve dans Eridanécrit pour instruments acoustiques, l’influence de l’électronique. Comme le suggère le titre tiré du nom d’un fleuve mythique, l’œuvre livre la vie dudit fleuve dans tous ses états, de sa source à son estuaire, avec tous les accidents et toutes les pauses qu’ils traversent dans l’intervalle. Le premier violon introduit l’œuvre d’un mouvement vif et sec de l’archet sur une seule note, le second violon se posant bientôt au-dessus, puis l’alto d’un même geste agité, enfin rejoint par le violoncelle, tandis que les violons « partent en voyage » dans l’aigu suggérant la course d’une rivière. L’exploitation de l’archet est faite dans sa diversité, n’hésitant pas à l’étouffement, tandis que le violoncelle use de pizz. Bartók. La matière se raréfie après un mouvement lent descendant, jusqu’à des pizzicati qui marquent une remontée vers le haut des registres allant crescendo, archets à la corde, puis des fusées bondissent de chaque instrument tour à tour, avant que le fleuve retrouve son cours folle, et s’interrompt soudain… 

Frédéric Pattar (né en 1969). Photo : DR

Seconde création de la journée, mais en l’absence de son auteur, Frédéric Pattar, qui n’a pu se rendre à l’invitation du festival, son commanditaire. La création de Frédéric Pattar, singulière, riche et exigeante, tant elle est fine, colorée, élancée, tendue, rythmiquement et harmoniquement complexe, est à la fois d’une rare difficulté d’exécution et extrêmement signifiante. Ce qui lui donne un tour dramatique et lyrique incroyablement prégnant. Né à Dijon en 1969, élève de Gilbert Amy au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon, études qu’il a complétées par un cursus de composition et d’informatique de l’Ircam en 1999, lauréat de la Fondation Boucourechliev en 2005, en résidence au DAAD Künstlerprogramm de Berlin en 2010, marqué par le matérialisme poétique de Gaston Bachelard, Frédéric Pattar se préoccupe principalement d’articulation entre musique, texte et représentation visuelle. Dans ses œuvres, les flux rythmiques déferlent en vagues continues et nourrissent la toile harmonique, créant ainsi des perspectives sonores souvent inouïes. L’on retrouve toutes ces caractéristiques dans le Quatuor àcordes n° 2 dont il vient de confier la création au Quatuor Béla, qui s’est joué de toutes les difficultés de l’œuvre nouvelle avec une dextérité impressionnante. La partition est construite en un mouvement unique subdivisée en quatre parties, et chaque instrument est traité en soliste. L’œuvre est ouverte par le premier violon jouant sur la chanterelle sur la nuance pianissimo, tandis que les autres instruments émettent le son du vent, avant de se faire de plus en plus présents, émettant de véritables fusées de sons. Le quatuor est tout en dentelles, en légèreté, les ourlets étant finement couturés. Les pizzicati et les piqués d’archets sont finement rythmés, l’œuvre entière trahissant la sensibilité à fleur de peau du compositeur. 

Concert du Quatuor Béla en l'église de La Grave. Photo : (c) Bruno Serrou

Le Quatuor Béla a joué cette partition tout en délicatesse et en élégance, comme il le fera ensuite avec le Quatuor à cordes n° 2 op. 36 que Benjamin Britten (1913-1976) a composé en 1945 sur lequel ils ont conclu leur programme.


Bruno Serrou

Le Verbier Festival, la musique sur les cimes

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Verbier (Valais Suisse). Verbier Festival. Salle des Combins, Eglise. Vendredi 17, samedi 18 et dimanche 19 juillet 2015

Les Monts Combins vus depuis Verbier. Photo : (c) Bruno Serrou

Les deux festivals qui m’ont conduit dans les Alpes la semaine dernière sont l’émanation de deux univers opposés. Après le climat familial, passionné et spontané, et le cadre sauvage du premier, enchaîner à quelques heures de là dans un festival managé à la façon des plus grandes institutions musicales mondiales qui attire les grandes stars internationales dans un environnement plus abondant et serein constitue un véritable électrochoc.

Une rue de Verbier. Photo : (c) Bruno Serrou

Après la chaleur exceptionnelle qui a frappé le Festival de Messiaen au Pays de La Meije durant les quatre jours que j’y ai passés, le temps a tourné dès mon arrivée au Festival de Verbier. Les trois soirées de mon séjour en Suisse ont été abondamment arrosées par les caprices du ciel qui, à une cinquantaine de kilomètres de là à vol d'oiseau (mais à plus de sept heures de voyage en voiture puis en train enfin de nouveau en voiture), dans les Hautes-Alpes, ont conduit à l’annulation du rendez-vous majeur de l’édition 2015 du Festival Messiaen, le concert de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg à flanc de montagne… 

Caliquot du Verbier Festival 2015. Photo : (c) Bruno Serrou

Plantée face aux Monts Combins et au Mont-Blanc dans le Valais, Verbier est l’une des stations alpines les plus  huppées. L’été, elle attire depuis la création en 1994 du festival qui porte son nom le gotha de la musique, à l’exception des compositeurs. Tous ceux qui y viennent savent en effet que l’important est la transmission aux générations futures pour que la musique classique se pérennise, pour contrecarrer les oiseaux de mauvais augure qui visent sa perte en lui collant l’étiquette « élitiste ». Sur les hauteurs des Alpes Suisses, les meilleures conditions sont offertes pour travailler et rêver.

Le Verbier Festival Orchestra. Photo : (c) Aline Paley

Cette année, les heureux instrumentistes lauréats des sélections faites à New York, Berlin, Paris, Madrid, Genève et Zurich pour constituer le Verbier Festival Orchestra 2015, ont eu l’heureuse surprise d’être dirigés pour le concert d’ouverture le 17 juillet par le compositeur chef d’orchestre finlandais Esa-Pekka Salonen, qui a remplacé au pied levé James Levine, souffrant. Parmi les solistes avec qui ils vont jouer ou qui joueront ensemble dans le cadre de concerts de musique de chambre, rien moins que Yuri Bashmet, András Schiff, Mikhaïl Petrenko, les frères Gautier et Renaud Capuçon, Ton Koopman, Grigory Sokolov, Leonidas Kavakos, Angela Gheorghiu, Truls Mørk, Katia Buniatishvili, Joshua Bell, Antoine Tamestit, Matthias Görne, Menahem Pressler… Dix-sept jours durant, à raison de cinq concerts par jour, ce sont cent six musiciens de haut rang qui se retrouvent dans des programmes de musique de chambre et se produisent avec cent cinquante jeunes des deux orchestres du festival.

La Salle des Combins. Photo : (c) Aline Paley

Fondé en 2000, le Verbier Festival Orchestra, qui a déjà vu passer neuf cent cinquante musiciens, accueille dans cet orhestre de jeunes instrumentistes de 18 à 28 ans de vingt-huit nationalités sélectionnés parmi onze cent treize candidats auditionnés à Berlin, Genève, Madrid, Paris, New York et Zurich. Le plus fort contingent des quatre vingt seize musiciens, dont quarante nouveaux, provient des Etats-Unis, avec trente membres, suivis des Français, avec quatorze participants, puis sept Coréens et quatre Suisses. Il leur est possible de participer à trois sessions réparties sur trois ans. Six chefs dirigeront cet été cet orchestre. Les répétitions ont commencé avec les coaches trois semaines avant l’ouverture du festival. Après Esa-Pekka Salonen, se succèdent Valéry Gergiev, Manfred Honeck, Zubin Mehta et son directeur musical Charles Dutoit pour autant de programmes différents. Les treize coaches, dont le chef assistant, sont membres du Metropolitan Opera Orchestra de New York. 

Le Verbier Festival Chamber Orchestra. Photo : (c) Nicolas Brodard

Tandis que le Verbier Festival Chamber Orchestra, créé en 2006, est composé d’anciens musiciens du premier orchestre, au nombre de quarante-quatre de dix-neuf nationalités, pour la plupart professionnels. A leur tête cette quinzaine-ci, son directeur musical Gábor Takács-Nagy, Ton Koopman, Thomas Quasthoff, Paul McCreesh et Joshua Bell. A ces deux formations administrées par le Français Pierre Barrois, il convient d’ajouter le Verbier Festival Music Camp Orchestra lancé en 2013 et qui s’adresse aux jeunes musiciens âgés de quinze à dix-sept ans dont le directeur musical est le Britannique Daniel Harding, directeur musical désigné de l’Orchestre de Paris.

La Salle des Combins vue de l'intérieur. Photo : (c) Aline Paley

Verbier c’est aussi la musique de chambre. Le grand violoncelliste américain Lynn Harrell y enseigne. La pédagogie est depuis plus d’un demi-siècle la cinquième corde de son instrument, et il est l’un des piliers du Festival de Verbier. « J’aime particulièrement la montagne. Mon père, qui était baryton, est membre fondateur du Festival d’Aspen. Or, Verbier est le seul festival de haut niveau européen à se dérouler dans un lieu comparable. J’aime à y retrouver mes collègues du monde entier avec qui je peux librement échanger ici idées et conseils. Je suis un éternel étudiant, et j’apprends tous les jours de mes collègues et de mes élèves. L’ambiance est autant au travail qu’à l’amitié. »

Joyce DiDonato (mezzo-soprano), Esa-Pekka Salonen et le Verbier Festival Orchestra. Photo : (c) Bruno Serrou

Arrivé l’avant-veille du concert, le temps de trois répétitions, Esa-Pekka Salonen a offert à la tête du Verbier une prestation digne de ce qu'il fait avec les plus grands orchestres internationaux, malgré l’exigence du programme, avec deux œuvres de virtuosité, Till l’espiègle de Richard Strauss, les Nuits d’été d’Hector Berlioz avec rien de moins que la grande cantatrice Joyce DiDonato, et une page touffue si l’on n’y prend garde, la Symphonie « Rhénane » de Robert Schumann. Contacté une semaine à peine avant le concert inaugural qu’il devait diriger en remplacement de James Levine, rappelait Pierre Barrois, Salonen est arrivé le mercredi matin, a dirigé sa première répétition de trois heures le soir-même, deux autres ont suivi jeudi, avant la générale et le concert de vendredi. Ce dernier a échappé à la pluie, qui a eu la bonne idée de s’abattre sur l’immense chapiteau de la Salle des Combins. 

Esa-Pekka Salonen. Photo : DR

Salonen s’est acquitté avec talent de la lourde tâche de remplacer son confrère étatsunien James Levine pour qui le public était initialement venu en nombre. Si beaucoup se disaient déçus avant le début de concert, l’immense majorité du public s’est félicitée dès l’entracte de ce remplacement inattendu. Dès le poème symphonique de Richard Strauss Till Eulenspiegels lustige Streiche op. 28il est apparu évident que la collusion chef/orchestre était parfaite. Cela malgré de légers flottements dans les attaques, les couleurs straussiennes, les tensions dramatiques des saynètes, les grincements du feu follet moqueur et l’orchestration foisonnante de ce court mais vivifiant poème symphonique se sont avérés étincelants, avivé par les gestes flexibles et énergiques de Salonen. 

Joyce DiDonato, Esa-Pekka Salonen et le Verbier Festival Orchestra. Photo : (c) Nicolas Brodard

Le chef finlandais a réussi à obtenir de son jeune orchestre d’un soir des textures cristallines et fluides, une transparence et un nuancier d’une subtilité incroyable dans les Nuits d’étéop. 7 d’Hector Berlioz. Il s’est également fait particulièrement attentif à l’égard de sa soliste, la brillante mezzo-soprano étatsunienne Joyce DiDonato, voix délectable au timbre lumineux capable des pianissimi les plus indicibles qui, en dépit d’une diction aléatoire et d’un vibrato un peu trop large dans la Villanelle, a donné de ce cycle de six mélodies sur des poèmes de Théophile Gautier une ardente interprétation, atteignant des sommets d’émotion pure dans le Spectre de la rose et, surtout, Au cimetière, Clair de lune. Orchestrée gras et en énormes blocs sombres et opaques, la Symphonie « Rhénane » de Robert Schumann est beaucoup moins flatteuse pour les orchestres. Seule la section des cors est favorisée, ce à quoi les cinq jeunes titulaires du VFO ont su tirer profit pour s’illustrer. La caractéristique majeure de Salonen qui est de veiller à la clarté et au moelleux des textures a permis de donner au mouvement lent central un tour plutôt limpide, quasi chambriste.

Lynn Harrell. Photo : (c) Christian Steiner

Le lendemain matin, en l’église de Verbier, Lynn Harrell et Anna Malikova, qui remplaçait au pied levé Zhang Zuo, ce qui a valu du même coup des modifications du programme qui s’est avéré moins original, la Sonate pour arpeggione et piano D. 821 de Schubert et deux pages de Mendelssohn remplaçant les Petites pièces op. 11 de Webern, la Sonate de Debussy et l’Introduction et polonaise brillante op. 3de Chopin. En fait, seules les Sept Variations sur « Bei Männen, welche Liebe fühlen » de la Flûte enchantée de Mozart WoO46 de Beethoven sont restées de ce qui était initialement prévu, car même la Sonate n° 3 pour violoncelle et piano de Beethoven a été remplacée par la Sonate n° 5 pour violoncelle et piano en ré majeur op. 102/2. Tant et si bien que le jeu du violoncelliste américain est apparu moins ample et plus contraint que de coutume, tandis que la pianiste ouzbèque s’est avérée attentive à ne pas couvrir son partenaire dans les Variations beethovénienne et à le soutenir plutôt qu’à dialoguer avec lui. 

András Schiff et le Verbier Festival Chamber Orchestra. Photo : (c) Bruno Serrou

Le soir venu, la pluie est venue perturber sérieusement le concert sous chapiteau. Ajoutée aux grondements du tonnerre, celle-ci s’est ingéniée à couvrir le Verbier Festival Chamber Orchestra avec lequel elle a jouée non sans une certaine espièglerie. Il faut dire que le directeur musical de la phalange instrumentale, Gábor Takács-Nagy qui le dirigeait, a fait preuve d’humour, de bonne humeur et d’excellente constitution en interrompant avec le sourire l’exécution de la judicieusement choisie en cette soirée d’intempérie Symphonie n° 94 en sol majeur « la Surprise » de Joseph Haydn. Après en avoir dirigé les deux premiers mouvements, le chef hongrois en a interrompu l’exécution, levant les bras au ciel tout en se retournant vers le public, d’un air désolé mais avec le sourire, attendant stoïquement que l’orage se calme, avant de reprendre la totalité de l’œuvre, expriment à l’auditoire l’impossibilité de reprendre une œuvre en son milieu après une pause de plus d’un quart d’heure. 

Gábor Takács-Nagy. Photo : (c) Nicolas Brodard

En dépit de ces contraintes, à la tête d’une formation aguerrie, Takács-Nagy a donné de la symphonie de Haydn une interprétation au cordeau, aux arêtes vives, mais singulièrement chantante et nuancée. Lorsque son compatriote András Schiff s’assoit devant le clavier du Steinway de concert griffé Verbier Festival pour attaquer le Concerto n° 3 pour piano et orchestre de Bartók, l’orage reprend et redouble de puissance, allant à l’encontre du moins téméraire et percussif des concertos du compositeur hongrois. Aucune interruption cependant n’a été décidée, et c’est à grand peine que l’on a pu entendre l’exécution du concerto, Schiff jouant d’un nuancier particulièrement raffiné et exaltant une musicalité extrême, que la légèreté des textures du VFCO a magnifiée en dépit des intempéries résonnant bruyamment sur le toit du chapiteau. Ces conditions exécrables n’ont pas eu raison de l’enthousiasme du public auquel Schiff a répondu en offrant en bis la tempétueuse Bagatelle op. 126/4 de Beethoven. Après une interruption de plus d’une demi-heure, le concert a repris profitant d’une accalmie, pour une autre œuvre de Beethoven, la Symphonie n° 6 en fa majeur op. 68 « Pastorale ». Cette fois, l’auditoire a pu goûter la délicatesse des textures, la souplesse des attaques, la chaleur des cordes. Quant à l’orage de Beethoven, il a pris le dessus sur celui de la nature qui s’est définitivement effacé pour ne plus perturber le concert jusqu’à la fin.

L'intérieur de l'église de Verbier. Photo : (c) Aline Paley

Dimanche matin, l’église de Verbier a servi d’écrin à une remarquable prestation du Pavel Haas Quartet, ensemble tchèque qui s’est placé sous le patronyme du compositeur tchèque Pavel Haas (1899-1944) mort à Auschwitz durant l’holocauste. Deux œuvres de Dvorak ont encadré une page plus anecdotique de Luigi Boccherini, le Quintette pour guitare et cordes n° 4 en ré majeur G. 448 « Fandango », programmé pour mettre en valeur le jeune guitariste monténégrin Milos Karadaglic, mais c’est le violoncelliste du groupe, Peter Jarůšek, qui a imposé son instrument en le faisant sonner comme une énorme guitare aux sonorités infinies, du do grave aux harmoniques les plus aiguës. Dans Dvorak, les Haas ont joué dans leur jardin. Que ce soit à trois, dans les Quatre Miniatures pour deux violons et alto op. 75a sur lequel s’est ouvert le concert, comme dans le célébrissime Quatuor à cordes n° 12 en fa majeur op. 96 « Américain », joué avec ferveur et humanité serti des luxuriantes sonorités de son premier violon, Veronika Jarůšková.

Edgar Moreau, Ana Chumachenko, Gautier Capuçon, Blythe Teh Engstroem et Roberto Gonzales-Monjas. Photo : (c) Bruno Serrou

Le dernier concert du Festival de Verbier auquel j’ai assisté cette année était plutôt dense. Dix interprètes se sont croisés et/ou côtoyés sur le plateau de l’église dans un vaste programme ouvert sur sept mélodies de quatre compositeurs russes pour baryton, avec piano… et violoncelle, Anton Stepanovitch Arenski, Alexandre Borodine, Mikhaïl Glinka et Piotr Ilitch Tchaïkovski. Enchainées les unes aux autres comme s’il s’agissait d’un même recueil, suscitant ainsi une lassitude palpable tant les pages sont apparues semblables. Le talent du baryton russe Mikhaïl Petrentko n’a rien pu y faire, écrasé par la lourdeur de l’archet et la justesse approximative du violoncelle de Mischa Maisky, et par le piano excessivement sonre d’Alexander Melnikov. Melnikov qui a ensuite tiré la couverture à lui dans la rare et pourtant passionnante Suite pour deux violons, violoncelle et piano pour la main gauche op. 23 qu’Erich Wolfgang Korngold a composée en 1930 pour Paul Wittgenstein, qui est à l’origine de quantité d’œuvres pour la main gauche, dont le Concerto en ré majeur de Ravel. Le pianiste russe s’est cru dans une partition de Chostakovitch, oubliant qu’il s’agissait en fait d’une œuvre d’un Viennois écrite pour un Viennois. Au poste de premier violon, Renaud Capuçon s’est fait trop discret et son archet s’est avéré trop lourd, laissant curieusement la primauté au second violon tenu par Alexandra Conunova, tandis que le violoncelliste Edgar Moreau a été le seul à faire chanter son instrument. La seconde partie du concert était entièrement occupée par le merveilleux Quintette à cordes avec deux violoncelles en ut majeur D. 956 de Schubert. Les cinq solistes réunis pour l’occasion sont parvenus à fusionner la diversité de leurs personnalités pour viser au même but, faire chanter cette œuvre admirable avec une profonde humanité, sous la conduite de la remarquable violoniste russe Ana Chumachenco, qui a exalté des sonorités vif-argent, soutenue avec élan par le violoniste espagnol Roberto Gonzales-Monjas, tandis que l’altiste américaine Blyth Teh Engstroem, épouse du directeur du Verbier Festival, a imposé la présence chaleureuse de son instrument. Côté violoncelles, le premier était tenu par Edgar Moreau, qui a su se fondre avec infiniment de tact au quatuor, tandis que le second était joué par Gautier Capuçon, qui s’avère excellent chambriste, se montrant plus concentré et humble qu’en situation de soliste.

Bruno Serrou

Jusqu’au 2 août 2015. La majorité des concerts du Verbier Festival est diffusée sur www.medici.tv

Ninet’InfernO de Roland Auzet, compositeur-dramaturge, puise dans les Sonnets de William Shakespeare

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Barcelone (Espagne), Festival Grec 15, Teatre Lliure de Montjuïc. Samedi 25 juillet 2015

Roland Auzet (né en 1964), Ninet'InfernO. Pascal Greggory (en bas), Mathurin Bolze (en haut). Photo : (c) Christophe Raynaud de Lage

Compositeur, percussionniste et metteur en scène qui se définit lui-même comme un « écrivain de plateau », directeur général et artistique du Théâtre de la Renaissance d’Oullins depuis juin 2011, Roland Auzet est à cinquante et un ans un artiste polymorphe. Elève de Georges Bœuf (composition) et de Gérard Bazus (percussion) au Conservatoire de Marseille, puis de Gaston Sylvestre au Conservatoire de Rueil-Malmaison, avant d’entrer au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris et à l’Ecole de Cirque d’Annie Fratellini, Prix de la Fondation Bleustein-Blanchet en 1991, il réalise l’année suivante le drame musical Histoire d’un Faust avec Iannis Xenakis. « Il est le maître que je relis sans cesse, dit Auzet à propos de Xenakis, et avec qui j’essaie de me frayer un chemin de pensée et de construction des projets que je conduis. » 

Roland Auzet (né en 1964). Photo : (c) Guy Vivien

En 1997, Roland Auzet suit le cursus de Composition et d’informatique musicale de l’IRCAM dans le cadre duquel il conçoit OROC.PAT, suivi du Cirque Tambour, et de Schlag !. Il réalise ensuite plusieurs projets artistiques en collaboration avec des artistes de cirque (Jérôme Thomas, Mathurin Bolze), des plasticiens comme Giuseppe Penone, des chorégraphes (Angelin Preljocaj, François Raffinot), des metteurs en scène (Jean-Louis Hourdin). Il fonde en 2000 la compagnie Act-Opus avec laquelle il est en résidence à l’Espace des Arts de Chalon-sur-Saône entre 2005 et 2011. Il y compose et met en scène ses projets, souvent construits à partir de textes d’Ovide, Maurice Dantec, Eduardo Arroyo, Fabrice Melquiot, Laurent Gaudé, Christophe Tarkos. Sa vingtaine de pièces de théâtre musical et œuvres scéniques sont pour lui autant de moyens de sensibiliser le public à la musique contemporaine et d’aborder les thèmes fondamentaux de la vie.

Roland Auzet (né en 1964), Ninet'InfernO. De gauche à droite : Steven Schick, Pascal Greggory et Mathurin Bolze. Photo : (c) Christophe Raynaud de Lage

Commande du Théâtre de l’Archipel, scène nationale de Perpignan, coproduit par Grec Festival de Barcelone, le Théâtre du Gymnase de Marseille, l’Orchestre Symphonique de Barcelone et National de Catalogne, et la Compagnie Roland Auzet Act-Opus, Ninet’InfernO est un monodrame pour récitant et son miroir,  personnage muet tenu par un artiste de cirque dont Roland Auzet, comme à son habitude, a imaginé le sujet, conçu la musique et réalisé la mise en scène. A l’instar de son opéra multimédia Steve V (King Diffrent)pour l’Opéra de Lyon où il a été créé en mars 2014 centré sur la figure de Steve Job, le fondateur d’Apple, mais puisé chez Shakespeare et son Henry V dont il a sélectionné des fragments, Auzet pour ce « Théâtre musical pour un comédien, un artiste de cirque et grand orchestre » s’est de nouveau tourné vers le dramaturge anglais, puisant cette fois dans ses Sonnets. Dans ses cent cinquante quatre poèmes, Shakespeare peint le désir, l’amour, la procréation, la beauté, la douleur, le manque, la colère, la nostalgie, le temps qui passe, la brièveté de la vie. Mais la majorité des sonnets (de 18 à 126) est écrite pour un jeune homme et exprime l’amour que le poète lui porte. Ce sont ces derniers qui ont inspiré la dramaturgie d’Auzet, qui à travers eux s’attache au fracas et tourments du manque amoureux d’un vieil homme pour son cadet. L’un cherche à comprendre, harcèle, hurle à la trahison ; l’autre joue de son corps qui voltige sur les mots de la passion. Chacun veut l’autre, précise Auzet, dans l’impétueux besoin de la réduire à merci dans le vertige de le faire durer pour le « déguster », mettre un terme à l’existence de l’autre, chacun s’expriment avec son langage, l’un usant du verbe, l’autre le silence et le mime.

Roland Auzet (né en 1964), Ninet'InfernO. Mathurin Bolze (debout et Pascal Greggory. Photo : (c) Christophe Raynaud de Lage

A cour et à jardin, un orchestre symphonique constitué de quatre-vingts musiciens intervient de temps à autres à la façon du chœur antique représentant l’opinion publique rugissant, revendiquant et exprimant des sentiments si multiples que la polyphonie des mots en est singulièrement bigarrée au point qu’elle en devient si incompréhensible tout en agissant tel un miroir tour à tour humain, animal, spirituel. Il commente et agit, prend parti, conteste, écrase les deux protagonistes de sa puissance totalitaire. Au climax de la pièce qui se situe aux deux-tiers du parcours, le chef d’orchestre finit par disjoncter au milieu d’un crescendo explosif, avant de se calmer et retrouver ses esprits.

Roland Auzet (né en 1964), Ninet'InfernO. Steven Schick (à gauche), Mathurin Bolze (acroché au lustre), Pascal Greggory (au centre) et une partie de l'Orquestra Simfònica de Barcelona i Nacional de Catalunya (OBC). Photo : (c) Christophe Raynaud de Lage

Donné en création mondiale à Barcelone dans le cadre du festival Grec 15 au Teatre Lliure où il a dû s’abriter à cause d’une alerte météo qui ne s’est pas réalisée alors qu’il devait être présenté dans un théâtre de plein air, Nonet’Infernoa permis de retrouver l’un des acteurs fétiches de Patrice Chéreau et d’Eric Rohmer, Pascal Greggory, qui vit littéralement le texte qui lui est confié. Seul regret, mais de taille dans une salle de théâtre, une sonorisation excessive conçue en fonction du plein air et non retravaillée compte tenu de l’urgence du transfert. Tant et si bien que cet excellent comédien n’a pas pu adapter au nouveau lieu son débit ni, surtout, les modulations de sa voix dont la puissance s’est du coup avérée excessive à l’instar de l’articulation. Face à lui, l’excellent artiste de cirque Mathurin Bolze, qui s’exprime avec son corps tel un mime-danseur-acrobate, évoluant sur des chaises, qu’il renverse violemment concurremment avec son partenaire, avant d’en planter une demi-douzaine sur un praticable qu’il ne va guère quitter, malgré les angles plus ou moins raides que ce dernier va être appelé à adopter. La partie électronique, grondante tel un faux-bourdon perpétuel, ajoute à la tension et au désespoir exprimés par le comédien, tandis que l’orchestre s’exprime épisodiquement dans un style postromantique, défait de toute tentation pour l’inouï, comme si Roland Auzet avait tout fait pour ne pas détourner l’attention de l’oreille pour le texte, mais au contraire en souligner les saillies et la signification. Il convient d’ailleurs d’ajouter à la performance des acteurs, celle du chef percussionniste étatsunien Steven Schick, qui, à la tête de l’Orquestra Simfònica de Barcelona i Nacional de Catalunya (OBC) participe activement à l’action, au point de s’y immiscer promptement au moment du climax. Dans une scénographie de Goury parfaitement adaptée, la mise en scène d’Auzet est réglée au cordeau pour donner une impression de liberté totale au jeu des deux protagonistes.

Roland Auzet (né en 1964), Ninet'InfernO. Steven Schick et Mathurin Bolze. Photo : (c) Christophe Raynaud de Lage

Il est regrettable que ce spectacle n’ait été donné qu’une fois, car il ne manquera pas de murir avec le temps et l’expérience. Autre regret, il faudra attendre jusqu’à l’automne 2016 pour assister à une reprise, annoncée notamment par le festival Aujourd’hui Musiques de Perpignan Théâtre de l’Archipel, son producteur délégué. Cela parce pour des raisons de calendrier de l’OBC, alors même que, lors d’une conférence de presse à Barcelone, Roland Auzet a annoncé qu’une version pour électronique allait être réalisée pour se substituer à l’orchestre « live » en prévision d’une telle situation.

Roland Auzet (né en 1964), Ninet'InfernO. De gauche à droite : une partie de l'Orquestra Simfònica de Barcelona i Nacional de Catalunya (OBC), Steven Schick, Pascal Gregory, Mathurin Bolze, une partie de l'Orquestra Simfònica de Barcelona i Nacional de Catalunya (OBC). Photo : (c) Christophe Raynaud de Lage

Pour ma part, je me souviendrai des conditions dans lesquelles j’ai assisté à cette création. Conditions qui ont perturbé mon jugement dans un premier temps, et qui m’ont conduit à laisser passer un peu de temps avant d’en faire le compte-rendu. Dix heures de voyage dont six heures d'aéroport (cinq heures à CDG dont trois dues à une « panne hydraulique » sur l’Airbus que nous devions emprunter sans qu’Air France songe un instant à offrir la moindre bouteille d’eau à ses clients désemparés mais patients, une heure à Barcelone), trente minutes d’attente d’un taxi pour six personnes, une heure de tapas sur la terrasse du Théâtre Lliure, quatre-vingts minutes de spectacle avec devant moi, plein axe, le trop fameux photographe François-Marie Banier (celui de l’Affaire Bettencourt) qui, malgré les demandes réitérées par le personnel de salle avant le début de la représentation de ne pas filmer et les rappels et tentatives d’interruption des ouvreuses, a filmé avec son iPhone, bras tendus au-dessus de son crâne, la quasi-totalité du spectacle, gênant ainsi sans autre forme de... procès (!) le public assis derrière lui, puis de nouveau attente d’un taxi qui n’est jamais venu pour découvrir enfin l’hôtel qui nous avait été réservé place d'Espagne, où nous nous sommes finalement rendus à pied. Arrivés à l’hôtel, nos chambres avaient disparu de l’ordinateur de l'hôtel... Pendant la longue attente, une sono égrenait à tue-tête une horrible et tonitruante muzak… Ce qui me conduit à souhaiter une nouvelle audition le plus rapidement possible de ce spectacle dans des conditions plus « cool » donc plus à aptes à susciter une perception plus sereine.

Bruno Serrou

Pierre Amoyal, le Fine Arts Quartet et Michel Lethiec ont ouvert le Festival Pablo Casals de Prades 2015

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Prades (Pyrénées-Orientales), Festival Pablo Casals, Eglise Saint-Pierre de Prades et Abbaye Saint-Michel-de-Cuxa, dimanche 26 et lundi 27 juillet 2015

L'Abbaye de Saint-Michel-de-Cuxa. Photo : (c) Bruno Serrou

Créé voilà soixante-cinq ans par le grand violoncelliste dont elle porte le nom arrivé à Prades en 1939 après le coup d’Etat franquiste et la chute de la République espagnole à Barcelone, le Festival Pablo Casals irrigue depuis sa fondation toute une région de la Catalogne française, le Conflent, de Rodès à Mont-Louis, avec Prades, la capitale, pour épicentre.

Le retable baroque de l'Eglise Saint-Pierre de Prades. Photo : (c) Bruno Serrou

C’est à Prades qu’a été organisé à l’instigation de Casals le tout premier concert, le 2 juin 1950, au pied du célèbre retable de l’église Saint-Pierre qui évoque la vie de l’apôtre à qui le Christ a confié les clefs du paradis. Au programme, Jean-Sébastien Bach, bicentenaire de la mort du Cantor de Leipzig oblige et seul compositeur à pouvoir sortir Casals de son mutisme. Ce concert a réuni autour de lui rien moins que son confrère Paul Tortelier, les violonistes Isaac Stern, Alexander Schneider, Joseph Szigeti, l’altiste William Primrose, le pianiste Rudolf Serkin… En un mot comme en cent, les plus grands musiciens de la planète. Ils y ont découvert des édifices d’une âpre beauté, telle l’abbaye de Saint-Michel de Cuxa rénovée grâce à Casals et dont les pierres racontent l’histoire du festival dont elle est le centre névralgique. « Nous allons aussi sur les traces des peintres, remarque Michel Lethiec, directeur artistique du festival. Par exemple à Céret, où Picasso, ami des musiciens, a offert une collection d’assiettes au musée. La conservatrice nous y accueille et nous mettons en regard musique et peinture. Nous improvisons sur les œuvres exposées qu’elle présente. Nous faisons la même démarche au musée de Sérignan. Au Palais des Rois de Majorque de Perpignan, où jouait Casals, nous offrons chaque année un concert grand public gratuit. Nous allons jusque dans l’Hérault, à Saint-Guilhem-le-Désert, où le maire nous prête l’abbaye de Gellone. » Autres cadres uniques pour un festival, la Grotte des Grandes Canalettes, le Prieuré de Serrabonne, les églises de Cattlar, Corneilla-de-Conflent, Villefranche-de-Conflent et Vinça, Vernet-les-Bains, le Grand Hôtel de Molitg-les-Bains où Casals descendait pour des cures et où son piano est toujours exposé tandis que son carillon le Chant des oiseauxsonne les heures, l’abbaye Saint-Martin-du-Canigou… « Nous choisissons nos programmes en fonction des lieux, confie Lethiec. Par exemple les ’’mélodies en sous-sol’’ dans la grotte, avec une œuvre en sol mineur et une autre dédiée aux victimes du tremblement de terre de Tōhoku. » Ainsi, à Prades, dans la continuité humaniste de Casals, musique et patrimoine sont étroitement mêlés, agrégeant pédagogie, humour, sensibilité artistique et tourisme.

Pierre Amoyal, Jurek Dybal et le Sinfonietta Cracovia. Photo : (c) Hugues Argence

Le programme du premier concert de l’histoire du Festival Pablo Casals de Prades reconstitué

Cette année, j’ai personnellement été un peu décontenancé par le calme qui a régné sur Prades durant les deux jours que j’y ai passés. En effet, contrairement à mes habituels séjours, trois ans après mon dernier passage dans ce festival que je fréquente depuis plus de vingt ans, les cent quarante six stagiaires de vingt-deux nationalités de l’Académie internationale de musique qui animent généralement la paisible cité du pied du Mont Canigou n’étaient pas encore arrivés, et, n’assistaient donc pas aux concerts de leurs professeurs. Il n’empêche, organisé dans la nef de l’Eglise Saint-Pierre, le concert d’ouverture était archi-comble. Il faut dire que le soliste à l’affiche ce soir-là est aussi célèbre que rare, puisqu’il s’agissait du violoniste Pierre Amoyal, célébrité qui va bien au-delà du vol en 1987 en Italie de son Stradivarius qu’il avait laissé le temps d’une emplette dans sa Porsche non fermée à clef, et qu’il retrouvera quatre ans plus tard. Contrairement aux musiciens invités à Prades appelés à se produire plusieurs fois et à séjourner durant les deux semaines de l’Académie, Amoyal n’aura fait que passer le temps de cette soirée. Il s’agissait pour Michel Lethiec de présenter le même programme pour l’ouverture de l’édition 2015 que celui du tout premier rendez-vous de l’histoire du festival, en juin 1950, avec une tête d’affiche aussi réputée que toutes celles réunies voilà soixante-cinq ans. Mais, si Pierre Amoyal est apparu digne de sa réputation et de ses aînés, ce n’aura pas été le cas de l’ensemble polonais qui lui a donné la réplique, le Sinfonietta Cracovia dirigé par Jurek Dybal, infiniment moins aguerri que celui de 1950. Le Concerto brandebourgeois n° 6 en si bémol majeur BWV 1051 pour deux violes « da braccio », deux violes de gambe, un violoncelle et basse continue a beau avoir été joué sur instruments modernes (à l’exception du clavecin), les parties d’altos ont rapidement révélé la virtuosité limitée des cordes de cette formation en effectifs réduits.

Pierre Amoyal. Photo : (c) Hugues Argence

Même impression dans le Concerto pour deux violons en ré mineur BWV 1043, les sonorités solaires et le jeu maîtrisé d’Amoyal ne trouvant pas son pendant dans son partenaire d’un soir, Maciej Lulek, violon solo du Sinfonietta Cracovia, à l’archet pesant et dur et à la justesse approximative. Soutenu par un ensemble plutôt discret, Amoyal a imposé son jeu assumé et sa plénitude sonore dans le Concerto pour violon en mi majeur BWV 1042, tandis que, pour finir, les cordes de la formation polonaise étaient favorablement rejointes par des bois (deux hautbois et un basson) solides et onctueux. Contrebassiste au sein du Philharmonique de Vienne et directeur du Sinfonietta Cracovia, Jurek Dybal n’économise guère son énergie, s’investissant à l’excès en regard des nécessités des œuvres programmées et des résultats qui émanent de sa gestique pour le moins envahissante - que sera-ce lorsqu’il dirigera la Symphonie « des Mille » de Mahler ?...

Le choeur de l'Abbaye Saint-Michel-de-Cuxa. Photo : (c) Bruno Serrou

Le Fine Arts Quartet et Michel Lethiec

Dans la salle emblématique du Festival de Prades qu’est l’Abbaye Saint-Michel-de-Cuxa, devant un parterre moins fourni que la veille, le public ayant sans doute été refroidi par la présence au programme d’une « œuvre contemporaine », le Fine Arts Quartet de Chicago a imposé sa technique et son entente infaillibles. Une curiosité, le premier des deux Quatuor à cordes de Serge Rachmaninov, celui composé à l’âge de 16 ans et qu’il laissa inachevé au terme du second mouvement, Scherzo - le second quatuor, quoique de sept ans postérieur et révisé en 1910 et 1913, subira le même sort. L’originalité de cet essai est la Romance initiale exécutée d’un bout à l’autre avec sourdines et l’évocation au violoncelle de la balalaïka.

Michel Lethiec, directeur du Festival Pablo Casals de Prades, présente le concert du 28 juillet 2015 en l'Abbaye Saint-Michel-de-Cuxa. Photo : (c) Bruno Serrou

La pièce centrale du programme était la première audition en France d’un très long quintette du compositeur états-unien David Del Tredici (né en 1937), Magyar Madness pour clarinette et quatuor à cordes, donné en présence de son auteur par le Fine Arts Quartet rejoint par Michel Lethiec. « Les compositeurs américains sont les meilleurs, s’est aventuré Del Tredici dans une interview de juillet 2002. Actuellement, nous sommes le cœur de l’énergie créatrice. Nous sommes les plus hétéroclites, les plus iconoclastes, les plus francs-tireurs, les plus habiles. Autant que je puisse le mesurer, l’Europe est encore claquemurée dans une sorte d’étau atonal. Ses compositeurs ont de très pauvres parents - si vous pensez à Stockhausen, Boulez, Nono, l’ensemble de ces gens sont des morts-vivants accrochés à des cintres -, alors qu’en Amérique nous sommes épanouis. Nous sommes toutes sortes de choses, minimalistes, tonals, atonals, pop’ music intégrée à la musique contemporaine… L’Amérique est un immense chaudron singulièrement vivant. Cela me rappelle le début du XXesiècle où tout se passait en Europe, qui était alors variée et multiple. » Avec de telles convictions, il était permis d’espérer quelque audace de la part de ce « créateur ». 

Le Fine Arts Quartet et Michel Lethiec. Photo : (c) Hugues Argence

Or, la seule impression qui est résultée de cette partition de plus de quarante minutes, en dehors de son introduction plutôt confuse au point de titiller brièvement l’oreille, est la somnolence, le vide sidéral, le néo-tout-ce-que-l’on-veut mais tragiquement en-deçà des originaux, y compris de Cole Porter dont un court standard revient constamment et finit par vite lasser. Seule la clarinette, totalement absente dans le mouvement lent central, séquence interminable néo-larmoyante réservée au seul quatuor, se voit offrir le privilège d’un traitement non pas plus audacieux mais plus varié, indépendant et virtuose, ce dont a su profiter Michel Lethiec pour se mettre opportunément en valeur, tandis que le Fine Arts Quartet assumait a minima sa partie.

Le Fine Arts Quartet. De gauche à droite : Robert Cohen (violoncelle), Ralph Evans (premier violon), Juan-Miguel Hernandez (alto) et Efim Boico (second violon). Photo : (c) Bruno Serrou 

Ce qui n’a pas été le cas dans le Quatuor à cordes n° 1 en la mineur op. 41/1 de Robert Schumann. Les quatre archets de Chicago ont offert une interprétation saisissante, avec le premier violon tenu par Ralph Evans dont on eut cependant aimé un peu plus de luminosité, le violoncelle chaleureux de Robert Cohen et, surtout, l’alto de Juan-Miguel Hernandez exaltant des sonorités épanouies et charnelles, ont érigé un dialogue voluptueux, tandis que le second violon d’Efim Boico y a apporté sa touche aussi délectable qu’efficace de couleurs et de flamme.

Bruno Serrou

Le Festival Pablo Casals de Prades continue jusqu’au 13 août 2013. www.prades-festival-casals.com



Le Festival de Menton, à 65 ans et aux côtés des artistes prestigieux qui s’y produisent, est l’un des tremplins les plus actifs des jeunes musiciens de talent

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Menton (Alpes-Maritimes), Parvis de la basilique Saint-Michel-Archange, Musée Cocteau et Esplanade Francis-Palmero, mardi 5, mercredi 6 et jeudi 7 août 2015

Festival de Musique de Menton, le parvi de la basilique Saint-Michel-Archange et la vue sur la Méditerranée et l'Italie. Photo : (c) Bruno Serrou

Pour sa soixante-sixième édition, l’un des plus anciens festivals de France, le Festival de Musique de Menton, reste fidèle à sa réputation en accueillant les plus grands interprètes internationaux, du soliste à la formation de chambre sur le célèbre parvis de la basilique Saint-Michel-Archange qui domine la mer et dont l’escalier plonge sur la côte italienne qui part du poste frontière rendu fameux grâce à une séquence du film le Corniaud de Gérard Oury.

La ville de Menton et la basilique Saint-Michel-Archange. Photo : (c) Bruno Serrou

Devant des salles toujours complètes, l’édition 2015 est centrée sur le violon, « héros » de cinq des dix concerts organisés sur le parvis, avec les stars de l’instrument que sont Pinchas Zukerman, qui a fait l’ouverture des festivités à la tête du Camerata de Salzbourg, Christian Tetzlaff, venu en trio avec sa sœur violoncelliste Tanja Tetzlaff et le pianiste Lars Vogt, et Janine Jensen. Un violon principalement classique et romantique. Mais, s’il n’est pas question de musique post-1950, qui « risquerait d’effrayer le public et de l’éloigner définitivement » selon les responsables de la manifestation, le répertoire baroque se taille aussi la part belle cette année, avec, côté violon, Fabio Biondi et son orchestre Europa Galante, et, côté voix, le contre-ténor Franco Fagioli accompagné par l’Orchestre de Chambre de Bâle.

Parvis de Saint-Michel-Archange, concert Fabio Biondi et Europa Galante. Photo : (c) Bruno Serrou

Un double de Bach fabuleux de Fabio Biondi et Fabio Ravasi

C’est le premier que j’ai pu écouter durant mon séjour à Menton. En soliste comme avec son ensemble qu’il a créé en 1989, Fabio Biondi est l’un des musiciens baroques les plus ouvert et aventureux qui se puisse trouver au sein de sa génération. Formé à la grande école du violon italien, ce palermitain de 54 ans est aussi un grand lyrique, faisant chanter son instrument tel un belcantiste, et dirigeant aussi bien l’opéra que l’orchestre à l’instar de ce qui se faisait aux XVIIe et XVIIIe siècles, des prémices de l’ère baroque au premier romantisme, avec toujours la même élégance et un constant souci d’authenticité. C’est dans le répertoire baroque négligé du XVIIe siècle que cet ex-enfant prodige - il s’est imposé au public à peine âgé de 12 ans - se distingue particulièrement, mais aussi dans le XVIIIe et le début du XIXe, où la luminosité de son italianitafait des étincelles. Après avoir été premier violon et conseiller artistique de La Chapelle Royale de Philippe Herreweghe, des Musiciens du Louvre de Marc Minkowski, d’Hespèrion XX et la Capella de Catalunya de Jordi Savall, du Clemencic Consort de René Clemencic et d’Il Seminario musicale de Gérard Lesne, Fabio Biondi a fondé en 1981 le Quatuor Stendhal sur instruments d’époque et est devenu professeur au Conservatoire de Parme avant de créer en 1990 sa propre formation, Europa Galante, ensemble à géométrie variable d’une quinzaine de musiciens jouant sur instruments anciens qu’il dirige du violon. « Mes interprétations résultent de recherches musicologiques sur des manuscrits anciens, me rappelait-il après son concert de mercredi, mais elles se caractérisent surtout par une quête poétique qui passe par la virtuosité et la dynamique du jeu instrumental. » Si Vivaldi est au centre de son activité, il a aussi pour ambition de faire revivre l’ensemble du répertoire italien, de Cavalli à Donizetti, en passant par Scarlatti, Tartini, Caldara, Boccherini, Bellini, Rossini… 

Menton, vue partièle de la façade de la basilique Saint-Michel-Archange. Photo : (c) Bruno Serrou

Enchaînant la Suite d’orchestre que Georg Friedrich Haendel a tirée du premier des quatre opéras qu’il a composés pour la scène italienne, Rodrigo (1707), à quatre concertos d’Antonio Vivaldi, deux de la Stravaganza op. 4 (RV 357 et 284), et deux de l’EstroArmonico op. 3 (RV. 522 et 230), et malgré l’extraordinaire jubilation du jeu de Biondi et de ses onze musiciens jouant debout en arc de cercle autour de la claveciniste du groupe (quatre premiers violons, trois seconds, un alto, un violoncelle, un violone, un théorbe), il est ressorti de ces pages une impression de très long monolithe, les morceaux se succédant de façon rébarbative, sans rupture de ton, de couleurs ni d’intonation, chaque œuvre semblant être la copie conforme de celle qui la précédait et de celle qui la suivait… L’on sentait bien pourtant que l’on entendait ces pages dans les meilleurs conditions imaginables jouées par ses interprètes les plus convaincus et convaincants, mais, du moins pour ma part, le ressenti s’est avéré sclérosant et lassant, et les musiciens avaient beau faire, je perdais patience au point de ne plus tenir sur mon siège…

Menton, façade de la basilique Saint-Michel-Archange. Photo : (c) Bruno Serrou

… Jusqu’à ce qu’enfin survienne la toute dernière œuvre du programme, le célébrissime Concerto pour deux violons en ré mineur BWV 1043 de Jean-Sébastien Bach. Un Bach jaillissant, chatoyant, vivifiant, dynamique, chantant, les archets des deux solistes rebondissant avec grâce et un allant extraordinaire sur les cordes, chacun rivalisant de virtuosité et de plastique sonore, Fabio Ravasi s’avérant l’égal de son partenaire, Fabio Biondi. Cette interprétation d’une élégance, d’une finesse et d’une précision remarquables a porté cette page pourtant rabâchée au pinacle, démontrant ainsi les progrès incroyables réalisés par les musiciens baroques qui relèguent désormais les ensembles sur instruments modernes au rang d’antiquité, impression renforcée une semaine après l’audition de la même partition au Festival de Prades par un grand violoniste, certes, puisqu’il s’agissait de Pierre Amoyal, mais moins aérien et délié que son cadet Fabio Biondi, de plus accompagné par un ensemble particulièrement décevant (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2015/07/pierre-amoyal-le-fine-arts-quartet-et.html).

Musée Cocteau. Un dessin de Jean Cocteau de la Collection Séverin Wunderman. Photo : (c) Bruno Serrou

Le Quatuor Hermès et Kotaro Fukuma au Musée Cocteau

Outre les grands concerts du parvis de la basilique, d’autres propositions sont faites dans un lieu d’une toute autre nature, le Musée Cocteau conçu par l’architecte italien Rudy Ricciotti où sont exposés les dessins du poète de la Collection Séverin Wunderman. Ces rendez-vous permettent à de jeunes musiciens auréolés de prix et de concours internationaux réputés déjà engagés dans leur carrière de se faire entendre du public mentonnais. Ainsi, un an après la violoniste Solenne Païdassi et le pianiste Frédéric Vaysse-Knitter (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2014/08/legende-vivante-du-piano-menahem.html), j’ai pu assister à deux concerts de cette série.

Festival de Menton, Musée Cocteau. Le Quatuor Hermès : Omer Bouchez et Elise Liu, (violons), Anthony Condo (violoncelle), Yung-Hsin Lou Chang (alto). Photo : (c) Bruno Serrou

Le premier de ces concerts a présenté le Quatuor Hermès découvert au Festival de Pâques de Deauville 2014 dans des œuvres de Leoš Janacek et Thomas Adès. Constitué de deux jeunes femmes (la violoniste Elise Liu et l’altiste Yung-Hsin Lou Chang) et de deux jeunes gens (le violoniste Omer Bouchez et le violoncelliste Anthony Kondo), tous issus du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon, formé à l’aune des Ravel et des Ysaÿe, résident de la Fondation Singer-Polignac depuis 2013, le Quatuor Hermès s’est rapidement imposé parmi les meilleurs quatuors d’archets de leur génération, en France et à l’étranger, au concert comme au disque, remportant partout où ils se produisent de francs succès confortés par plusieurs récompenses attribuées à leur enregistrement des quatuors à cordes de Robert Schumann paru l’an dernier. C’est justement dans deux pages de jeunesse qu’ils ont choisi de se produire à Menton, devant un public nombreux dont la moyenne d’âge était proche de la somme de leurs âges respectifs. Le Quatuor à cordes n° 14 en sol majeur KV. 387est le premier des six quatuors que Mozart a dédiés à Joseph Haydn un an après leur première rencontre en 1781. Ce n’est donc pas à proprement parler une œuvre de jeunesse, puisque son auteur avait vingt-cinq ans au moment de la genèse de l’œuvre et qu’il ne lui restait moins d’une décennie à vivre, mais la fraîcheur et la spontanéité juvénile qui en émane a été restituée avec naturel et une générosité de bon aloi. Mais c’est dans le deuxième des trois Quatuor à cordes op. 41 de Robert Schumann que les quatre archets ont donné la plénitude de leurs moyens, imposant leurs sonorités rondes et épanouies, leur élan et leur intelligence de l’univers du compositeur rhénan alors en pleine maturité d’homme et d’artiste. En bis, les Hermès ont donné une plaisante interprétation d’un arrangement pour quatuor à cordes de la Pastorale de l’Arlésienne de Georges Bizet.

Festival de Menton, Musée Cocteau. Kotaro Fukuma (piano). Photo : (c) Bruno Serrou

Le second concert de la série Concerts au Musée auquel j’ai assisté a été l’occasion d’écouter le pianiste japonais vivant en France Kotaro Fukuma, lauréat du Concours de Cleveland 2003, disciple de rien moins que Bruno Rigutto, Marie-Françoise Bucquet, Leon Fleisher, Mitsuko Ushida, Richard Goode, Alicia de Larrocha, Maria Joao Pirès, Aldo Ciccolini… Au programme, des pages de jeunesse de Mozart, Beethoven et Schubert, avec pour chacun d’eux la première sonate pour piano de leur catalogue, et, pour le troisième, l’adjonction des 10 Variations en fa majeur D. 158. Un programme joué avec dextérité et allant, du moins autant que j’ai pu en juger depuis le dernier rang de côté où j’étais assis d’où l’acoustique, certes présente, s’est avérée sèche, mais plus probant dans les deux bis, un Nocturne de Chopin onirique et surtout un éblouissant Scherzo du trop rare Eugen d’Albert. 

Festival de Menton, Musée Cocteau. l'intérieur du couvercle du piano Bösendorfer porteur de la reproduction gravée de l'Orphée et sa lyre dessiné par Jean Cocteau. Photo : (c) Bruno Serrou

A noter que le piano sur lequel a joué Fukuma est un trois-quarts de queue Bösendorfer dit « modèle Cocteau » en raison de la présence de l’Orphée dessiné par le poète gravé à l’intérieur du couvercle.

Menton, Esplanade Francis-Palmero : le Smart is Brass. Photo : (c) Bruno Serrou

« Festival off »

Parallèlement aux concerts « officiels », le festival organise de sa propre initiative un « off » qui lui permet de présenter des formations hors normes composées de musiciens de haut vol. Ainsi un quintette de cuivres, le Smart is Brass, constitué de Rémy Labarthe et Pierre Désolé (trompettes), Guillaume Begni (cor), Jonathan Reiss (trombone) et Florian Coutet (tuba), tous cinq membres d’orchestres symphoniques et lyriques français (Orchestre de Paris, Orchestre de l’Opéra de Paris, Orchestre de Chambre de Paris, Orchestre National de Lyon, Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo), a proposé sous un chapiteau planté sur l’Esplanade Francis-Palmero au cœur d’un parc longeant la mer à quelques mètres du Bastion du Vieux Port restauré à l’initiative de Cocteau un programme grand public constitué d’arrangements d’œuvres célèbres, de Bernstein à Chostakovitch, de Weill à Gershwin, de Cosma à Green. Une prestation de grande qualité mais manquant du peps requis dans un tel contexte de fête musicale populaire car jouée de façon plus canalisée que ludique et, de ce fait, plus contrainte que déliée.

Menton, le "Off" sur l'Esplanade Francis-Palmero. Au fond, le Bastion du Vieux-Port. Photo : (c) Bruno Serrou

Paul-Emmanuel Thomas, directeur artistique du Festival de Musique de Menton, s’est engagé à ce que la prochaine édition de la manifestation azuréenne élargisse davantage encore son offre de concerts, qui sera enrichie d’une nouvelle série dédiée aux plus jeunes musiciens, frais émoulus des conservatoires et des concours internationaux, en partenariat avec les pianos Yamaha désormais propriétaire du célèbre facteur viennois Bösendorfer.

Bruno Serrou

Le Festival de Musique de Menton 2015 se poursuit jusqu’au 13 août. www.festival-musique-menton.fr

La Roque d’Anthéron ou le Royaume de Chopin

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La Roque d’Anthéron (Bouches-du-Rhône), Parc du Château de Florans, mardi 11 août 2015

Photo : (c) CGREMIOT

Le Festival international de piano de La Roque d’Anthéron reste le rendez-vous obligé de l’été des amoureux du piano. Pourtant, l’atmosphère est moins festive que l’année dernière encore. Les économies sont visibles dès l’arrivée, et l’on sent que la priorité absolue est donnée - à juste titre - à l’artistique, tout ce qui concerne le superflu étant passé par pertes et profits. L'aridité du temps se ressent jusque dans la plaquette programme réduite de moitié et qui ne compte plus de notices des œuvres jouées, ce qui suscite quelque lamentation de la part du public. Néanmoins, et c'est là l'essentiel, l’offre de concerts, priorité absolue des organisateurs, est toujours aussi foisonnante, avec trois récitals en même temps autant d'endroits différents. Ce mardi 11 août, à 18h, un récital au Parc, un autre à Lombesc, un troisième dans l'enceinte du parc. Idem le soir. Soit six rendez-vous en une soirée, et pas des moindres...

Frédéric Chopin (1810-1849). Photo de Louis-Auguste Bisson, DR

... Tandis que dans le temple de Lourmarin, lieu magnifique mais d’une touffeur si excessive qu’il arrive souvent que des spectateurs s’évanouissent, Forent Boffard offrait ce qui restera sans doute le programme le plus original et téméraire de l’édition 2015. Boffard, il est vrai, est l’un des pianistes les plus engagés dans la musique de notre temps, restant fidèle en cela à ce qu’il était au début de sa carrière lorsqu’il était membre de l’Ensemble Intercontemporain, aux côtés de Pierre-Laurent Aimard. Dans l’atmosphère surchauffée du Temple de Lourmarin, Boffard s’est félicité du public à l’écoute avide de découvertes, attentif à ses explications sur la Sonate n° 3 de Pierre Boulez dont ils sont loin d’être familiarisés, et qu’il avait entouré de la Sonate « 1er octobre 1905 » de Leoš Janacek, de la Sonate de Berg et de pages plus familières au public du festival, puisque signées Frédéric Chopin…

Miroslav Kultyshev. Photo : (c) : CGREMIOT

Chopin, qui reste le héros de La Roque d’Anthéron, l’immense majorité des pianistes s’y produisant, lui dédiant sinon un concert entier au moins une part essentielle de leur prestation et, s’il en est exclu, un ou deux de leurs bis obligés. Les festivaliers les plus fidèles - ils sont nombreux - ont ainsi pour beaucoup entendu sur la scène du Parc du Château de Florans et dans ses environs plusieurs intégrales du compositeur polono-français. Ainsi, en deux jours de festival 2015, trois concerts monographiques, deux autres pour moitié, et seulement deux sans une note de lui. Contrairement à ce qui était annoncé, le jeune trentenaire pétersbourgeois Miroslav Kultyshev a donné non pas les 24 Préludes op. 28 mais l’intégrale des 24 Etudeséquitablement réparties en deux cahiers, les opp. 10 et 25

Miroslav Kultyshev. Photo : (c) : CGREMIOT

Devant un public assez clairsemé, ce Deuxième Prix du 13e Concours Tchaïkovski en 2007 (le premier prix n’avait pas été attribué) puis le Monte-Carlo Piano Masters en 2012, qui donna son premier concert avec orchestre à l’âge de dix ans (quatre ans après son premier récital) avec le Philharmonique de Saint-Pétersbourg dirigé par Yuri Temirkanov dans le Concerto n° 20 de Mozart, joue Chopin en poète raffiné du piano avec une facilité déconcertante, ce qui lui permet de faire chanter ces pièces avec un onirisme lumineux magnifié par un toucher aérien, prenant l’auditeur par la main pour le tenir en haleine d’un bout à l’autre des deux cahiers d’études qui, enchaînés presque d’un jet, ont pris sous ses doigts et avec sa sensibilité le tour d’un livre d’images de conte. En bis, il a conforté cette impression dans des pages plus figuratives, le Widmung de Robert Schumann, Feux follets, cinquième des Etudes d’exécution transcendante de Franz Liszt, et Alborada del gracioso, quatrième des Miroirsde Maurice Ravel.

Yulianna Avdeeva. Photo : (c) CGREMIOT

Plus maniérés sont apparus les Chopin de sa consœur moscovite Yulianna Avdeeva. Premier Prix du 16eConcours Chopin de Varsovie en 2010, première femme à avoir remporté cette épreuve quarante-cinq ans après Martha Argerich, cette pianiste de 30 ans connaît bien sûr parfaitement l’œuvre du compositeur polonais, mais le son est étroit et la vision glaciale, au point qu’elle semble elle-même s’ennuyer dans ces pages, donnant l’impression de faire tout ce qu’elle peut pour se convaincre de sa conception des œuvres en minaudant à force de mimiques et de gestes des bras convenus. Il convient de reconnaître que les éléments sont sont alliés contre elle. Dans la Fantaisie, un avion de chasse en rase-motte, suivi d'un canadair volant lourdement ont troublé sa prestation, tandis que das la Polonaise, une sauterelle se lovait dans les cordes du Steinway avant de se jeter violemment sur son visage, Pourtant, c'est précisément avec la Polonaise op. 44 que la pianiste moscovite est véritablement entrée dans son programme. Jusqu’à ce qu’enfin, l’entracte passé, elle se lance dans la Sonate n° 8 en si bémol majeur op. 84, dernière des trois « sonates de guerre » de Serge Prokofiev. 

Yulianna Avdeeva. Photo : (c) CGREMIOT

Dès le mélancolique Andante dolce introduisant le mouvement initial, Yulianna Avdeeva séduit par l’élégance liquide de son toucher, qui en exalte le climat mystérieux de ce passage avant de s’épanouir pleinement dans un Allegro moderato d’une solidité et d’un allant éblouissant mus par une rythmique solide comme le roc. A l’instar du finale, ardent et virtuose joué avec une impressionnante maîtrise, qui n’est pas sans rappeler la noblesse simple d’un Gilels, le créateur de cette partition le 30 décembre 1944. Deux bis ont suivi, une dense Méditation op. 72/5 de Tchaïkovski qui a permis à la pianiste de reprendre souffle avant une Valse op. 42 de Chopin plus convenue.

Bruno Serrou

Nikolaï Lugansky et ses Chopin éblouissants, Duo Játékok atone : bonheur et déception à La Roque d’Anthéron

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La Roque d’Anthéron (Bouches-du-Rhône), Parc de Florans, mercredi 12 août 2015

La scène du Parc du Château de Florans. Photo : (c) CGrémiot

Deux concerts dans le Parc du Château de Florans ont constitué le menu de ma seconde journée de mon court séjour à La Roque d’Anthéron. Un récital du Duo Játékok tout d’abord. Cet ensemble est constitué de deux jeunes pianistes françaises dont l’une a étudié avec Brigitte Engerer au Conservatoire de Paris. Adélaïde Panaget et Naïri Badal ont tiré le nom de leur duo des neuf volumes de pièces pour piano à quatre mains et pour deux pianos que le compositeur hongrois György Kurtag (né en 1926) a commencés en 1973 et qu’il continue aujourd’hui encore à concevoir pour sa femme et lui-même. 
Duo Játékok. Photo : (c) CGrémiot 
L'étonnant est que les deux jeunes femmes ne font pas même allusion dans leur biographie à l’origine de leur nom de scène. Plus surprenant encore, le fait qu’elles n’aient pas même donné en bis l’une des courtes pièces qui constituent cet ensemble à un public captif qui aurait ainsi pu découvrir une musique contemporaine largement accessible malgré une écriture complexe et une structure rigoureuse, leur préférant les pages bateau que sont la Danse du sabre de Khatchatourian et un Tango de Barbe joués pour la promotion avouée de leur nouveau CD. Pourtant, ce n’est pas faute de présenter les œuvres qu’elles ont jouées, chacune prenant à tour de rôle le micro pour dire des banalités, par exemple « une valse partant dans tous les sens » pour présenter la Valse de Ravel dans sa version pour deux pianos, alors qu’il y a tant à dire sur cette œuvre composée en 1919 au lendemain de la Première Guerre mondiale et décrivant la déliquescence d’un monde courant à sa perte…
Duo Játékok. Photo : (c) CGrémiot
Déception avec le Duo Játékok
C’est devant un parterre loin d’être rempli que les Játékok ont donné leur concert. L’on se demande d’ailleurs pourquoi le public boude plus ou moins les rendez-vous de 18h dans le parc, car les artistes affichés sont loin de jouer les utilités. Certes, une partie des gradins est surchauffée par le soleil de fin d’après-midi de l’été provençal, mais l’ombre couvre à cette heure-là déjà les trois-quarts du Parc du Château de Florans. Les deux musiciennes ont jugé à juste raison utile de présenter chacune des œuvres de leur programme avant de les jouer, se substituant ainsi à l’absence de tout texte de présentation dans les supports de communication mis à disposition du public. Mais cette initiative bienvenue n’a pas convaincu, leurs interventions s’avérant succinctes et sans informations majeures capables de canaliser l’écoute. 
Duo Játékok. Photo : (c) CGrémiot
A l’exception de la Valsede Ravel déjà citée qui a suscité quelque élan de la part du duo, le reste du programme s’est avéré sans reliefs, tensions ni saillies, les interprétations se faisant peu nuancées et souvent atones, que ce soit les pièces pour piano à quatre mains, les célébrissimes Danses polovtsiennes extraites de l’opéra de Borodine le Prince Igor auxquelles l’orchestre est clairement indispensable, à en juger du moins par ce que les deux interprètes ont tiré de l’arrangement que leur a offert par Brigitte Engerer et dont elles n’ont pas tiré la quintessence, et la Rhapsodie espagnole de Ravel, exsangue, comme des pages pour deux piano, des Variations sur un thème de Haydn op. 56b de Brahms qui sont apparues comme un long tunnel sans fin, et qui ont précédé la Valse de Ravel déjà évoquée.
Nikolaï Lugansky. Photo : (c) CGrémiot
Le choc Nikolaï Lugansky
Cette soirée restera néanmoins l’une des plus mémorables de l’histoire du Festival de La Roque d’Anthéron. En effet, un moment de grâce attendait le public venu en nombre assister Parc du Château de Florans au concert de l’un de ses pianistes favoris, le Russe Nikolaï Lugansky, accompagné cette fois par le Sinfonia Varsovia, qui s’est montré en grande forme revigoré il est vrai par l’excellent chef russe Alexander Vedernikov. Pianiste, chef et orchestre se connaissent bien puisqu’ils ont enregistré ensemble les deux concertos pour piano de Chopin qui figuraient au programme de mercredi 12 août 2015. 
Alexander Vedernikov et le Sinfonia Varsovia. Photo : (c) CGrémiot
Le bonheur a d’ailleurs été entier dès le début du concert, la première œuvre étant jouée par l’orchestre qui a imposé dès les premières mesures ses sonorités pleines et sûres, une vélocité et une fluidité qu’on ne lui connaissait pas, donnant à l’orchestration de Robert Schumann une transparence et un grain clair que trop d’interprétations négligent. Ecrit la même année 1941 que la PremièreSymphonie et la mouture initiale de la Quatrième, révisé en 1845 le triptyque Introduction, Scherzo et Finale op. 52constitue une petite symphonie sans mouvement lent que Schumann envisagea d’intituler successivement Suite puis Symphonette. La légèreté cordiale souhaitée par Schumann dans l’Introduction a été pleinement restituée par le Sinfonia Varsovia et Alexander Vedernikov, ainsi que l’aspect chevauchée céleste du scherzo et la force conquérante du finale. De telles textures enrichies d'une vélocité de bon aloi de la part de tous les pupitres ont permis à l’orchestre de Frédéric Chopin, restitué dans son authenticité, d’atteindre une texture peu usitée qui m’a surpris tant j’étais moi-même persuadé que Chopin n’avait guère attaché d’intérêt à l’orchestration de ses concertos pour se focaliser sur le seul piano. 
Nikolaï Lugansky, Alexander Vedernikov et le Sinfonia Varsovia. Photo : (c) CGrémiot
Vedernikov et le Sinfonia Varsovia ont concerté au sens littéral du terme avec le soliste, érigeant de véritables échanges avec lui et se comportant comme de véritables partenaires, donnant relief et pigmentations au piano, particulièrement dans les solos de cor, parfois à la limite, et, surtout, de basson et de flûte, soutenant ou répondant au piano en creux et en pleins. Ainsi, le jeu élégant et les timbres brillants aux aigus cristallins de Nikolaï Lugansky se sont non seulement exprimés avec leur naturel habituel mais ils ont aussi été magnifiés par le brio de l’orchestre et l’engagement d’un chef dirigeant sobrement mais avec flamme. Le doigté aérien, la noble stature, le jeu pondéré, l’élégance du geste, le phrasé d’une sensibilité inouïe, les sonorités voluptueuses du grand pianiste russe ont ainsi pu s’exprimer pleinement dans les deux concertos donnés non pas dans leur ordre numérique mais dans leur chronologie, c’est-à-dire le second en fa mineur en première partie et le premier en mi mineur après l’entracte. 
Nikolaï Lugansky, Alexander Vedernikov et le Sinfonia Varsovia. Photo : (c) CGrémiot
Souhaitant assurément conclure ses exceptionnelles interprétations des concertos de Chopin sur les ultimes accords du fa mineur, Nikolaï Lugansky a résisté un moment à l’enthousiasme du public qui lui rappelait bruyamment qu’il est impossible de ne pas sacrifier au rituel obligé des bis à La Roque d’Anthéron. Il a néanmoins fini par céder, en offrant de la célébrissime Valse en ut dièse mineur op. 64/2 une interprétation à couper le souffle.
Bruno Serrou 
Le Festival international de Piano de La Roque d’Anthéron se poursuit jusqu’au 21 août 2015. 

Festival Berlioz : Ouverture en fanfare sur la Route Napoléon

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Festival Berlioz, Corps (Maison Napoléon), Laffrey (Prairie de la Rencontre), Grenoble (Terrasse du Musée Dauphinois), La Côte-Saint-André (Place Hector Berlioz et Halle), jeudi 20 août 2015

Statue équestre de Napoléon Ier sur la Prairie de la Rencontre à Laffrey. Photo : (c) Bruno Serrou

Pour sa 22eédition depuis son retour à La Côte-Saint-André après plusieurs années à Lyon, et pour la septième depuis l’arrivée de Bruno Messina à sa direction, le Festival Berlioz, qui se déroule jusqu’au 30 août, a commencé jeudi 20 août de façon particulièrement festive et heureuse, irriguant plusieurs sites du département de l’Isère, depuis les confins du département à la lisière des Hautes-Alpes jusqu’à la cité natale d’Hector Berlioz. Une véritable « épopée » d’une centaine de kilomètres sur la Route Napoléon…

Fifres et tambourg de l'armée de Napoléon Ier sur la Prairie de la Rencontre. Photo : (c) Bruno Serrou

Lorsque Napoléon s’échappait de l’Île d’Elbe le 26 février 2015 où la coalition anglo-prusso-austro-russe l’avait condamné à l’exil après qu’il eut abdiqué le 6 avril 1814, pour reconquérir le pouvoir à marche forcée depuis Golfe-Juan où il débarque le 1er mars 2015, Hector Berlioz avait douze ans. Son père, grand admirateur de l’Empereur, était allé au-devant de Napoléon, qui, dans sa remontée vers Paris, passa à quelques encablures de La Côte-Saint-André entre Grenoble et Lyon, et il n’y a guère à parier qu’il s’en fit l’écho auprès de son fils. « Berlioz et Napoléon ont beaucoup en commun », constate Bruno Messina, qui a choisi de célébrer cette année le bicentenaire des cent jours de Napoléon qui débouchèrent sur la défaite de Waterloo et l’exil définitif sur l’Île de Sainte-Hélène, où il mourra le 5 mai 1821. Il est certain également que Berlioz fut témoin, de près ou de loin, du retour des cendres de Napoléon et de leur inhumation le 15 décembre 1840 aux Invalides. Quelques mois plus tôt, le jour anniversaire de la mort de l’Empereur, Berlioz écrivait à Victor Hugo de retour de l’inauguration de la colonne de la place Vendôme : « […] J’ai suivi le peuple au pied de la colonne, ce poème immortel de l’autre empereur… J’ai marché longtemps, comme Ruy Blas, dans mon rêve étoilé, puis j’ai revu le bronze et j’ai relu vos vers… Maintenant, je m’incline en pleurant et j’adore… » Son admiration pour le grand homme est avérée dans un certain nombre de ses écrits. « Il était tentant de rapprocher ces deux gloires françaises grandes figures du romantisme, chacun dans leur domaine, convient Bruno Messina. Comme l’écrivait Jacques Lacan sur l’acte manqué, ’’l’acte ne réussit jamais si bien qu’à rater’’. Or, Berlioz comme Napoléon, ont réalisé de grandes choses qui allaient marquer l’Humanité bien que leur vie s’acheva sur un échec. »

Corps, Vue de la Terrasse de la Gendarmerie. Photo : (c) Bruno Serrou

Bicentenaire des Cent Jours et de la défaite de Waterloo oblige, le Festival Berlioz, qui se déroule à quelques encablures de la « route Napoléon » sous la direction d’un homme épris d’Histoire, ne pouvait que faire le lien entre l’Empereur et le compositeur. C’est à Corps, petite commune du sud des Alpes dans l’Isère, où Napoléon passa la nuit du 6 au 7 mars 1815 dans la gendarmerie et qui continue à commémorer cet événement chaque année à la Pentecôte sous l’intitulé « Aventurier à Corps, Prince à Grenoble », que s’est ouverte l’édition 2015 du Festival Berlioz.

Corps, la gendarmerie où Napoléon Ier bivouaqua dans la nuit du 6 au 7 mars 2015

A Corps, au son du cor, mais sans cri

C’est sur la terrasse de l’ex-gendarmerie devenue « Maison de retraite Albert Marthe Hostachy » à l’aplomb du lac du Sautet et du mont Obiou où était organisé un buffet qu’a été donnée la première aubade de la journée, le clap de début étant donné par Napoléon Ieren personne, brillamment campé par le comédien Christian Abart qui animera chaque étape de la marche forcée dix heures de rang, tandis qu’un ensemble de neuf cors des alpes de l’ensemble Les Briançonneurs répondaient à son appel. Présenté par le soliste chef d’orchestre Olivier Brisville, le programme et l’instrument ont fait sensation sur les « pèlerins » du jour, qui le découvraient. Le répertoire est des plus limités, l’instrument n’ayant inspiré qu’un tout petit nombre de compositeurs, tels Léopold Mozart (une Sinfonia pastorale), Johannes Brahms (la mélodie du cor du finale de la Première Symphonie), Richard Strauss (prélude de Daphné), Ferenc Farkas (Concertino rustico) ou Vinko Globokar (Cri des Alpes). 

Corps, l'ensemble de cors des Alpes, Les Briançonneurs. Photo : (c) Bruno Serrou

Instrument national suisse connu depuis le XIVe siècle, il servait aux bergers à communiquer entre eux et avec les villages environnant leurs pâturages. Fait en épicéa, le même bois que les instruments à cordes, ces instruments pèsent 3,5 kg et mesurent 3,6 mètres de long et sont dans la tonalité de fa dièse/sol bémol. Pour obtenir la tonalité de fa, il convient de l’allonger de vingt centimètres à l’aide d’une rallonge qui s’incruste dans le tube qui précède l’embouchure - pour un accord en ut, il faudrait rajouter neuf mètres de plus. La portée de l’instrument avec l’appui de l’écho peut atteindre 17 kilomètres. Ce qui explique la lenteur des tempi utilisés par le corniste, et l’on a pu mesurer combien il est difficile de varier le répertoire, car même le rythme de ländler est à peine discernable.

Laffrey, Prairie de la Rancontre. Napoléon et Bruno Messina conversant avec un canonnier et une cantinière. Photo : (c) Bruno Serrou

Canonnade et agapes sur la Prairie de la Rencontre

La deuxième étape a conduit Napoléon, sa petite troupe, ses cantinières et ses suiveurs jusqu’au bivouac de la Prairie de la Rencontre sur les bords du Lac de Laffrey, face à la résidence d’Olivier Messiaen. C’est à cet endroit que Napoléon et les siens ont fait face à l’armée royale venue à sa rencontre pour l’arrêter mais, tandis que l’Empereur ouvrait sa redingote en désignant sa poitrine pour cible aux soldats du Roi, ces derniers se rallièrent à lui avant de le suivre jusqu’à Paris entraînant tout un peuple derrière eux. 

Laffrey, Prairie de la Rencontre. Napoléon arrangant l'Ensemble à Vent de l'Isère. Photo : (c) Bruno Serrou

Après le signal du début des agapes donné par une canonnade qui aura ébranlé jusqu’au sommet des montagnes à l’aplomb du lac et une marche de grognards conduite par des grenadiers à pied jouant fifres et tambour, l’Ensemble à Vent de l’Isère, orchestre d’harmonie amateurs dirigé par Eric Villevière, a exécuté en présence de l’Empereur la Victoire de Wellington, une suite Bonaparte du compositeur-trompettiste autrichien Otto M. Schwarz (né en 1967), spécialiste de l’orchestre d’harmonie, avant de terminer sur l’Ouverture 1812 de Tchaïkovski. Tandis que sur la rive-même du lac se succédaient les steel-drummers du Joséphine Steel Band, venus rappeler sur la plage où s’égayaient des baigneurs, les origines martiniquaises de la première épouse de l’Empereur, Joséphine de Beauharnais.

Grenoble, Terrasse du Musée Dauphinois. Napoléon arrangant la foule. Photo : (c) Bruno Serrou

Les Terrasses de Grenoble

Après un déjeuner champêtre, la troupe, toujours plus nombreuse, s’est dirigée vers Grenoble, pour rallier les Terrasses du Musée Dauphinois qui dominent l’Isère et la capitale du Dauphiné. Planté sur la muraille, Napoléon a brièvement discouru avant de donner le départ de la troisième étape musicale animée par les Briançonneurs et le Joséphine Steel Band, qui ont présenté leurs instruments respectifs à un public médusé et désireux de s’essayer à leur jeu.

La Côte-Saint-André, Place Hector Berlioz. Villageois et soldats impériaux. Photo : (c) Bruno Serrou

Défilé militaire à La Côte-Saint-André

L’ultime étape de cette journée à marche forcée était naturellement fixée à La Côte Saint-André, siège naturel du Festival Berlioz, puisque c’est là qu’Hector Berlioz est né et a vécu jusqu’à l’âge de 18 ans. Bien que sa remontée vers Paris ne passa pas ce village, mais à quelques kilomètres au large, Napoléon et sa petite armée s’est retrouvée sur la Place Hector Berlioz, rejoints par les villageois ayant revêtu des costumes d’époque, les femmes pourvues d’ombrelles, les hommes portant hauts de forme en feutre, tandis que l’Ensemble à Vent de l’Isère reprenait le Bonaparte de Schwarz puis l’Ouverture 1812 de Tchaïkovski avec tir de canon et tirs de fusils Charleville Modèle 1777, qui ont donné le signal du défilé militaire dans les rues de la Côte-Saint-André bordées de stands d’artisans travaillant à la façon de leurs ancêtres du début du XIXe siècle.

La Côte-Saint-André. La Halle. Le Banquet pour Napoléon. Photo : (c) Bruno Serrou

Banquet pour Napoléon

Comme dans toute aventure, ce long prologue du Festival Berlioz s’est terminée autour d’un riche banquet de plus de cinq cents couverts proposant des plats préférés de Napoléon préparés par Stéphane Brette et l’équipe de Païza, et animé par le Chœur Emelthée, la Clique des Lunaisiens, spécialiste du répertoire historique de la chanson, et l’Ensemble à Vent de l’Isère, le tout dirigé par Arnaud Marzorati. Les œuvres allaient de ce qu’a pu entendre Napoléon et Hector Berlioz, des chansons authentiques à la parodie de Carmen (ce que n’ont pu connaître ni Bonaparte ni Berlioz). La soirée s’est terminée tard dans la nuit.

Bruno Serrou

Le Festival Berlioz est aujourd'hui à La Côte Saint-André, avec un récital de Christina et Michelle Naughton (piano à quatre mains) Eglise Saint-André à 15h, puis à Vienne à parir de 18h et jusqu'à minuit, au Théâtre Antique, pour un Gala Impérial Hector Berlioz offert par trois Orchestres des Jeunes Démos Isère

Le Festival Berlioz a réuni Théâtre antique de Vienne près de 1000 exécutants pour un Te Deum tel que rêvé par Berlioz

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Festival Berlioz, Vienne (Isère), Théâtre antique, vendredi 21 août 2015

Vienne, Théâtre antique. Le Te Deum d'Hector Berlioz. Photo : (c) Bruno Serrou

Hector Berlioz l’avait rêvé, Bruno Messina l’a fait. Et de belle façon. Même si les « puristes » n’ont pas manqué de relever l’usage d’une amplification qui a dénaturé timbres et sources sonores, le Te Deum que Berlioz  a été proprement « babylonien ».

Le lieu choisi était assez emblématique, puisque c’est à Vienne, sous-préfecture de l’Isère plantée sur la rive gauche du Rhône à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest de La Côte-Saint-André, que vécut la sœur cadette d’Hector Berlioz, Adèle, la préférée d’Hector, une « amie intime » qui s’y était installée en 1845 après avoir épousé le notaire Marc Suat. Berlioz se rendit à Vienne plusieurs fois, jusqu’en septembre 1864, soit quatre ans après le décès d’Adèle… En outre, l’enceinte du Théâtre antique choisie pour ce premier concert de l’édition 2015 du Festival Berlioz ramène à la passion du compositeur pour la mythologie gréco-romaine, et marque la fusion des musiques populaires et considérées « savantes » - élitiste pour certains édiles -, puisque ce théâtre où seuls les gradins subsistent ainsi que quelques bribes de colonnes, doit faire appel à l’amplification pour éviter que le son se disperse dans toutes les directions, notamment vers la ville de Vienne, puisque les gradins du Théâtre antique sont à flanc de montagne. Ce qui explique son exploitation essentiellement destinée aux musiques amplifiées, qu’elles soient « actuelles » ou plus encore au jazz. Ce lieu est en effet le siège du festival Jazz à Vienne dont la trente-cinquième édition s’est achevée le 11  juillet dernier.

Pour célébrer l’union exceptionnelle mais qui pourrait perdurer des deux manifestations estivales majeures de l’Isère que son Jazz à Vienne et le Festival Berlioz de La Côte-Saint-André, ce dernier a intitulé cette journée « Berliozz à Vienne », avec deux « z », le second acrostiche renvoyant au jazz, qui finira par apprivoiser le matériau thématique de la Symphonie fantastique du premier.

Les trois orchestres Demos de l’Isère

Devant quelques six mille spectateurs, ce sont produits plus de mille musiciens, chanteurs, choristes, maîtrisiens, professionnels et amateurs de 7 à 50 ans, pour quelques huit heures de musiques de tout genre, de l’improvisation jusqu’à la plus « savante », en passant par le jazz, les « musiques actuelles » et la musique de film, chaque genre se succédant, fusionnant ou se répondant avec le plus grand naturel.

Précédée d’une courte et sans consistance présentation des œuvres par Frédéric Lodéon, animée avec à-propos par Manuel Houssais, animateur spectacle et culture de France-Bleu Isère, la première partie du marathon musical du Théâtre antique de Vienne étaient entièrement dévolue aux jeunes musiciens de l’association Demos-Isère. Demos (Dispositif d’éducation musicale et orchestrale à vocation sociale) dirigé par Bruno Messina et dont le siège social est à la Philharmonie de Paris, est placé en Isère sous l’autorité de l’Aida (Agence iséroise de diffusion artistique). Dans ce département de la Région Rhône-Alpes, Demos concerne trois-cents enfants répartis en vingt groupes de quinze jeunes de 7 à 12 ans. Caque groupe est porté par une structure sociale (CCAS, MJC, Maison de l’enfance, Centre de loisirs, Service jeunesse, Centre social, etc.) partenaire du projet. Ces jeunes forment trois orchestres symphoniques répartis sur le territoire isérois, entre zones urbaine, rurale et montagnarde : l’Orchestre Nord-Isère (qui regroupe les communes des Abrets, Bourgoin-Jallieu, L’Isle d’Abeau, La Tour-du-Pin, les communautés de communes de la Vallée de l’Hien et des Vallons de la Tour, Villefontaine), l’Orchestre Beaurepaire-Roussillon, et l’Orchestre Grenoble-Montagne (Bourg-d’Oisans, Echirolles, Grenoble, Lans-en-Vercors et Voiron).

Chacune de ces trois formations a présenté un programme travaillé pendant un an sous la conduite de musiciens professionnels de la région Rhône-Alpes et du département de l’Isère, qui se sont mêlés à eux au sein des différents pupitres. Devant un public bon enfant mais un peu « disturb », dirigé par Eric Villevière, l’Orchestre Nord-Isère, vêtu de blanc, a ouvert les festivités avec l’air traditionnel grec Eskoutari - Apo Xeno Topo suivi d’un extrait de Shéhérazade (Le jeune prince et la jeune princesse) de Rimski-Korsakov et du finale de la Symphonie n°5 de Tchaïkovski, ce dernier sonnant de façon beaucoup plus convaincante que ce que pouvait donner à entendre voilà trente ans la phalange professionnelle qu’est l’Orchestre de Catalogne et de Barcelone. Habillés de rouge, l’Orchestre Grenoble-Montagne, lui aussi dirigé par Eric Villevière, a donné la virtuose Marche au supplice de la Symphonie fantastique de Berlioz de façon impressionnante considérant l’expérience de la jeune troupe, suivie de l’Air des furies tiré du Don Juan de Gluck, avant que les instrumentistes ne se transforment en choristes pour entonner le célèbre chant des partisans italiens Bella Ciaoaccompagnés des seuls musiciens encadrants. Habillés tels des poussins, en jaune, les jeunes musiciens de l’Orchestre Beaurepaire-Roussillon ont fermé la marche avec le chœur du premier acte de Lakmé de Léo Delibes, suivi de la Danse du calumet extraite l’acte des Sauvages des Indes galantes de Rameau et, pour conclure, une pièce qu’Henri Tournier a tirée d’un chant traditionnel indien du nord, Yamini, celle qui comptait les étoiles, mêlant ainsi prouesse instrumentale et vocale.
   
1000 exécutants pour le Te Deum de Berlioz

Le clou de la soirée a suivi après trente minutes d’entracte qui aura tout juste permis un changement de plateau nécessaire pour accueillir le millier d’interprètes requis pour le Te Deum op. 22/H118 de Berlioz. Composé en 1849 en trois mois, peaufinée jusqu’en 1855, cette œuvre en six séquences est la troisième des grandes fresques d’inspiration religieuse de ce compositeur réputé athée, après la Messe solennelle de 1824 que Berlioz prétendit perdue sans doute pour mieux lui emprunter dans ce Te Deum, et la Grande Messe des Morts op. 5 de 1837. Les effectifs sont moins colossaux que dans le Requiem, particulièrement l’instrumentarium, enrichi néanmoins de l’orgue, qui compense cette différence. Une partie de l’œuvre avait d’abord été envisagé comme sommet d’une grande symphonie à la mémoire de Napoléon Bonaparte. Cette dernière ne verra jamais le jour, mais il en utilise un certain nombre d’idées dans le Te Deum, qu’il aura beaucoup de mal à imposer, l’œuvre étant refusée pour le sacre de Napoléon III, puis pour le mariage de ce dernier, avant d’être finalement créée le 30 avril 1855 dans le cadre de l’inauguration de l’Exposition Universelle de Paris. François-Xavier Roth, qui a dirigé l’œuvre à la Philharmonie de Paris le 20 juin dernier à la tête de son orchestre Les Siècles, a repris le Te Deum avec le Jeune Orchestre Européen Hector Berlioz…

Le Jeune Orchestre Européen Hector Berlioz

François-Xavier Roth a fondé de toute pièce en 2003 Les Siècles, orchestre qui s’est rapidement imposé parmi les formations majeures malgré sa volonté d’aborder tous les répertoires orchestraux, du plus ancien au plus contemporain, sur les instruments et selon les modes de jeu du temps de la genèse des œuvres programmées, écrivais-je voilà un an dans les colonnes du quotidien La Croix. Ce qui ne va pas forcément de soi et qui réclame de la part d’un chef d’orchestre un réel sens didactique. Tant et si bien que le chef français a vite acquis la réputation de forgeur d’orchestre. C’est donc naturellement que Bruno Messina, sitôt nommé directeur du Festival Berlioz à La Côte-Saint-André en 2008, s’est tourné vers lui pour créer un orchestre-académie du festival, le Jeune Orchestre Européen Hector Berlioz (JOEHB). Depuis 2010, ce dernier se forge et participe chaque été au festival, le premier été avec le Te Deum, qu’il reprend cette année après les Scènesde Faust, Roméo et Juliette, Béatrice et Bénédict et, l’an dernier, la Damnation deFaust. Cette formation s’adresse à des musiciens en vue d’une carrière professionnelle. « Le recrutement est international, le renom de Berlioz facilitant les choses, se félicite Roth. Une part des effectifs est constituée de musiciens des Siècles et, pour l’essentiel, de jeunes de 17 à 28 ans en fin d’études. Cet orchestre s’attache précisément à l’époque de Berlioz, à sa musique et aux instruments de son temps. » Les jeunes musiciens viennent cette année d’Europe du nord, d’Angleterre, Suisse, Allemagne, Brésil et France. « Au total, 120 musiciens, ce qui est parfaitement berliozien, s’enthousiasme Roth. Et cela marche fort bien avec les instruments anciens, qui apportent clarté et transparence dans les équilibres orchestraux. Avec Berlioz, cela fonctionne à la perfection, et pour la Damnation de Faust mieux encore parce que lui-même y utilise tour à tour un grand orchestre et un petit ensemble, revenant ainsi aux concepts baroque et classique dans les variations d’effectifs en cours d’exécution d’une même œuvre. » Roth précise que, contrairement à sa Symphonie fantastique qui a une histoire interprétative continue depuis sa création, beaucoup de partitions de Berlioz ont été mal jouées en son temps. « Puis elles sont soit tombées dans l’oubli, soit elles n’ont pas pu être rejouées immédiatement, rappelle Roth. Il y a donc des creux dans l’histoire des œuvres de Berlioz, et c’est l’intérêt avec ces étudiants de pouvoir faire un focus sur cette musique, avec des choses toutes simples comme la façon de phraser, de gérer les équilibres, etc. Les jeunes musiciens ont moins de repères chez Berlioz que chez Mahler, Brahms, Debussy ou Ravel. Il y a donc beaucoup à faire de ce point de vue, et c’est passionnant. »

600 enfants chanteurs de l’Isère et 200 choristes professionnels

En plus de ces jeunes musiciens au seuil d’une carrière au sein d’orchestres professionnels auxquels s’est associé l’organiste Daniel Roth, son père, et le ténor Pascal Bourgeois, François-Xavier Roth s’est associé le Grand Chœur de Spirito qui réunit deux cents chanteurs des Chœurs & Solistes de Lyon et du Chœur Britten dirigés par Nicole Corti et Bernard Têtu, et six cents enfants des Petits Chanteurs de l’Isère et de la Région âgés de six à quinze ans. Dirigés par Nicole Corti et deux assistants, les jeunes choristes en herbe ont suscité beaucoup d’émotion parmi les six mille spectateurs assis sur les gradins surchauffés du Théâtre antique de Vienne, et l’on a perçu quelques larmes couler des yeux lorsque ces enfants de toutes origines sociales et culturelles chantaient à gorge déployées les grandes mélodies berlioziennes sur le texte de la liturgie romaine. Le travail préparatoire a été d’autant plus fouillé que Roth avait exigé l’usage du latin du XIXe siècle. Voulant l’authenticité, Roth a en effet utilisé un instrumentarium de l’époque de Berlioz, avec cuivres naturels, bois d’ébène et cordes en boyaux, violoncelles sans pique, timbales en peau. Cette nuance de taille par rapport aux instruments modernes n’a pas été perceptible à cause de la sonorisation conçue pour les instruments amplifiés des musiques « actuelles » et non pas pour les instruments acoustiques. Il n’empêche, le public ne pouvait être conquis par tant d’enthousiasme, d’engagement et de volonté de bien faire de la part des enfants - certains avaient l’air perdus, d’autres se frottaient les yeux, épuisés au fur et à mesure de l’écoulement des cinquante minutes du Te Deum -, par la puissance des interventions ders chœurs professionnels et par la force conquérante qui émanait de la direction de François-Xavier Roth, tandis que la voix de Pascal Bourgeois était particulièrement desservie par la sonorisation.

Deux cantates de Berlioz en l’honneur des empereurs français

La seconde partie de ce concert a été l’occasion de découvrir deux œuvres que je ne connaissais pas, la cantate pour basse, chœur et orchestre Le Cinq Mai, chant sur la mort de Napoléon H 74 que Berlioz a composée en 1835 sur un texte de Pierre-Jean de Béranger et d’en diriger lui-même la création au Conservatoire de Paris le 22 novembre de la même année. Cette déclaration d’amour pour l’Empereur Napoléon Ier est un véritable cri de dévotion qui sollicite la force et la musicalité des chanteurs, particulièrement de la voix de basse traitée en soliste et parfaitement tenu par Nicolas Courjal. Autre découverte, du moins pour moi, L’Impériale H 139, cantate profane pour double chœur mixte et orchestre composée en 1854 pour le sacre de Napoléon III, que Berlioz dénommera très vite « Napoléon le Petit ». Pour finir sur une tonalité plus unanimement festive ce concert Berlioz monographique, François-Xavier Roth a salué public et musiciens de son jeune orchestre en confiant à ce dernier le soin de jouer seul sous sa direction en choisissant la célébrissime Marche de Rakoczy plus connue sous le nom de Marche hongroise extraite de la première partie de la Damnation de Faust de Berlioz, mais la fatigue aidant au terme de près de deux heures de concert, cette page s’est avérée plus trainante que de coutume.

Pour conclure la soirée dans une atmosphère feutrée de cabaret, Festival Berlioz et Jazz à Vienne ont fusionné leurs particularismes respectifs en confiant à deux musiciens de jazz, le joueur de kora Ballaké Sissoko et le violoncelliste Vincent Segal, et à un instrumentiste classique, Patrick Messina, première clarinette solo de l’Orchestre National de France, frère de Bruno Messina, l’animation de l’heure d’improvisation jazz sur un matériau tiré de la Symphonie fantastique de Berlioz. Cette prestation en duo et en trio a pétrifié le public qui a écouté les musiciens dans un silence quasi-religieux qui n’avait pas été perceptible durant les deux concerts qui ont précédé, et de juger du bien-fondé d’une sonorisation qui est apparue plus adaptée à cette musique.

Bruno Serrou


Ce samedi, 22 août, un concert de musique de chambre en l’église Saint-André réunissant à 17h le violoncelliste Edgar Moreau et le pianiste Pierre-Yves Hodique, un Sous le Balcon d’Hector au Musée Berlioz à 19h et le Requiem de Cherubini précédé de Tristia de Berlioz par Le Concert Spirituel dirigé par Hervé Niquet en l’église de Saint-Antoine l’Abbaye à 21h. 
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