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Pour sa première tournée européenne avec les Wiener Symphoniker,Philippe Jordan a fait escale à Paris

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Paris, Salle Pleyel, vendredi 29 novembre 2014

Le Wiener Symphonieorchester. Photo : (c) Wiener Symphonieorchester

Le Wiener Symphoniker, ou Orchestre Symphonique de Vienne, est l’orchestre viennois par excellence. Il l’est davantage que le Wiener Philharmoniker, émanation de l’orchestre de fosse de l’Opéra d’Etat de Vienne dont la mission principale est de participer aux productions de la célèbre institution lyrique autrichienne. Fondé en octobre 1900 sous le nom de Konzertvereinorchester (Orchestre de la Société des Concerts) avec pour chef permanent Ferdinand Löwe, la phalange est accueillie en résidence par le Konzerthaus en 1913 et adopte six ans plus tard l’intitulé qu’elle porte aujourd’hui, après la sécession du Verein Wiener Tonkünstler Orchester avec lequel il a fusionné en 1914. En 1922, les deux formations s’amalgament définitivement tout en gardant leur indépendance dans l’organisation de leurs concerts. Nombreuses sont les créations dont le Wiener Symphoniker peut se targuer, avec, à titre d’exemple, rien moins que la Symphonie n° 9 d’Anton Bruckner, les Gurrelieder et Pelléas et Mélisande d’Arnold Schönberg, le Concerto pour la main gauche de Maurice Ravel, le Livre aux Sept Sceaux de Franz Schmidt, la Symphonie n° 1 de Karl-Amadeus Hartmann, le Poème de Boris Blacher, le Concerto pour quinze solistes et orchestre de Jean Françaix, etc. Parmi ses chefs permanents, Hans Swarowsky, Herbert von Karajan, Wolfgang Sawallisch, qui le dirige jusqu’au Vatican devant le pape Jean XXIII en 1959, Josef Krips, Carlo Maria Giulini, Guennadi Rojdestvenski, Georges Prêtre, Rafael Frühbeck de Burgos. En 2013, Fabio Luisi laisse le poste vacant…

Philippe Jordan et le Wiener Symphonieorchester. Photo : (c) Sébastien Grébille

… Deux mois à peine après sa prise de fonction comme Directeur musical, Philippe Jordan, également Directeur musical de l’Opéra de Paris, conduit l’Orchestre Symphonique de Vienne en tournée. Tournée qui les a conduits vendredi Salle Pleyel, avec un programme dans lequel la phalange autrichienne excelle. Pour cette première prestation en France du chef suisse à la tête de l’Orchestre Symphonique de Vienne, le ban et l’arrière-ban du Tout-Paris musical s’est bousculé à Pleyel. C’est d’ailleurs sur une partition du plus viennois des compositeurs, la fameuse Symphonie n° 8 en si mineur D. 759 « Inachevée » de Franz Schubert, que Philippe Jordan a ouvert le concert. Malgré un effectif de cordes allégé (14-12-10-8-6), cette partition de caractère dramatique s’est faite sombre et solennelle, Jordan étirant excessivement les tempi, au point d’élaguer les tensions qui donnent à l’Inachevéetout son tragique. A défaut d’émotion, l’auditeur a pu goûter la prestation des pupitres de la phalange viennoise, depuis le velouté des violoncelles et des contrebasses, jusqu’aux chaudes sonorités de la hautboïste Ines Galler et de la clarinette solo, ainsi que la rondeur du son des trombones.

Khatia Buniatishvili. Photo : DR

Dans le Concerto n° 1 pour piano, trompette et orchestre à cordes en ut mineur op. 35 de Dimitri Chostakovitch, seule concession au XXesiècle de ce concert, d’aucuns ont pu regretter la force tellurique d’un Denis Matsuev, et, plus encore, la vivacité de sa consœur chinoise Yuja Wang entendue dans cette même œuvre à Annecy l’été dernier (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2014/08/yuri-temirkanov-celebre-la-russie-avec.html), tant les mains de la pianiste géorgienne Khatia Buniatishvili n’ont fait qu’effleurer - certes avec virtuosité - le clavier sans pouvoir ainsi détacher de ce dernier des sonorités pleines et colorées. En revanche, la trompette vif-argent de l’Autrichien Rainer Küblöck a parfaitement tenu son rôle, le trompette-solo du Wiener Symphoniker étant en outre mis en avant à l’instar de la pianiste, placé entre sa partenaire et le chef.

La seconde partie de la soirée était entièrement occupée par la seule Symphonie n° 7 en la majeur op. 92 de Ludwig van Beethoven – rappelons ici que Philippe Jordan dirige cette saison une intégrale des symphonies du maître de Bonn à la tête de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris -, compositeur que Schubert considérait comme un maître immense, au point de ne jamais oser se permettre de le rencontrer. Avec cette symphonie, sans doute la plus accomplie de Beethoven, le Wiener Symphoniker chante dans son jardin, au point de donner l’impression de pouvoir la jouer seule, malgré la gestique envahissante car trop appuyée et insistante de Philippe Jordan. Les sonorités singulièrement homogènes et les timbres fruités de la formation autrichienne ont flatté l’oreille de l’auditeur, mais la magie n’a pas opéré tant la direction de Jordan s’est avérée peu alerte, la rythmique peu marquée, la conception légèrement emphatique, tandis que la vision globale a manqué d’unité, comme l’ont souligné les longues respirations entre chaque mouvement, particulièrement entre les deux derniers qui forment pourtant un contraste saisissant lorsqu’ils sont enchaînés, comme une pulsion d’énergie foudroyante.

A noter la publication par le label de l'Orchestre Symphonique de Vienne du premier enregistrement avec Philippe Jordan, consacré à la Symphonie n° 6 Pathétique de Tchaïkovski (WS 900 SM)

Bruno Serrou

Avec "Le Petit Prince", Michaël Levinas a saisi le merveilleux et la profondeur philosophique du conte universel d’Antoine de Saint-Exupéry

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Lille, Opéra de Lille, mercredi 3 décembre 2014

Michaël Lévinas (né en 1949), le Petit Prince. Vincent Lièvre-Picard (l'Aviateur), Jeanne Crousaud (le Petit Prince). Photo : (c) Opéra de Lausanne

« S’il vous plaît… dessine-moi un mouton ! » supplie le Petit Prince à l’aviateur-narrateur qui vient de tomber du ciel à travers les nuages au beau milieu du désert… C’est sur cette phrase plusieurs fois réitérée que s’ouvre le superbe opéra que Michael Levinas a tiré de l’un des plus beaux textes de la littérature mondiale, le Petit Prince qu’Antoine de Saint-Exupéry écrivit en 1942. Pour son cinquième opéra, qui a été créé le 5 novembre dernier à Lausanne qui est aussi le second commandé par l’Opéra de Lille où a été donnée jeudi la première française, trois ans après la Métamorphose que le compositeur a adapté de Franz Kafka, Levinas a porté son dévolu sur un roman d’une humanité touchante et d’un onirisme profondément humain et d’une portée philosophique universelle hors normes. Après la partition sombre, sans concession à la lumière de son précédent ouvrage lyrique, le compositeur a pris le contre-pied pour le Petit Prince en concevant cette fois une musique lumineuse, chaude, fluide, cristalline, sonnant presque comme du Mozart dont elle a l’universalité et l’attrait pour la pureté enfantine vue à travers le prisme de l’expérience de l’adulte, exprimant les vraies valeurs de l’Homme, à la fois le merveilleux, la fraîcheur d’âme, l’amitié, la fragilité, l’éphémère, la fidélité, la vérité et le mensonge, la sagacité, la quête philosophique. Toutes valeurs qui font la richesse intellectuelle et sensible du compositeur acquise aux côtés de son père Emmanuel Levinas, l’un des plus grands philosophes métaphysiciens du XXe siècle. « Ce n’est pas rien de constater que le PetitPrince a été conçu quand les deux systèmes totalitaires s’entretuent », m’a rappelé Michaël Levinas durant une conversation d’après spectacle, avant d’ajouter que « considérant la désespérance de l’humanité à l’époque, le Petit Prince ne sauve pas l’humanité mais dit simplement la vérité. »

Michaël Lévinas (né en 1949), le Petit Prince. Vincent Lièvre-Picard (l'Aviateur), Jeanne Crousaud (le Petit Prince). Photo : (c) Opéra de Lausanne

Auteur de son propre livret, Michaël Levinas a respecté à la lettre le conte de Saint-Exupéry, dont est célébré cette année le soixante-dixième anniversaire de la disparition au large de la Provence au cours d’un vol de reconnaissance, se limitant à des coupures pour rester dans les limites du temps lyrique tout en se fondant dans la continuité de la narration pour y intégrer sa musique qui magnifie un texte admirable d’une rare diversité de sens sans en affecter la profondeur et la compréhension, en le laissant continuellement audible et clairement articulé. « J’ai écrit, pour les enfants et les adultes de toutes les cultures, une œuvre lyrique, une adresse, qui chante le texte et le message du Petit Prince, écrit-il dans le programme de salle. Le mythe théâtral du Petit Prince a une dimension quasi mozartienne. Il exprime à la fois le merveilleux, la grâce, mais aussi la fragilité ultime et la gravité face au réel humain et impitoyable : c’est là sa force paradoxale. »A l’instar de Saint-Exupéry, chaque scène-allégorie relate une rencontre du petit prince qui le laisse perplexe quant au comportement absurde des « grandes personnes ». 

Michaël Levinas (né en 1949). Photo : (c) Editions Lemoine

Le récit suscite toutes les formes d’expression lyrique, du parlé, particulièrement le narrateur, au chanté, notamment le Géomètre, en passant par le récitativo-cantando, les treize personnages étant campés par sept chanteurs, le Petit Prince revenant à une soprano, ici Jeanne Crousaud à la voix diaphane et au ton judicieusement enfantin. Outre Mozart, l’on retrouve au cœur d’emprunts habilement dosés et articulés des allusions à Ravel, plus particulièrement à l’Enfant et les sortilèges et à sa scène de l’Arithmétique, ou à l’opéra français du XVIIIesiècle dans l’air du Géographe où le clavier MIDI, seule concession à l'électronique de l’œuvre, se fait clavecin. 

Michaël Levinas (né en 1949), le Petit Prince. Catherine Trottmann (la Rose), Jeanne Crousaud (le Petit Prince). Photo : (c) Opéra de Lausanne

Car l’orchestre obéit aux normes du classicisme, ajoutant aux cordes, bois et cuivres (cors, trompettes) par deux une large percussion et un piano enrichi par un clavier numérique dont les alliages suscitent des colorations harmoniques d’une intensité exemplaire, comme si l’instrumentarium était dédoublé et enrichi d’instruments identifiables mais absents des effectifs, comme le cymbalum, ou intégrant des instruments peu usités, comme le tubax ou saxophone-tuba. Les scènes naturalistes (les rencontres du Petit Prince avec la Rose, le Serpent et, surtout, le Renard) sont d’une beauté et d’une émotion confondante.

Michaël Levinas (né en 1949), le Petit Prince. Benoît Capt (le Géographe), Jeanne Crousaud (le Petit Prince). Photo : (c) Opéra de Lausanne

Faisant entièrement confiance au compositeur quant à l’adaptation du texte, les ayant-droits de l’écrivain ont eu pour unique souhait que soient repris les dessins originaux de Saint-Exupéry conçus pour l’édition de son Petit Princeen 1943. Julian Crouch les a repris avec art pour sa réalisation des décors et des costumes du spectacle délicatement mis en scène par la suissesse Lilo Baur, qui invite au rêve et à la réflexion intime, rendant plus palpable la force intellectuelle et sensible de la nouvelle de Saint-Exupéry. La distribution est totalement investie dans cette œuvre où texte et musique se combinent étroitement dans la diversité expressive qui leur est à la fois propre et complémentaire, se fondant avec bonheur dans une mise en scène réglée au cordeau. 

Michaël Levinas (né en 1949), le Petit Prince. Jeanne Crousaud (le Petit Prince), Rodrigo Ferreira (le Renard). Photo : (c) Opéra de Lausanne

Ténor au timbre charnu, Vincent Lièvre-Picard est un Aviateur à la fois énergique et sensible, le contre-ténor Rodrigo Ferreira donne vie de sa voix puissante et colorée au Renard et au Serpent se plaisant à philosopher, le baryton Benoît Capt excelle en Vaniteux/Financier/Géographe, la soprano Catherine Trottmann, Rose au fort tempérament, le flamboyant Virgile Ancely (Le Roi/L’Ivrogne/L’Allumeur de réverbères/L’Aiguilleur de trains), basse polychrome, et Céline Soudain (la Rose multiple) brillent dans leurs rôles respectifs. Dans la fosse, sous la direction inspirée de son directeur musical Arie van Beek, l’Orchestre de Picardie donne à la partition une assise colorée toute en nuances à ce spectacle onirique et faussement ingénu, qui enchante petits et grands, comme l’attestent les remerciements entendus le soir de la première lilloise exprimés par un adolescent enthousiaste adressés à sa mère, qu’il félicitait de l’avoir amené voir cet opéra inédit.

Bruno Serrou

Cette production du Petit Prince de Michaël Levinas est reprise à Dunkerque le 16 décembre, au Grand Théâtre de Genève du 6 au 10 janvier, au Théâtre du Châtelet à Paris du 9 au 12 février et à l’Opéra Royal de Wallonie à Liège du 17 au 21 octobre 

Les Caprices de Marianne d’Henri Sauguet défendu avec conviction par 18 chanteurs au seuil d’une carrière prometteuse en tournée dans 15 théâtres lyriques

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Massy-Palaiseau, Opéra de Massy, dimanche 7 décembre 2014

Henri Sauguet (1901-1989), les Caprices de Marianne. Production du CFPL 2014-2015. Photo : (c) Alain Julien

Créé le 20 juillet 1954 dans le cadre du Festival d’Aix-en-Provence, les Caprices de Marianne d’Henri Sauguet (1901-1989) sont à l’instar de son auteur bien oubliés. A l’exception de rares productions, comme celles du Grand Théâtre de Compiègne en 2006 suivie l’année suivante par celle du Festival de Saint-Céré, il est peu d’occasions d’écouter et de voir cet opéra, qui, sans être d’une grande originalité, n’a pas à rougir face à des ouvrages de Menotti ou Rota, pour ne citer que les contemporains de Sauguet, le style conversation en musique en plus - mais de là à comparer les Caprices de Marianneà Ariane à Naxos de Richard Strauss comme le fait allègrement l’auteur du texte de présentation publié dans le programme de salle de l’Opéra de Massy, il y a un grand pas à franchir, surtout si l’on rappelle que quarante-quatre ans séparent les deux partitions en faveur du second, plus inventif et coloré que son cadet. 

Henri Sauguet (1901-1989). Photo : DR

Adapté de la pièce éponyme d’Alfred de Musset par Jean-Pierre Grédy, le livret conte les mésaventures de la capricieuse Marianne, épouse d’un vieux juge napolitain Claudio. Ne sachant ni aimer ni haïr, elle suscite l’amour d’un jeune homme sensible et timide, Coelio, que son ami Octave, qui est aussi le cousin de celle qui fait l’objet de ses soupirs, aide à conquérir le cœur de la jeune femme. Accusée à tort d’adultère par son mari et troublée par les propos de son cousin, elle lui accorde un rendez-vous dont il fait profiter son ami, qui tombe dans le guet-apens tendu par l’époux jaloux.

Henri Sauguet (1901-1989), les Caprices de Marianne. Coelio, Marianne et la duègne. Photo : (c) Alain Julien

Programmé sur l’initiative du Centre Français de promotion lyrique (CFPL), structure fondée en 1970 par les principaux directeurs d’opéras de France pour faciliter l’insertion professionnelle et la promotion de jeunes chanteurs, notamment par le biais du concours Voix Nouvelles, le projet Les Caprices de Marianne de Sauguet succède à celui du Voyage à Reims de Rossini, qui, de 2008 à 2010, permit à une trentaine de jeunes chanteurs de s’aguerrir au contact de la scène à la carrière pendant une longue tournée. Cette fois, les Caprices de Marianne sont programmés par quinze scènes (Opéra Grand Avignon, Opéra national de Bordeaux, Opéra-Théâtre de Limoges, Opéra de Marseille, Opéra de Massy, Opéra-Théâtre de Metz Métropole, Opéra de Nice, Opéra de Reims, Opéra de Rennes, Opéra de Rouen Haute-Normandie, Opéra-Théâtre de Saint-Etienne, Théâtre du Capitole de Toulouse, Opéra de Tours, Opéra de Vichy,  et l’Avant-Scène/Neuchâtel - Suisse) pour plus de quarante représentations réparties sur deux saisons, jusqu’en mai 2016, après cinq semaines de répétitions à l’Opéra de Reims en septembre-octobre dernier. 

Henri Sauguet (1901-1989), les Caprices de Marianne. Photo : (c) Alain Julien

Deux cent trente candidats de moins de trente-cinq ans originaires de vingt-huit pays se sont présentés aux deux séries d’auditions nécessaires à la sélection de la double distribution de neuf rôles. L’opéra-comique de Sauguet a été choisi par ces institutions parce qu’il est représentatif du « style et [du] répertoire français [, qu’il est] aisément [possible de le] confier à de jeunes chanteurs et fait appel à l’ensemble des tessitures vocales ».

Henri Sauguet (1901-1989), les Caprices de Marianne. Marianne (Aurélie Fargues), la duègne (Jean-Vincent Blot) et Octave (Marc Scoffoni). Photo : (c) Alain Julien

Parallèlement à la mise en place de la production, un appel à projet a été lancé en vue du recrutement de l’équipe scénique complète, qui a suscité cinquante-trois dossiers de candidatures parmi lesquels six ont été présélectionnés, avant qu’une équipe québécoise soit retenue, sous la conduite du metteur en scène Oriol Tomas, tandis que la direction musicale était confiée à deux chefs d’orchestre français, Gwennolé Rufet et Claude Schnitzler.

Henri Sauguet (1901-1989), les Caprices de Marianne. Tibia, Claudio, Marianne et la duègne. Photo : (c) Alain Julien

Connu pour ses collaborations au théâtre (Charles Dullin, Louis Jouvet), ainsi qu’au cinéma (Marcel L’Herbier, Louis Daquin, Henri Decoin, Pierre Chenal, John Berry, Michel Boisrond, Pierre Prévert), et pour quelques-uns de ses vingt-quatre ballets, le plus fameux étant la Chatte et les Forains, ce dernier lançant la carrière de Roland Petit en 1945, disciple d’Erik Satie et de Charles Kœchlin, Henri Sauguet s’est imposé dans le domaine lyrique avec l’opéra-bouffe la Contrebasse (1930), les opéras laChartreuse de Parme (1939), la Gageure imprévue(1942), quatre symphonies, des concertos pour piano et pour violon, une Mélodie concertante pour violoncelle et orchestre (1964), la suite symphonique Tableaux de Paris (1950) et de la musique de chambre dont un Quatuor à cordes (1948). Se déclarant indépendant et revendiquant son refus de l’école de Darmstadt, il sera tenu à l’écart de ses jeunes contemporains, et sa musique trahit un savoir-faire incontestable au service d’un langage alliant classicisme et romantisme et se situant dans la continuité de la musique française, de Rameau à Fauré plutôt qu’à Debussy. Son œuvre la plus significative est la cantate pour baryton et orchestre à cordes l’Oiseau a vu tout cela composé en 1960 sur un poème de Jean Cayrol.

Henri Sauguet (1901-1989), les Caprices de Marianne. La duègne, Claudio, Marianne et l'aubergiste. Photo : (c) Alain Julien

Opéra-comique en deux actes d’une durée totale de deux heures et dix minutes, les Caprices de Marianne vaut surtout par son écriture foisonnante, à défaut d’originalité flagrante et de témérité. Ainsi réussit-il à donner une infinité de coloris et par la grande virtuosité requise pour les vingt-cinq instrumentistes de fosse, qui expriment l’essentiel de l’opéra. Le style vocal est celui d’une conversation en musique marquée en outre de la double empreinte de Debussy et Ravel. Seul le rôle de Marianne sollicite une réelle vélocité vocale sans pour autant nuire à l’intelligibilité du texte.

Henri Sauguet (1901-1989), les Caprices de Marianne. Hermia et Coelio. Photo : (c) Alain Julien

C’est pourquoi il convient de féliciter ici la jeune soprano toulousaine Aurélie Fargues, qui surmonte les vocalises avec une certaine adresse et s’avère endurante, mais la voix est un peu trop pointue voire acide, et qui ne chante pas toujours juste sans doute contrainte par le débit souvent rapide que lui impose l’écriture de Sauguet qui tend trop systématiquement vers le parlé-chanté. En revanche, le reste de la distribution est sans défaut, menée par l’excellent Octave de Marc Scoffoni, baryton marseillais qui conforte sa jeune réputation, et par le Coelio tout d’ardeur et de spontanéité de Cyrille Dubois, ténor caenais ancien élève de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris qui impose un aigu solide et coloré et un style raffiné de jeune homme naïf, tandis que la basse niçoise Thomas Dear, silhouette élancée, est un juge Claudio glacial et tortueux, et la mezzo-soprano Julie Robard-Gendre une Hermia touchante de sa belle voix sombre et veloutée. De Xin Wang (Aubergiste diligent) à Tiago Matos (chanteur de sérénade inspiré), en passant par Carl Ghazarossian (factotum cynique), les seconds rôles sont parfaitement tenus. Seule faute de goût, Jean-Vincent Blot qui en fait un peu trop dans le court rôle travesti de la duègne.

Henri Sauguet (1901-1989), les Caprices de Marianne. Octave et Marianne. Photo : (c) Alain Julien

Dirigé avec conviction par Gwennolé Rufet, son directeur musical, l’Orchestre de l’Opéra de Massy a servi l’œuvre avec rigueur et clairvoyance, certains pupitres s’imposant dans des solos forts bien tenus, tous soutenant avec attention les chanteurs qu’ils enveloppaient de leurs timbres sans jamais les couvrir. La mise en scène d’Oriol Tomas, qui se déploie dans un décor unique conçu par Patricia Ruel figurant à grands traits la Galleria Umberto I de Naples dédoublée dans les cintres en fond de scène, à l’aplomb de deux alcôves, la salle de l’auberge côté cour, l’appartement du juge à jardin, les deux pièces étant séparées par un escalier central conduisant à un jardin, tandis que milieu du plateau est occupé par la rondeur d’une fontaine (qui se fait baignoire le temps que la mère de Coelio lave le dos de son fils), tandis que la progression de la psyché du personnage de Marianne est soulignée par l’évolution de ses costumes que Laurence Mongeau fait évoluer de la robe cloche de jeune fille à la robe de femme assumée.

Bruno Serrou

Louis Langrée a dirigé avec panache le concert d’adieu de l’Orchestre de Paris à la Salle Pleyel

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Paris, Salle Pleyel, mercredi 10 décembre 2014

Louis Langrée. Photo : (c) Arte.tv

Ce mercredi 10 décembre restera pour ceux qui y étaient, public et acteurs confondus, comme une soirée mémorable. Pour beaucoup, c’est la nostalgie qui a prédominé, pour d’autres, tout aussi nombreux, ce fut seulement une page qui se tournait avant une nouvelle et grande aventure, assurément plus longue et au moins aussi riche, avec l’installation que l’on espère définitive pour l’Orchestre de Paris à qui la nouvelle salle est avant tout destinée, après qu’il soit passé par les cases Théâtre des Champs-Elysées, Salle Pleyel, Palais des Congrès, Théâtre Mogador, avant le retour à Pleyel complètement repensé pour lui voilà huit ans… Le 14 janvier prochain, l’Orchestre de Paris donnera son tout premier concert à la Philharmonie, abandonnant le huitième arrondissement huppé de la rue du faubourg Saint-Honoré non loin du Palais de l’Elysée, pour le dix-neuvième, au pied du boulevard périphérique côté intérieur, sans pour autant changer de rive de la Seine, la gauche restant  sans doute à jamais un désert musical…

La Salle Pleyel, façade du 252 rue du faubourg Saint-Honoré. Photo : DR

Si les musiciens de l’Orchestre de Paris affirment leur joie quant à leur installation à la Philharmonie qui leur est dédiée, le public que la phalange parisienne s’est forgé le suivra-t-elle pour autant ?... Il y a des chances, puisque ses multiples déménagements en quarante-sept ans d'existence n'ont nui ni à sa fréquentation ni à sa progression artistique. Néanmoins, hier, assis à ma droite, un homme d’une élégance flatteuse, avec chapeau-feutre et canne au pommeau argenté m’a fait part haut et fort de ses regrets, tout en avouant son fatalisme : « C’est l’ultime concert de l’Orchestre de Paris auquel j’assiste. Je le suis pourtant depuis 1967, mais il n’est pas question que j’aille dans le quartier où il s’installe. J’irai ailleurs, et j’écouterai des disques. »

La Salle Pleyel, vue depuis le plateau. Photo : (c) Pierre-Emmanuel Rastoin/Salle Pleyel

Pour cette soirée d’adieu, la Salle Pleyel était comble. Pas un fauteuil libre parmi les mille neuf cent treize places assises que compte Pleyel, à tel point que les invitations étaient peu nombreuses et les places de presse réduites aux acquêts. Il faut dire que, outre les circonstances inhabituelles, le programme avait de quoi attirer les foules, d’autant plus que le concert n’était pas doublé, contrairement à la grande majorité des rendez-vous de l’Orchestre de Paris qui sont le plus souvent donnés deux jours de suite, les mercredis et jeudis.

Salle Pleyel, Orchestre de Paris et Chœur de l'Orchestre de Paris. Photo : (c) Orchestre de Paris

Louis Langrée dirigeait. Il retrouvait ainsi un orchestre qu’il connaît bien et qui l’apprécie, leur collaboration remontant à un premier concert en 1991, année du bicentenaire de la mort de Mozart à qui cette première prestation était consacrée, puis dans plusieurs représentations scéniques de Fortuniod’André Messager en 2009 et de Pelléas etMélisande de Claude Debussy en 2011. Désormais, la maturité venue, riche d’expériences multiples, maîtrisant autant les répertoires baroque et classiques sur instruments anciens et modernes que l’orchestre symphonique et l’opéra, le chef français compte parmi les plus grands directeurs d’orchestre de sa génération. Et sa prise de fonctions en septembre 2013 comme Directeur musical du Cincinnati Symphony Orchestra, l’un des « Big Ten » américains, n’est en aucun cas usurpée, comme l’atteste sa performance d’hier.

Les deux œuvres de la soirée, situées entre classicisme et romantisme, ont eu pour dénominateur commun la fraîcheur, la nostalgie sans épanchement et la spiritualité, avec une partition de jeunesse pour orchestre de Franz Schubert (1797-1828) et une grande page chorale incomplète de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791).

L'Orchestre de Paris à la Salle Pleyel. Photo : (c) Orchestre de Paris

Quatrième Symphonie de Schubert

Achevée en 1816 - elle ne sera créée qu’en 1849, soit vingt-et-un ans après la mort de son auteur -, la Symphonie n° 4 en ut mineur « Tragique »D. 417 de Schubert, contrairement à ses trois premières symphonies, se tourne davantage vers Beethoven que vers Mozart. Ce n’est d’ailleurs sans doute pas un hasard si Schubert a adopté la tonalité d’ut mineur qui est celle de la Cinquième Symphonie que Beethoven acheva en 1808. Schubert utilise quatre cors, ce qui donne à cette pièce d’une demi-heure une ampleur inaccoutumée, malgré une orchestration conforme à celle de l’époque, avec bois et cuivres par deux, timbales et cordes (14-12-10-8-6). A noter d’ailleurs que Louis Langrée a disposé ces dernières de façon traditionnelle hors de l’hexagone, c’est-à-dire les violons se faisant face, les premiers à cour, les contrebasses derrière eux, les seconds à jardin, violoncelles et altos dans cet ordre entre premiers et seconds violons. Langrée a d’entrée donné le ton de son perception de l’œuvre, précise à la fois d’intention et d’analyse. Les premières mesures ont été saturées de tension tragique et introspective qui a donné à cette partition née de l’esprit d’un jeune homme de dix-neuf ans une profondeur et une gravité d’une maturité laissant percer l’ultime Neuvième Symphonie en ut majeur dite « LaGrande » de 1825-1826, tout en soulignant ce que cette Quatrièmedoit également à Mozart, tandis que l’Allegrovivace s’est avéré d’une frénésie saisissante soutenue par une rythmique implacable. Une délicate émotion a submergé l’auditoire dans l’Andante, tandis que le Menuet a procuré à l’œuvre un oasis guilleret, intermède qui a débouché sur un Allegro final frétillant avant de conclure sur un ton martial. L’Orchestre de Paris a répondu avec vaillance à la moindre sollicitation du chef, geste précis et expressif quant à ses intentions, jouant avec bonheur sous la direction de ce brillant musicien qui a d’évidence le charisme et le talent pour devenir un jour son directeur musical… s’il n’était pas Français… Cela dit, plusieurs de ses aînés parmi les plus fameux ont dû passer par les Etats-Unis pour s’imposer chez eux, Pierre Monteux, Charles Munch, Pierre Boulez…

L'Orchestre de Paris et le Chœur de l'Orchestre de Paris à la Salle Pleyel. Photo : (c) Orchestre de Paris

Grande Messe de Mozart

La seconde œuvre du programme a été l’occasion de réunir l’Orchestre de Paris, en formation réduite - flûte, deux hautbois, deux bassons, deux cors, deux trompettes, timbales et cordes (12-10-8-6-4), mais avec trois trombones et un orgue -, et son Chœur - ici à quatre, cinq et huit voix et chantant non pas au-dessus de l'orchestre mais depuis le plateau -, que Daniel Barenboïm avait fait constituer en 1976 par Arthur Oldham lorsqu’il était Directeur musical de la phalange parisienne. Ce sont ajoutés quatre chanteurs solistes. Louis Langrée, qui excelle dans Mozart - ce que les Américains et les Autrichiens savent parfaitement puisqu’ils lui ont confié le festival Mostly Mozart du Lincoln Center de New York qu’il dirige depuis douze ans et la Camerata de Salzbourg depuis 2010 -, a en effet dirigé la Grande Messe en ut mineur KV. 427que Mozart a composée pour son mariage avec Constance Weber à Salzbourg en 1782. Le projet initial du compositeur était une partition d’une centaine de minutes dont il n’a finalement réalisé qu’un peu plus de la moitié. Il s’agit en effet d’une œuvre incomplète, puisque ne sont achevés que le Kyrie, que Mozart reprendra dans sa cantate Davidde penitente KV. 469, le Gloria, la première partie du Credo, le Sanctus, partiellement perdu, et le Benedictus. Manquent donc à l’appel la fin du Credo, une partie du Sanctus, l’Agnus Dei et le Dona nobis pacem. Ce que Schubert doit à Mozart et Beethoven dans sa symphonie, Mozart le doit dans sa messe à Haendel et Jean-Sébastien Bach et à ses fils. D’imposantes fugues parcourent la partition, d’une beauté et d’une inventivité à couper le souffle, sur Cum Sancto Spiritu dans le Gloria et sur Hosanna dans le Sanctuset le Benedictus, tandis que l’invention mélodique est foisonnante. L’on perçoit dans plusieurs passages des tournures et des accents plus ou moins annonciateurs du Requiem en ré mineur KV. 626, cela dès le début dans la douloureuse déploration du Kyrie sur les mots Kyrieeleison, tandis que le Laudamus Te du Gloria renvoie au théâtre lyrique.

Avec un souci du détail et un sens du contraste exemplaire, Louis Langrée a mis en exergue les infinies richesses de cette splendide partition, déployant un somptueux tapis sonore avec un Orchestre de Paris en excellente forme en profitant pour lui extirper de fabuleuses couleurs, respirant large dans les longues phrases ménagées par Mozart qui se sont développées avec ampleur et générosité sans que le moindre pupitre manifeste le plus petit signe de faiblesse, magnifiant autant la spiritualité profonde de l’œuvre que son lyrisme épanoui, mais aussi sa poignante grandeur. Si la soprano finlandaise Marita Solberg a fait entendre un chant plus ou moins serré dans ses vocalises, son timbre clair et charnu a conduit à en faire abstraction dans le sublime Et incarnatus est du Credo. Les trois voix - la noble mezzo-soprano suédoise Katija Dragojevic à la voix de bronze, et le remarquable ténor britannique Toby Spence qui a donné une extraordinaire intensité à sa partie, associées à la soprano - se sont fondues les unes aux autres comme autant d’instruments d’un trio, la basse n’intervenant qu’à la toute fin de l’œuvre incomplète, mais le peu que l’Argentin Nahuel Di Pierro a donné la mesure de cette voix pleine et ronde. Le Chœur de l’Orchestre de Paris a amplement participé à la réussite de cette interprétation, montrant ferveur, homogénéité et sens de la respiration.


Bruno Serrou 

"Un bal masqué" de Verdi d’une grande efficacité du Théâtre du Capitole de Toulouse réunit une distribution jeune et homogène à majorité slave

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Toulouse, Théâtre du Capitole, mardi 30 septembre 2014

Giuseppe Verdi (1813-1901), Un ballo in maschera. Dmytro Popov (Riccardo), Keri Alkema (Amelia). Photo : (c) Patrice Nin

Malgré sa popularité, Un bal masqué est l’un des opéras de la maturité de Giuseppe Verdi les plus rares à la scène. Pourtant, la France l’a découvert dès janvier 1861, au Théâtre Italien à Paris, deux ans tout juste après sa création au Teatro Apollo de Rome. Adapté d’Eugène Scribe, le livret d’Antonio Somma s’inspire de l’assassinat du roi Gustave III de Suède au cours d’un bal masqué à l’Opéra royal de Stockholm en 1792, événement qui avait déjà inspiré DFE Auber pour son opéra Gustave IIIou le Bal masqué. La censure italienne, qui jugea le sujet amoral, obligea Verdi à transposer son action à Boston au XVIIesiècle et à faire du roi suédois un gouverneur britannique. La partition d’Unbal masqué marque une rupture avec celles qui la précède dans la création verdienne et annonce l’ultime Verdi.

Giuseppe Verdi (1813-1901), Un ballo in maschera. Julia Novikova (Oscar), Dmytro Popov (Riccardo), Choeur d'hommes du Capitole de Toulouse. Photo : (c) Patrice Nin

Vincent Boussard a cherché à traduire dans sa mise en scène l’universalité du propos, en le plaçant autant dans notre siècle que dans celui de l’époque du drame. Défaits de tout manichéisme, les personnages sont complexes, et la direction d’acteur les rend tous attachants. Bien éclairés par Guido Levi, les décors de Vincent Lemaire sont simples et efficaces, et ne trahissent pas l’économie de moyens. L’action se déploie dans une boîte noire qui se fait parfois blanchâtre, avec quelques projections d’un portrait gris d'un jeune homme emperruqué qui se met un instant à pleurer. Quelques éléments de mobilier, canapés, avec, à l’avant-scène un fauteuil rouge omniprésent sur lequel mourra Riccardo, et l’acte du bal est dominé par un lustre gigantesque. Plus dépouillés que de coutume, les costumes de Christian Lacroix - vêtements sombres (smokings-cravates, robes noires, talons hauts) jusqu’au bal du troisième acte (costume et masques XVIIIe siècle) - sont de grande beauté, le noir et le blanc étant traités ici comme s’il s’agissait d’or et de vermillon.

Giuseppe Verdi (1813-1901), Un ballo in maschera. Elena Manistina (Ulrica), Maîtrise du Capitole de Toulouse. Photo : (c) Patrice Nin

Réunissant quatre slaves parmi les sept rôles solistes, la distribution de jeunes chanteurs est d’une totale homogénéité. Elle est dominée par le Riccardo de Dmytro Popov au timbre généreux et à la voix solide et d’une belle musicalité et l’impressionnant Renato de Vitaly Bilyy, baryton noble et rayonnant. Pour ses débuts en France, la soprano américaine Keri Alkema déploie en Amelia une opulente voix de lirico-spinto faite d’ombres et de lumière. Déjà entendue dans ce rôle d’Ulrica à l’Opéra de Paris en 2007 et à Strasbourg en 2008, la mezzo-soprano russe Elena Manistina est une diseuse d’aventure un peu trop imposante et qui a trop tendance à poitriner, la soprano colorature russe Julia Novikova, entendue à Toulouse dans d’excellentes Indes galantes en 2012 est toute de charme et d’éclat dans l’attachant rôle du page Oscar. Le baryton français Aimery Lefèvre (Silvano), son homologue brésilien Leonardo Neiva (Samuel) et la basse russe Oleg Budaratskiy (Tom) complètent avec maestria ce plateau de grande qualité, auquel il convient d’associer les brillants Chœur et Maîtrise du Capitole.

Giuseppe Verdi (1813-1901), Un ballo in mascheraKeri Alkema (Amelia), Dmytro Popov (Riccardo), Choeur du Capitole de Toulouse. Photo : (c) Patrice Nin

Mais le plus frappant est dans la fosse et à l’arrière-scène, avec un Orchestre National du Capitole qui frise la perfection. D’une grande cohésion, alternant sans faillir fougue et onirisme, avec des pupitres solistes d’une plastique somptueuse (cor anglais, clarinette, violoncelle, violon) et des cuivres rutilants, il répond sans faillir aux moindres inflexions de la direction idiomatique du chef israélien Daniel Oren, familier du répertoire lyrique italien que les fidèles de l’Opéra de Paris connaissent bien, s’est illustré en mettant en valeur les passages les plus lyriques, particulièrement le grand duo d’amour Amelia/Riccardo du deuxième acte, tout en restant attentif aux chanteurs.


Bruno Serrou

Entretien avec Christophe Coin, violoncelle et viole de gambe

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Christophe Coin au violoncelle. Photo : DR

Familier de la musique du XVIIe siècle jusqu’au début du XXe, notamment par le biais du Quatuor Mosaïque dont il est membre fondateur, Christophe Coin est à cinquante-six ans célébré par ses pairs et par les mélomanes. Né à Caen en 1958, violoncelliste, gambiste, chef d’orchestre, pédagogue - il enseigne le violoncelle baroque au Conservatoire de Paris depuis 1984 et la viole de gambe à la Schola cantorum de Bâle -, Coin est le principal artisan du renouveau du violoncelle baroque en France. Suivant depuis nombre d’années son activité, je souhaitais depuis longtemps le rencontrer dans le cadre d’une interview. L’occasion m’en a été donnée en octobre dernier par le quotidien La Croix sur l’invitation de l’Académie de l’Orchestre Français des Jeunes Baroque réunie en session sous sa direction au Grand Théâtre de Provence à Aix-en-Provence, que je remercie ici vivement pour leur aide.

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Violoncelle baroque. Photo : DR

Violoncelle et viole de gambe

Bruno Serrou : Les aptitudes solistes du violoncelle n’étaient guère exploitées pendant très longtemps, jusqu’à ce que Pablo Casals le remette en avant. Est-ce exact ?
Christophe Coin : Il y a toujours eu des grands violoncellistes. Pour ne parler que de l’école française, cette dernière remonte à Jean-Louis Duport (1749-1819) et à son frère aîné Jean-Pierre (1741-1818), qui créa en 1797 les deux Sonates Op. 5 de Beethoven avec le compositeur au piano et contribua à fonder l’école allemande du violoncelle, Jean-Baptiste Bréval (1753-1823)… Il y a eu autour du conservatoire tout au long du XIXe siècle de grands violoncellistes. Evidemment, le répertoire n’était pas aussi large que celui du piano ou du violon, le violoncelle étant resté avant tout un instrument d’orchestre et d’accompagnement. Pablo Casals a de fait constitué une exception qui a fait parler du violoncelle, mais je pense que le boom quantitatif date en vérité de Mstislav Rostropovitch. C’est lui qui a fait en sorte que dans les conservatoires aujourd’hui  il y a pratiquement autant de violoncellistes que de violonistes. Ce qui n’était pas du tout le cas quand je me suis mis au violoncelle…

André Navarra (1911-1988). Photo : DR

B. S. : Qu’est-ce qui vous a conduit à choisir le violoncelle ?
C. C. : Rien, au départ je jouais du piano. Mais mon professeur, qui aimait les instruments à cordes, a dit à mes parents : « Ce garçon a de l’oreille, il faut lui faire faire un instrument à cordes. » Ma mère m’a interdit le violon d’emblée, et comme il y avait un excellent professeur de violoncelle à Caen, Jacques Ripoche, qui était aussi un pédagogue formidable, passionné, qui s’engageait corps et âme pour ses élèves, je suis entré  dans sa classe… Le personnage m’a immédiatement fasciné. Sa façon de jouer était d’un grand violoncelliste à la pâte sonore formidable. Surtout, il m’a tout de suite parlé de musique. Puis, à douze ans, je suis allé chez André Navarra. A l’époque, pour entrer au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, il n’y avait pas besoin d’avoir son bac, et il n’y avait pas en violoncelle la même demande qu’aujourd’hui. Le niveau technique, à la sortie du conservatoire, équivaut à celui requis pour y entrer aujourd’hui. La quantité d’élèves qui se présentent au Conservatoire suscite forcément une émulation, du coup la base de la pyramide s’élargit…

B. S. : André Navarra vous a fait découvrir une partie du répertoire, mais il jouait sur un instrument moderne. Qu’est-ce qui vous a conduit à vous intéresser au violoncelle baroque et la viole de gambe ? L’avez-vous travaillée au Conservatoire ?
C. C. : Absolument pas. En fait, grâce à Navarra, j’ai obtenu une bourse d’étude pour le rejoindre à Vienne à son invitation afin d’approfondir le répertoire que je n’avais pas eu le temps d’étudier au Conservatoire de Paris d’où j’étais sorti diplômé à l’âge de seize ans. C’est là que j’ai rencontré Nikolaus Harnoncourt, alors que je m’intéressais déjà à ce type d’approche, jouant en autodidacte la viole de gambe.

Viole de gambe. Photo : DR

B . S. : Ne trouviez-vous pas à cette époque cet instrument bizarre ?
C. C. : Plus que bizarre. Et j’avais eu l’occasion d’entendre les frères Kuijken, Jordi Savall, de voir une exposition itinérante qu’avait organisée la Comtesse Geneviève Thibaud de Chambure. J’avais poursuivi Jordi [Savall] plusieurs concerts durant en lui demandant si je pouvais prendre une leçon avec lui. Il a fini par me faire entrer à la Schola Cantorum de Bâle, ce qui m’a conduit à étudier parallèlement le violoncelle à Vienne et la viole de gambe à Bâle. J’avais dix-huit ans. Il m’a fallu peu de temps pour me centrer sur la Schola et je me suis installé à Bâle pour y poursuivre mes études. Mais je continuais le violoncelle et je me rappelle à Bâle y avoir suivi une master class d’un mois de Mstislav Rostropovitch. Je n’avais donc pas complètement perdu de vue le violoncelle. Mon professeur du conservatoire de Caen m’avait fait travailler le violoncelle sur des cordes en boyau parce qu’il considérait que c’est vraiment ainsi que l’on forge le son, et c’est ainsi que lorsque j’ai étudié plus tard les instruments anciens je n’étais pas en terra incognita.

Jordi Savall. Photo : DR

B. S. : En quoi le boyau est-il plus indiqué pour travailler le son que le métal ?
C. C. : Parce que c’est plus difficile, c’est moins gagné d’avance et qu’il faut plus comprendre la façon de produire la vibration, de ne pas grincer, siffler, etc. Sur un instrument monté métal, il y a toujours quelque chose qui sort, quoi que l’on fasse, qui est plus ou moins correct, mais on a tout de suite un résultat, tandis que sur le boyau, c’est juste ou cela ne l’est pas, il n’y a pas trente-six mille solutions.

B . S. : L’accord tient-il mieux avec le métal ?
C. C. : Tous ces problèmes de stabilité, d’hydrométrie entrent beaucoup moins en ligne de compte avec les cordes métallique…

Christophe Coin à la viole de gambe. Photo : DR

B. S. : La viole de gambe, sur le plan technique, en quoi diffère-t-elle du violoncelle ?
C. C. : La viole de gambe se rapprocherait davantage du luth que du violoncelle, du fait qu’elle a plus de cordes, qu’elle a des frettes et que sa structure est beaucoup plus légère. Cet instrument n’est pas dans le paysage de l’orchestre simplement parce qu’il n’est pas aussi sonore. Il est aussi plus compliqué parce qu’il a six cordes, voire sept pour des violes françaises. Tant et si bien qu’il était vraiment l’instrument de la noblesse. Tandis que le violoncelle est la basse du violon, et il est beaucoup plus clair.

B . S. : Viole et violoncelle ont cohabité ?
C . C. : Ils ont cohabité, mais pas en tant qu’instruments solistes. Le soliste qui faisait pendant au violon était la viole de gambe. Ce n’est qu’après, au XVIIIe siècle, quand on a commencé à monter dans les positions, à utiliser la position du pouce pour aller beaucoup plus haut, que le violoncelle a commencé à être un instrument soliste.

B. S. : Le jeu des deux instruments est-il comparable ?
C . C. : La tenue d’archet est différente, les gambistes le tiennent en bas, les violoncellistes ont la main en haut, ce qui suscite d’importantes différences.

B. S. : Les avez découvertes en autodidacte ?
C . C. : J’ai commencé en autodidacte, mais j’ai également pris des cours avec Jordi Savall. Je ne pouvais pas tomber mieux. J’ai eu tout de suite un excellent professeur.

B . S. : Les rencontres avec les grands sont-elles toujours des moments importants pour un musicien ? Parce que vous pouvez très bien aller vers eux avec un fort désir d’enrichissement artistique, sans que cela aboutisse à quelque chose.
C. C. : Cela arrive, mais à l’époque, pour apprendre la viole de gambe il n’y avait pas autant de choix que maintenant pour un jeune, dans les conservatoires qui comptent vous avez désormais une classe de viole de gambe. A l’époque, ce n’était pas du tout le cas, il fallait aller soit à La Haye soit à Bâle. Peut-être y avait-il une classe à Londres et une autre en Allemagne, mais il y avait très peu de choix.

Navarra, Harnoncourt, Savall, Rostropovitch, Hogwood, Kuijken

B . S. : Qu’est-ce qui vous a incité à vous intéresser à la musique ancienne plutôt qu’à l’avenir du violoncelle, en vous tournant vers les compositeurs d’aujourd’hui ? Pourquoi remonter le temps plutôt qu’aller de l’avant ?
C . C. : Je me suis intéressé à l’apport personnel qu’a l’interprète dans cette musique. Il n’y a pas le poids de la tradition, puisqu’elle a été interrompue. Quand j’allais chez Navarra, ses élèves copiaient le coup d’archet du maître et nous jouions comme le maître. Il n’était pas question d’imaginer autre chose, et nous ne nous le serions jamais permis. Nous jouions ainsi parce que c’était la tradition de l’école du maitre. Alors que quand j’ai découvert cette musique ancienne il n’y avait pas de nuances, d’indication de tempo, il fallait tout imaginer. J’ai trouvé que l’instinct avait une part importante, le côté un peu plus libre était une bouffée d’air pur par rapport au côté académique du conservatoire à l’époque.

B . S. : La musique baroque a été vraiment redécouverte dans les années 1980…
C . C. : Oui, avec Jacques Merlet, à la radio… J’écoutais tous les dimanches la cantate de Bach qu’il diffusait. C’est lui qui m’a fait découvrir Harnoncourt. Un peu plus tard, quand j’ai eu la chance de pouvoir assister à Vienne aux concerts d’Harnoncourt et de son Concentus Musicus, j’ai été évidemment d’autant plus intéressé. J’étais encore avec Navarra, mais j’allais aux concerts Harnoncourt en cachette, évitant soigneusement de le lui dire.

B . S. : Comment avez-vous pris contact avec Harnoncourt, lui-même violoncelliste de formation ?
C . C. : Je l’ai rencontré par l’intermédiaire de sa fille, qui jouait de la flûte à bec - elle est aujourd’hui chanteuse. Nous avions formé ensemble un petit groupe qui s’appelait Récréation. Il comptait cinq instruments, flûte à bec, hautbois, violon, clavecin et violoncelle. Elle m’a présenté à son père et qui m’a donné l’occasion de lui jouer quelque chose, puis il m’a engagé pour jouer au sein du Concentus Musicus. C’est ainsi que les choses se sont réalisées.

L’intégration dans son ensemble s’est-elle faite rapidement ?
Je suis allé voir Harnoncourt à Salzbourg où il donnait un cours magistral. L’année où j’y suis allé il avait choisi Idomeneo de Mozart. Nous avons travaillé toute l’année sur cet opéra. A l’issue du cours, c’était table ouverte, c’est-à-dire qui avait envie de jouer, jouait. Qui du Beethoven, qui du Diego Ortiz, chacun amenait quelque chose et Harnoncourt faisait des commentaires, donnait des conseils. J’aimais beaucoup ce genre de pratique que l’on ne fait pas chez nous. Harnoncourt a repris en fait une méthode de l’un de ses professeurs viennois, Josef Mertin, qui passait de Bach à Brahms, pouvait parler dans un même cours de Strauss et Mahler et de la musique de la Renaissance. Aujourd’hui tout est beaucoup plus étiqueté, catalogué, spécialisé, ce qui est regrettable.

B . S. : Vous qui enseignez au Conservatoire de Paris, essayez-vous d’appliquer ce système ou êtes-vous obligé de restreindre votre champ d’investigation ?
C . C. : Théoriquement, j’enseigne le répertoire ancien, mais évidemment j’ai dans ma classe des violoncellistes qui sont intéressés aussi par le fait de jouer Mendelssohn avec pianoforte. En vérité, tout ce qui ne date pas d’aujourd’hui est de la musique ancienne.

B . S. : Vous souvenez-vous de votre rencontre avec Jordi Savall ?
C . C. : J’ai intégré Espérion XX assez tôt pour un certain nombre de projets alors que je finissais mes études avec lui, à Bâle. Ce fut pour moi une grande expérience de faire de la musique du moyen-âge, le Livre Vermeil, enregistrer de la musique de la Renaissance, et surtout de faire du consort de violes, parce que je faisais de la viole de gambe d’abord pour jouer de la musique anglaise élisabéthaine, musique que je trouvais absolument fascinante.

Christopher Hogwood (1941-2014). Photo : DR

B . S. : Vous avez également travaillé avec Christopher Hogwood, qui vient de mourir. Son approche de la musique ancienne était différente encore. Avez-vous fait partie de son ensemble ?
C . C. : Uniquement en tant que soliste. En fait je l’ai aussi rencontré à Vienne. Cette année viennoise a vraiment été très importante pour moi… Christopher Hogwood est venu jouer avec un groupe de musique médiéval anglais, l’Early Music Consort qu’il avait fondé en 1967 avec David Munrow. Il y tenait la harpe et l’épinette. Nous avons discuté à l’issue du concert, et quelques années plus tard, il m’écrivait une lettre : « Voilà est-ce que… J’aimerais vous auditionner pour enregistrer les concertos de Haydn sur un violoncelle baroque. » Je ne savais pas encore ce qu’était un violoncelle baroque, je connaissais le violoncelle moderne et la viole de gambe, mais je n’avais jamais imaginé qu’il y eut aussi une autre manière de jouer le violoncelle. J’ai donc commencé à écouter Anner Bylsma, et je me suis fait faire une copie d’un instrument monté comme il convient, une copie d’origine, et je me suis mis à travailler les concertos de Haydn, que je n’avais jamais  travaillé. Pas même avec Navarra je ne sais pas pourquoi, j’avais peut-être travaillé un peu le ré majeur mais pas l’autre, et, de plus, je n’avais aucune expérience de soliste. J’avais vingt-quatre/vingt-cinq ans au moment où j’ai enregistré les concertos de Haydn avec Hogwood, et c’était ma première pratique du concerto. Il faut reconnaître que les Anglais ont fait un travail considérable avec toutes ces intégrales des symphonies de Haydn, de Mozart, etc. C’était un petit peu l’usine, Nous travaillions très vite, de façon très efficace. Les Anglais sont connus pour cela, il n’y a peut-être pas la très forte personnalité que l’on peut trouver chez Harnoncourt, c’est peut-être un peu plus passe-partout, mais c’est quand même d’un très bon niveau musical, technique et musicologique. Après ce premier essai, j’ai continué avec Christopher à enregistrer les sonates et les concertos de Vivaldi, un peu de musique française à la viole de gambe, avec un disque de musique du temps de Louis XIV. Ma collaboration avec Christopher a été riche, même si elle s’est arrêtée voilà quelques années. C’est dur pour moi de voir disparaître tous ces musiciens avec qui j’ai travaillé, collaboré. Gustav Leonhardt, Christopher Hogwood, Frans Bruggen… J’ai eu la chance de jouer avec Leonhardt des sonates de Bach. C’était formidable. Maintenant, ma génération arrive en première ligne. Nous ne sommes plus les pionniers, contrairement à ceux qui nous ont précédés et qui ont fait un travail de défrichage colossal et indispensable.

Quatuor Mosaïque. Andrea Bischof, Erich Höbarth, Anita Mitterer et Christophe Coin. Photo : DR

Quatuor Mosaïque et Ensemble baroque de Limoges

B . S. : Il y a une chose qu’ils n’ont pas faite contrairement à vous, c’est créer un quatuor à cordes voilà trente ans, en plus avec des Viennois. Ce Quatuor Mosaïque, l’avez-vous initié à Vienne ?
C. C. : Cela s’est passé en plusieurs temps. Quand j’étais à Vienne, le groupe d’Elisabeth Harnoncourt comptait dans ses rangs une violoniste, Anita Mitterer, qui tient désormais l’alto dans le Quatuor Mosaïque. Puis j’ai rencontré Andrea Bischof, notre second violon, et plus tardivement Erich Höbarth, premier violon, mais toujours à Vienne. Nous avons eu l’idée de monter à Paris un orchestre de chambre sans chef, comme il s’en trouve désormais pas mal sur instruments anciens. Pour ce faire, nous avons recruté des musiciens qui aimaient ce répertoire et qui, sans être des spécialistes, voulaient simplement jouer les symphonies de Haydn sur instruments anciens et sans chef. Les quatre membres du quatuor, nous en étions les chefs de pupitres. L’orchestre portait d’ailleurs le même nom que le quatuor, et nous jouions dans cette formation afin de trouver une cohésion plus forte afin que le quintette des cordes soit animé par des gens qui se connaissent bien. Puis l’orchestre a disparu, la Fondation Total a arrêté de le soutenir, mais le quatuor a perduré, et nous fêtons en 2015 nos trente ans de Quatuor Mosaïque dans sa même formation qu’à l’origine.

B . S. : Le répertoire du Quatuor Mosaïque est large.
C. C. : Il commence un peu avant Joseph Haydn. Mais les premiers quatuors de Haydn sont aussi les premiers quatuors à cordes en tant que tels, et nous allons jusqu’au deuxième quatuor de Béla Bartók et à ceux d’Anton Webern. Nous changeons d’archets en fonction des œuvres et des époques, mais nous gardons les mêmes instruments montés boyaux. Nous varions parfois les diapasons.

Talon d'un archet baroque. Photo : DR

B. S. : L’archet forge-t-il le son ?
C. C. : Oui, sur un même violon si l’on change d’archet c’est presque comme si l’on changeait de violon. En outre, notre technique de jeu est aussi fonction de l’archet. L’archet fait beaucoup de différence, et c’est plus ou moins par le biais de l’archet que l’on peut retrouver au plus près la technique et le style d’une musique. 

B. S. : A la limite, peu importe l’instrument ?
C. C. : Oui… Enfin… Je dirai que les cordes boyau sont quand même importantes, d’abord parce que ces archets-là sont faits pour elles. Elles suscitent donc aussi une grande différence, mais les autres détails relatifs au montage de l’instrument me paraissent plus secondaires.

B. S. : La durée de vie d’un archet peut-elle être comparable à celle d’un instrument ? Il n’existe sans doute pas d’archets qui remontent au XVIIIe siècle…
C. C. : Détrompez-vous ! Ceux qui ont été montrés ici, à Aix-en-Provence, ont été réalisés entre 1710 et 1780. Mais il est vrai qu’un archet est plus fragile qu’un instrument. C’est pourquoi il en reste peu. 

B. S. : Participez-vous à la facture des archets ?
C. C. : Oui, quand nous avons la chance de trouver un bel archet authentique ou d’en dénicher un dans un musée, nous essayons de faire un relevé le plus précis possible et nous incitons les archetiers à faire des copies ou au moins de s’inspirer d’un type d’archet. 

B. S. : Donnez-vous beaucoup de concerts avec le Mosaïque ?
C. C. : Moins qu’avant, mais nous avons toujours notre cycle annuel de quatre concerts au Konzerthaus de Vienne. Fin octobre, nous sommes en tournée au Japon et aux Etats-Unis, et nous nous produisons une fois par an au minimum à Paris. Nous essayons toujours de trouver un fil conducteur, par exemple les derniers quatuors de Beethoven, Beethoven et la France, mais il nous arrive aussi de donner des concerts comme récemment à Venise, avec des œuvres méconnues voire inconnues. La semaine dernière, nous avons joué des pages de Kreutzer, Reicha, Baillot et Jadin que nous avons découvertes grâce au Palazzetto Bru Zane.

B. S. : Vous travaillez régulièrement avec le Palazzetto ?
C. C. : Une fois par an nous participons à l’un des thèmes qu’il traite. Il propose ou nous proposons des partitions, ce sont des échanges.

Christophe Coin et l'Ensemble baroque de Limoges en 2008. Photo : DR

B. S. : L’Ensemble baroque de Limoges que vous avez créé en 1991…
C. C. : … Je ne l’ai pas créé. Il l’a été avant mon arrivée par Jean-Michel Asler, à qui j’ai succédé. J’ai pris la direction de l’Ensemble baroque de Limoges quelques années après sa fondation, et j’y suis resté jusqu’en 2012. C’est devenu une fondation, et certaines directions ont été prises que je ne suis pas arrivé à suivre ni à cautionner. Nous avons donc préféré nous séparer.

B. S. : Le fait de diriger un ensemble ne vous manque-t-il pas ? N’envisagez-vous pas d’en fonder un autre ?
C. C. : Un certain nombre de musiciens de l’Ensemble baroque de Limoges voudraient continuer avec moi, sur des projets ponctuels, peut-être moins ambitieux que ce que nous pouvions faire en étant implanté régionalement. Oui, cela m’intéresse de continuer.

B. S. : La majorité de vos confrères ont un ensemble sur lequel s’appuyer pour leurs projets.
C. C. : Même si c’est très difficile aujourd’hui, nous le voyons avec la Petite Bande qui rencontre de gros problèmes pour se maintenir (1). S bien qu’aujourd’hui remonter un ensemble ce n’est pas gagné. Tout est tellement fragilisé...

Molière, le Bourgeois gentilhomme dans la mise en scène de Denis Podalydès au Théâtre des Bouffes du Nord en 2012. Photo : (c) Théâtre des Bouffes du Nord

Théâtre et opéra

B. S. : Vous aimez aussi vous mesurer à des univers autres que la musique pure, à l’exemple du Bourgeois gentilhomme de Molière avec Denis Podalydès (2) (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2012/07/denis-podalydes-et-christophe-coin.html)... Envisagez-vous de poursuivre ce type d’expérience ?
C. C. : C’est la première fois que je collaborais avec le théâtre, j’avais déjà travaillé avec des danseurs, mais le théâtre m’était terra incognita. Ce qui m’a particulièrement intéressé est le fait de monter les choses au jour le jour, d’échanger les idées, de les essayer, d’abandonner des propositions, d’en garder d’autres. Denis à une manière de travailler un peu comparable à la mienne, c’est-à-dire ne pas avoir d’idées préconçues, avoir besoin de se confronter au texte, au travail et aux acteurs pour définir sa mise en scène. Comme lui, j’ai besoin d’expérimenter sur le moment. Nous avons donc un rythme qui s’homogénéise bien, même si ce n’est pas confortable pour les gens qui attendent des directives précises et en amont. Mais le résultat montre que le travail est toujours vivant, et, surtout, il y a cet esprit de troupe que nous ne connaissons pas, nous autres musiciens, et qui est phénoménal. Répéter tous les jours la même chose avec toujours les mêmes personnes est à la fois chaque fois pareil et chaque fois différent. C’est une vie que les musiciens ne connaissent pas. Si nous donnons un programme quatre/cinq fois, c’est déjà pas mal, mais en faire plusieurs dizaines, voire une centaine est incroyable.

B. S. : Souhaitez-vous continuer sur cette voie ?
C. C. : Nous reprenons le Bourgeois gentilhomme aux Bouffes du Nord en juin prochain (3), puis nous tournerons un peu à l’étranger, avant de nous consacrer à une autre pièce de théâtre, mais d’un esprit totalement différent. Il s’agit en effet Pelléas et Mélisande de Maeterlinck, avec quatre acteurs et deux musiciens. La musique sera probablement plus improvisée et contemporaine, mais il n’y aura pas une note de Debussy ni de l’un ou l’autre compositeur qui a écrit sur le drame de Maeterlinck, parce que trop datés. Même si je n’ai pas le temps ni la vocation de mes confrères qui ne font que ça, je trouve ces projets formidables. Je ne pourrais pas me consacrer à la musique contemporaine, parce que j’aime trop le répertoire qui la précède, mais il y a des compositeurs aujourd’hui qui écrivent de très belles choses.

B. S. : Aimant le théâtre, pourquoi ne vous tournez-vous pas vers l’opéra ?
C. C. : J’ai un peu de problèmes avec l’opéra. Mes quelques expériences en ce domaine ne se sont pas toujours bien passées. Il y a constamment ce problème de hiérarchie qui est très complexe, et il faut passer beaucoup de temps à préparer un opéra en amont, à travailler avec les chanteurs... J’ai besoin du contact avec mon instrument, et il m’est difficile de me libérer sur un laps de temps trop grand. Et, à l’opéra, il y a la question fondamentale de l’entente avec le metteur en scène.

B. S. : Une équipe, cela se crée, vous avez bien réussi à en constituer une au théâtre avec Podalydès, vous pouvez fort bien l’envisager à l’opéra…
C. C. : Oui, si j’avais un orchestre à moi peut-être demanderais-je à Podalydès de faire un opéra avec moi, il n’est d’ailleurs pas dit qu’on ne le fasse pas un jour. Je suis aussi peut-être trop impressionné par les chanteurs. C’est un monde que je ne connais pas assez. Il faut avoir beaucoup d’expérience pour arriver à faire la part des choses et à galvaniser toutes ces énergies…

B. S. : Pourquoi les voix vous impressionnent-elles, alors que vous dirigez l’oratorio ?
C. C. : Je ne sais pas, le monde de l’opéra est un peu spécial, il y a aussi le star system…

Violoncelle baroque et violoncelle moderne

B. S. : Quelles sont les particularités du violoncelle baroque ? Quelles sont celles de votre propre instrument ? Quand vous avez joué à Venise avec les Mosaïques, c’était sur un instrument moderne ?
C. C. : Oui. Il n’y a aucune différence visuelle apparente entre les instruments. Ce que l’on va peut-être relever dès l’abord est que le violoncelle baroque se joue sans pique, coincé entre les jambes. Après, tout le reste se situe dans la construction, les rapports de tensions, mais ce sont des choses invisibles et impalpables pour des gens qui ne sont pas de la partie. L’accord est le même, et c’est plutôt la manière d’aborder le répertoire, la technique qu’une différence d’instrument. Avec le Quatuor Mosaïque, nous avons remarqué que l’on peut jouer Debussy et les premiers Bartók sur des cordes boyaux et que cela marche très bien. Si nous abordons Chostakovitch, là nous commençons à nous poser des questions. Nous sentons que ce n’est plus du tout la même texture.

Christophe Coin (à droite) à Aix-en-Provence écoute un archetier présenter les divers archets baroques aux musiciens de l'Orchestre Français des Jeunes Baroque. Photo : (c) Bruno Serrou

Pédagogie

B. S. : Vous avez suivi des cours de très grands maîtres. Vous-même, depuis quand enseignez-vous au Conservatoire de Paris ?
C. C. : Je m’y suis mis voilà très longtemps. En 1985, je crois. C’est Laurence Boulet qui m’y a fait entrer. En étant sorti comme élève à seize ans, mes propres élèves étaient de ma génération, certains à peine plus jeunes que moi.

B. S. : Les compositeurs se plaisent à dire qu’ils apprennent beaucoup de leurs élèves. Est-ce aussi le cas pour vous ?
C. C. : Oui… mais c’est un peu différent peut-être d’un compositeur, qui analyse une pièce, il a la partition, il a quelque chose de concret sur laquelle il peut s’appuyer pour réfléchir ou méditer, à haute voix ou pas. Tandis que l’approche d’un instrument est différente. Je pense que l’exemple est très important. J’avais un professeur qui jouait avec nous, parfois en même temps que nous, à l’unisson. Pour moi, l’imitation est la façon la plus naturelle d’enseigner un instrument. Après, il faut veiller à ce que l’imitation ne devienne pas celle d’un perroquet qui imite… Il convient donc de laisser aussi à l’élève ses velléités, son goût, son style…

B. S. : Son son aussi ?
C. C. : Ah, le son… c’est peut-être ce que l’on peut le moins changer. Je crois que le son, un élève entre avec et sort avec. Un professeur peut donner des indications, mais je crois que c’est clairement l’oreille de l’élève qui le fait progresser ou pas. Le son est quelque chose de tellement profond, je pense que le professeur peut juste donner un exemple, mais c’est l’élève qui va plus ou moins vouloir chercher le son. Agir sur la qualité du son d’un élève est presque utopique.

B. S. : Vous enseignez non seulement au Conservatoire de Paris, mais aussi à la Schola Cantorum de Bâle, vous donnez aussi des master classes un peu partout. Pourquoi ce besoin d’éclater votre enseignement sur plusieurs lieux ?
C. C. : En fait au CNSMDP, j’enseigne surtout la viole de gambe, et à Bâle je n’enseigne que le violoncelle. Voilà pourquoi je suis sur deux sites. Je répartis ainsi mon travail de professeur, même si j’ai naturellement des élèves violoncellistes à Paris et des élèves gambistes à Bâle. Mais disons que la grande part de mon cursus parisien est consacrée à la viole de gambe.

B. S. : Combien avez-vous d’élèves, entre le CNSMDP et la Schola ?
C. C. : J’en ai une douzaine…

B. S. : Parmi eux, se trouve-t-il des étudiants ont se destinent à l’orchestre ? Quelles sont leurs envies ?
C. C. : En général, ceux qui viennent faire de la musique ancienne c’est avant tout parce qu’ils ont envie de faire de la musique de chambre, du continuo, même s’ils demandent aussi de faire du répertoire soliste parce qu’il faut qu’ils soient d’excellents instrumentistes. Mais je crois qu’avant tout ils veulent faire de la musique d’ensembles.

Christophe Coin dirige une répétition de l'Orchestre Français des Jeunes Baroque Grand Théâtre de Provence à Aix-en-Provence en octobre 2014. Photo : (c) Orchestre Français des Jeunes Baroque

B. S. : A Aix-en-Provence, vous dirigez un orchestre de chambre baroque de jeunes. C’est votre seconde saison à leur tête. Qu’est-ce qui vous a convaincu de travailler avec cette formation ?
C. C. : Peut-être le fait que je n’avais plus l’Ensemble baroque de Limoges. Je me disais qu’il était bon de faire une fois par an un projet d’orchestre. C’était aussi le souhait de faire partager mon expérience à des jeunes, leur insuffler des propositions qui sont peut-être un peu différentes de ce qu’ils entendent dans leurs classes de conservatoires. Pour le programme de cette session de l’automne 2015, j’ai choisi des musiques de ballet, parce que je voulais essayer de leur faire comprendre ce qu’est la danse. Nous avons eu un atelier au début de la semaine avec une danseuse pour qu’ils comprennent que le corps du danseur doit se servir du sol pour rebondir et être le plus possible en l’air, et que pour l’instrumentiste à cordes l’archet est comme un danseur, qu’il doit lui aussi être le plus possible aérien, léger et qu’il ait l’efficacité nécessaire quand il retombe pour faire parler la corde. Il faut donc se servir d’un instrument comme un danseur se sert du plancher.

Danse et école française du violoncelle

B. S. : Vous le savez mieux que quiconque, puisque vous avez travaillé avec Rudolph Noureev…
C. C. : Oui, c’est probablement ce qui m’a donné un autre souffle et une autre inspiration pour aborder les danses des Suites pour violoncelle de Bach ou de la musique française. Parce que voir un danseur dans l’espace et voir comment nous, musiciens à cordes avec notre unique double direction, tirer-pousser - on n’en a que deux, mais il convient d’associer et/ou d’ajouter toute la balistique propre à notre instrument -, nous devons arriver à faire imaginer à l’auditeur que nous travaillons aussi en trois dimensions.

B. S. : En plus le violoncelle possède un corps androgyne qui incite à la danse…
C. C. : Il est vrai que le violoncelle est un instrument assez naturel pour la danse. Il n’est pas trop grand, contrairement à la contrebasse, et il n’a pas le côté un peu compliqué du violon. Tant et si bien qu’il est vrai que cet instrument permet peut-être d’acquérir un peu moins de défauts que les autres instruments à archet. C’est ce qui explique aussi le succès du violoncelle auprès des jeunes, cet instrument étant relativement naturel.

B. S. : La France compte en effet un nombre conséquent de violoncellistes. L’école française est foisonnante. Comment expliquez-vous le succès du violoncelle dans notre pays ?
C. C. : Je pense que le violoncelle a toujours eu une excellente réputation en France. Depuis Martin Berteau (1691-1771), fondateur de l’école française du violoncelle. Premier des professeurs de l’école française, il a eu pour élèves, outre le Dauphin de France, fils de Louis XV, Jean-Pierre Duport (1741-1818), Jean-Baptiste Janson (1742-1804), Jean-Baptiste Bréval (1753-1823), et quantité de violoncellistes aujourd’hui méconnus mais qui étaient d’excellents solistes et professeurs qui en ont formé beaucoup d’autres. Plus tard, nous avons eu Maurice Maréchal, André Navarra, Paul Tortelier, Pierre Fournier, Maurice Gendron… Ce qui a conduit aujourd’hui à une sorte de pyramide inversée, exponentielle, et, effectivement, cela ne s’arrête pas parce que je pense que toutes ces écoles, même si elles sont un peu différentes avec leurs particularités, ont une même source née en 1750, moment de l’explosion du violoncelle.

B. S. : Pour faire de la musique ancienne il convient aussi d’être plus ou moins musicologue, de faire de la recherche. C’est une nécessité qu’il vous faut aussi transmettre. L’instrumentiste de musique ancienne fait aussi un peu d’organologie… Aimez-vous fouiller dans les archives des bibliothèques ?
C. C. : Oui, je m’intéresse à la lutherie, à l’évolution des instruments, aux archets anciens. Et j’attache aussi à la quête de partitions anciennes, notamment de ces petits maîtres du XIXe siècle qui étaient à la fois d’excellents instrumentistes et des compositeurs pas si mauvais qu’on le pense trop systématiquement et qui savaient écrire pour leur instrument. Ils nous apprennent comment le violoncelle était traité à l’époque. La recherche de ces partitions m’attire beaucoup. Il m’arrive d’aller dans les bibliothèques, mais il faut s’y prendre longtemps à l’avance, car cela s’improvise moins qu’avant. Je viens par exemple de passer une commande chez Friedrich Hofmeister Musikverlag à Leipzig parce que je recherche des partitions d’un compositeur français du XIXe siècle qui y ont été éditées et que je ne trouve nulle part, pas même à la BNF. Seul cet éditeur allemand a gardé dans ses archives un exemplaire de chaque œuvre qu’il a publiée. Je lui ai commandé une vingtaine de partitions de ce compositeur…

B. S. : Il faut aussi faire passer cette envie à vos étudiants…
C. C. : C’est un peu plus difficile. Les jeunes ont de plus en plus l’habitude d’avoir tout servi sur un plateau, et ils n’ont pas trop envie de faire d’eux-mêmes l’effort de la découverte… Quand je pense à ce qu’ont fait des gens comme Harnoncourt et sa femme Alice, qui a copié à la main des partitions entières. Et elle n’est pas la seule. Ils sont beaucoup, avant la photocopieuse, à avoir copié des partitions. Aujourd’hui les jeunes ont peut-être moins cette curiosité, en tout cas si ce n’est pas sur Internet, ça devient compliqué. Il est donc vrai qu’il faut les motiver.

B. S. : C’est pourtant important, pour ces répertoires.
C. C. : C’est en effet absolument primordial que chacun apporte sa pierre dans le jardin de cette recherche.

B. S. : Quels sont vos projets ? Vous avez évoqué votre envie de fonder un nouvel ensemble. Souhaiteriez-vous vous produire de plus en plus en concerto ?
C. C. : Oui. Cette année, j’enregistre deux disques de concertos, et je travaille sur le répertoire plus méconnu du XIXe. Evidemment, j’ai toujours envie de jouer Schumann, Dvořák, mais on ne me les demande pas tous les jours. Il faut aussi chercher des choses moins connues, moins jouées. J’aimerais aussi peut-être continuer avec un ensemble pour pouvoir collaborer avec des chorégraphes et des danseurs, parce que je considère que ces deux arts sont extraordinairement liés et si complémentaires. Nous avons commencé avec le théâtre dans le Bourgeois gentilhomme, mais je voudrais aussi continuer à travailler avec des danseurs parce que pour nous, musiciens, cette confrontation qui paraît parfois antagoniste est en fait une sorte de ping-pong enrichissant, mais l’on sait fort bien que danseurs et musiciens ne s’entendaient pas toujours. Jaloux les uns des autres, ils ne peuvent en fait vivre les uns sans les autres.

B. S. : Dans la musique française, il y a beaucoup de musique à danser.
C. C. : Les musiciens français étaient avant tout spécialisés pour l’accompagnement du ballet.

B. S. : Quel répertoire préférez-vous : l’allemand, l’italien, le français, l’anglais ?
C. C. : C’est difficile à dire. J’adore Purcell… J’adore évidemment Jean-Sébastien Bach… Je ne peux donc pas me passer de musique anglaise ou allemande. J’ai aussi beaucoup de plaisir à jouer Rameau parce que sa musique est à la fois simple dans sa structure, gaie, elle parle immédiatement, mais en même temps elle est complexe, a une richesse harmonique gigantesque... Ces compositeurs connaissent parfaitement le langage, toutes les règles, tout le vocabulaire, mais ils travaillent dans l’exception.

Christophe Coin. Photo : DR

B. S. : Quel a été le moment-clef de votre vie d’artiste ?
C. C. : C’est difficile de dire il y a eu ce moment magique… Il y en a eu plusieurs. Chaque fois que j’ai rencontré des personnalités et que j’ai travaillé avec eux. Il y a eu Harnoncourt, Sándor Vegh, donc forcément il y a des pics par lesquels je suis passé, mais un moment très important, je ne sais pas… Mais pense que ce qui a déterminé mon existence, c’est la première fois que j’ai entendu au Conservatoire de Caen mon premier professeur, Jacques Ripoche, jouer de son violoncelle. J’avais 8 ans, et il donnait un récital de musique romantique dans lequel il y avait une œuvre de Schumann, et il donnait l’impression de souffrir terriblement. Je suis sorti de ce concert en larme, convaincu que j’étais qu’il avait enduré le martyr. Il était tellement engagé… Il devait faire des grimaces, des bruits de bouche, ce qui choque quand on est enfant. Après, quand on voit d’autres artistes jouer, on s’aperçoit que ces rictus sont un peu généraux. Mais quand j’ai senti cette intensité de jeu et d’engagement sur l’instrument, cela m’a suffisamment marqué pour que j’aie l’idée de jouer du violoncelle...

Propos recueillis par
Bruno Serrou
Aix-en-Provence, mercredi 8 octobre 2014

1) Il s’agit du célèbre ensemble belge des frères Kuijken. Depuis cet entretien, nous avons appris que les Arts florissants ont perdu le soutien de la Ville de Caen et que Les Musiciens du Louvre Grenoble celui de la Ville de Grenoble…

2) En juin 2012, dans le cadre des Nuits de Fourvière, avec Denis Podalydès, il proposait une vision enthousiasmante de ce monument du théâtre qu’est le Bourgeois gentilhomme, comédie-ballet en cinq actes de Jean-Baptiste Poquelin dit Molière (1622-1673) et Jean-Baptiste Lully (1632-1687), spectacle repris le mois suivant à Paris, Théâtre des Bouffes du Nord où il sera repris en juin prochain

Les foudres guerrières de Bernard Cavanna ont suscité controverse et passion à la Cité de la Musique

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Paris, Cité de la Musique, samedi 13 décembre 2014

Bernard Cavanna (né en 1951). Photo : (c) Archives du Conservatoire de Gennevilliers

Dans la continuité de son cycle « Guerre et paix » proposé à l’occasion du centenaire du début de la Première Guerre mondiale (voir le compte-rendu du concert du 10 novembre 2014, http://brunoserrou.blogspot.fr/2014/11/deux-femmes-olga-neuwirth-et-marzena.html), la Cité de la Musique a invité l’Ensemble Ars Nova et à son directeur musical Philippe Nahon à donner à Paris un concert monographique consacré au compositeur Bernard Cavanna.

Bernard Cavanna (né en 1951). Photo : (c) Bernard Cavanna

Né le 6 novembre 1951 à Nogent-sur-Marne, Bernard Cavanna est sans doute l’un des créateurs français contemporains les plus attachants, sensibles et pudiques qui se puisse rencontrer. Ce qu’il dissimule derrière un côté volontiers iconoclastes et provocateur. Il aime composer pour ses proches, comme Noëmi Schindler (violon), Emmanuelle Bertrand (violoncelle), Hélène Desaint (alto), Pascal Contet (accordéon), Philippe Nahon ou Pierre Roullier (chefs d’orchestre), des ensembles comme 2e2m et Ars Nova, etc. Ce qu’attestent les dédicaces des trois œuvres figurant au programme de samedi dernier, Karl Koop Konzert pour accordéon et ensemble dédié à Pascal Contet, Trois Strophessur le nom de Patrice Lumumba pour alto et ensemble dédiées à Hélène Desaint, et A l’agité du bocal pour trois ténors et ensemble dédié entre autres à Philippe Nahon, l’ensemble Ars Nova et la violoniste Noëmi Schindler. Trois œuvres conçues dans les années 2007-2014 aux élans dramatiques couvrant trois décennies, l’Allemagne de 1930, la France collaborationniste de 1940 et la terreur de l’Afrique postcoloniale de 1960…

l'accordéon de Pascal Content, Karl Koop Konzert de Bernard Cavanna. Photo : DR

Karl Koop Konzert

Ces trois œuvres étonnantes peuvent déconcerter certains quant au fond et à la forme, mais ne laissent personne indifférent. Reflets de la personnalité sans concession de leur auteur, elles ne doivent rien à personne, pas même lorsqu’elles empruntent au passé ou le parodient. Du nom du grand-père maternel du compositeur, accordéoniste, composé à la demande de Pascal Contet en 2008 pour grand orchestre puis revu en 2012 pour ensemble de quinze instrumentistes (flûte, saxophone, cornemuse, clarinette, basson/contrebasson ad libitum, cor/trompe de chasse en ré, trompette/petite trompette en si bémol, trombone, tuba, percussion, deux violons, alto, violoncelle, contrebasse), Karl Koop Konzert est sous-titré « comédie pompière, sociale et réaliste ». S’y instaure une véritable joute entre l’accordéon, instrument qui occupe une place singulière dans la création de Cavanna, et le tutti. Un accordéon dédoublé, puisque le soliste joue alternativement de deux instruments, l’un musette « bien désaccordé », l’autre de concert, le « noble accordéon ». Chacun des quatre mouvements aux titres suggérant un climat de fête populaire - Musette, Sans flonflon, Galop pompier, La fin du bal-, enchaînés sans interruption, met en exergue l’une ou l’autre caractéristiques de l’instrument soliste (stéréophonie des deux claviers, souffle, technique « bellow shakre » (1), etc.), tandis que l’orchestration introduit au sein des instruments peu courus comme trompe de chasse et cornemuse, et que sonorités et timbres de l’accordéon fusionnent avec ceux des divers pupitres de l’orchestre. Pascal Contet a tenu sa partie avec sa maîtrise et sa musicalité coutumières, c’est-à-dire à leur plus haut degré d’exigence, tandis que, dirigés avec sobriété par Philippe Nahon, les musiciens d’Ars Nova, Noëmi Schindler en tête, ont jouté avec jubilation avec le soliste.

Patrice Emery Lumumba (1925-1961) entre les mains de ses tortionnaires en janvier 1961. Photo : DR

Trois Strophes sur le nom de Patrice Lumumba

Conçues parallèlement au concerto pour accordéon pour l’altiste Hélène Desaint, les Trois Strophes sur le nom de Patrice Lumumba sont un lointain écho de la violence du complot dont a été victime le héros de l’indépendance du Congo belge devenu premier ministre de la jeune République démocratique du Congo, violemment arrêté, puis lynché et assassiné le 17 janvier 1961 à Elisabethville au Katanga à la suite d’un coup d’Etat perpétré par les forces conjuguées de conjurés congolais, sous la conduite du colonel Mobutu, de la Belgique et de la CIA américaine. Ces événements ont laissé une trace indélébile dans l’esprit de l’enfant de neuf ans qu’était alors Bernard Cavanna, pour la première fois consciemment confronté à la violence de la politique. Les deux premières des trois strophes (Modéré - Très vif - Lent) que l’œuvre enchaîne se fondent sur les intervalles et leurs renversements formés à partir des lettres du nom de Patrice Emery Lumumba selon la notation allemande, tandis que la troisième, conformément aux principes de l’alphabet morse, est une suite de longues et de brèves énonçant également les prénoms et nom de Lumumba. Aussi austère que puisse apparaître cette structure, l’œuvre elle-même, qui requiert en plus de l’alto solo, une viole de gambe, deux contrebasses, une harpe et des timbales, est d’une vibrante intensité. A la violence parfois hallucinée des deux parties initiales répond le lyrisme intense d’une vocalité saisissante de l’alto solo dans le finale dont l’expressivité embrasse l’Humanité entière. L’interprétation de sa dédicataire, Hélène Desaint, musicienne proche du compositeur, en a extrait la sensibilité, la force et le lyrisme sincère de cette partition dont le finale est tout simplement poignant.

Louis Ferdinand Céline (1894-1961) cible de Jean-Paul Sartre dans Portrait d'un antisémite (1945). Photo : DR

A l’agité du bocal

La troisième partition de Bernard Cavanna proposée samedi Cité de la Musique, la plus attendue du programme mais aussi la plus controversée du compositeur à ce jour, puisqu’il s’est agi d’une première audition parisienne d’une grande page de trois quarts d’heure composée en 2010 sur un texte d’un auteur fort discuté, mort la même année que Patrice Lumumba, Louis-Ferdinand Céline (1894-1961), fruit d’une commande d’Etat créée le 7 mars 2012 au TAP de Poitiers pour le cinquantième anniversaire de l’Ensemble Ars Nova, et révisée en 2014. A la fois riche, vive et pleine d’humour caustique et d’autodérision, la présentation publique par Bernard Cavanna de cette œuvre sciemment provocatrice avant son exécution n’aura pas réfréné les réactions plus ou moins virulentes qui ont suscité le débat autour du texte mis en musique par le compositeur. Ce dernier a en effet porté son dévolu sur une lettre ouverte de Céline publiée en novembre 1948 sous le titre Lettre de Céline sur Sartre et l’existentialisme en réponse à un libelle de Jean-Paul Sartre paru en 1945 dans la revue les Temps modernes intitulé Portrait d’un antisémite, au moment où Céline risquait d’être condamné à mort par les tribunaux de l’épuration. Le titre exact de cette virulente diatribe contre celui qui l’avait désigné à la vindicte populaire était en fait A l’agité du bocal.

Jean-Paul Sartre (1905-1980), cible du pamphlet de Luis-Ferdinand Céline A l'agité du bocal (1948). Photo : DR

Le texte de Céline commence par ces lignes : « Je ne lis pas grand-chose, je n’ai pas le temps. Trop d’années perdues déjà en tant de bêtises et de prison ! Mais on me presse, adjure, tarabuste. Il faut que je lise absolument, paraît-il, une sorte d’article, le Portrait d’un Antisémite, par Jean-Baptiste Sartre (Temps modernes, décembre 1945). Je parcours ce long devoir, jette un œil, ce n’est ni bon ni mauvais, ce n’est rien du tout, pastiche... une façon de "Lamanièredeux"... Ce petit J.-B. S. a lu l’Etourdi, l’Amateur de Tulipes, etc. Il s’y est pris, évidemment, il n’en sort plus... Toujours au lycée, ce J.-B. S. ! Toujours aux pastiches, aux "Lamanièredeux"... La manière de Céline aussi... et puis de bien d’autres... "Putains", etc... "Têtes de rechange"... "Maia"... Rien de grave, bien sûr. J’en traîne un certain nombre au cul de ces petits "Lamanièredeux"... Qu’y puis-je ? Etouffants, haineux, foireux, bien traîtres, demi-sangsues, demi-ténias, ils ne me font point d’honneur, je n’en parle jamais, c’est tout. Progéniture de l’ombre. Décence ! Oh ! je ne veux aucun mal au petit J.-B. S. ! Son sort où il est placé est bien assez cruel ! Puisqu'il s’agit d’un devoir, je lui aurais donné volontiers sept sur vingt et n’en parlerais plus...» (2). Toujours outrancier dans le choix de ses mots, Céline utilise dans sa lettre des termes crus et d’une violence inouïe parmi lesquels « petit bousier », « satanée petite saloperie gavée de merde, tu me sors de l’entre-fesse pour me salir au dehors ! » ne sont pas les plus provocants. Quoi qu’il en soit, voilà qui est fort complexe à mettre en musique, et pas même le rappeur le plus contestataire ne songerait à s’y abandonner, même si d’aventure il aurait entendu parler de Céline…

Couverture de l'édition originale de A l'agité du bocal de Louis-Ferdinand Céline. Photo : DR

Ecrivain de génie comptant parmi les plus grands auteurs de la littérature française, élevant le langage courant au style le plus noble, Céline est aussi l’un créateurs les plus contestés sur le plan humain. Sa pensée pessimiste marquée par un fort nihilisme, l’a conduit jusqu’à l’abjection d’un antisémitisme indigne et funeste qu’il exprime dans des pamphlets publiés dans les années 1930 et qui le conduira l’Occupation venue à se rapprocher de la Collaboration mais sans y adhérer vraiment. Contrairement à un Robert Brasillach fusillé le 6 février 1945 à l’âge de trente-cinq ans, Céline échappe au peloton d’exécution et, après un exil de cinq ans au Danemark, il est condamné à un an de prison et à la confiscation de la moitié de ses biens, peines amnistiées le 20 avril 1951 au titre de « grand invalide de guerre »… A ceux qui lui reprochent d’avoir porté son dévolu sur ce pamphlet de deux pages écrites « d’une main meurtrie et violente à l’encontre de Jean-Baptiste Sartre, l’écrivain venu en “résistance“ sur le tard à Saint-Germain-des-Prés » (Bernard Cavanna), le compositeur répond qu’il a longtemps hésité avant d’aborder cette mise en musique. « Je sais que durant la dernière guerre, contrairement à ce que Céline affirmait, il fut actif, en écrivant au courrier des lecteurs [de journaux comme] Je suis partout, la Gerbe, Au pilori… Je suis assez lucide sur ce personnage. Je n’ignore pas non plus que ses écrits ont contribué à forger des opinions détestables, criminogènes et génocidaires. Je ne suis pas, pourtant, antisémite (plutôt philosémite !) et je me permets de vous avouer que je suis même membre du Parti communiste depuis plus de quinze ans. »

Concert Bernard Cavanna, Cité de la Musique, par l'Ensemble Ars Nova. Photo : (c) Alexis Savelief

« La problématique Sartre-Céline ne m’a pas bien intéressé pour mettre ce pamphlet en musique, précise Cavanna. Je n’ai aucun compte à régler avec Sartre, tout comme Céline n’a pas besoin de moi pour que sa littérature s’impose. Mon projet fut essentiellement d’amplifier (au mieux) la violence du texte et d’agir sur elle jusqu’à la démesure et la saturation (pour reprendre un mot à la mode). » Divisé en vingt-neuf sections musicales, le texte de Céline est confié à trois ténors, l’un aigu à la limite du contre-ténor, l’autre lyrique, le troisième fort-ténor au registre grave barytonant, tandis que l’ensemble instrumental requiert dix-huit musiciens, dont plusieurs apparaissent rarement dans les nomenclatures orchestrales - clarinette/petite clarinette/clarinette basse, saxophone soprano/alto/ténor, cor/trompe en ré, trompette/petite trompette/trompette à coulisse, trombone, tuba, deux cornemuses écossaises, accordéon, cymbalum, orgue de barbarie, deux percussionnistes, violon, alto, violoncelle, deux contrebasses dont une à cinq cordes. Le plus ahurissant est que Cavanna réussit à réaliser une œuvre jubilatoire à partir de ces monstruosités qu’il fait crier et chanter par ses interprètes tout en les noyant de temps à autres sous un halo instrumental touffu à la façon d’un Beethoven - toute proportion gardée, bien sûr - couvrant avec son orchestre les mots « Et unam, sanctam, cathόlicam et apostόlicam Ecclesiam » (Je crois en l’Eglise, une, sainte, catholique et apostolique) du Credo de sa Missa Solemnis. Regarder les musiciens jouer cette partition avec un bonheur non feint participe au plaisir pris à son écoute agrémentée par les timbres colorés et contrastés d’instruments à l’homogénéité improbable, comme l’orgue de barbarie placé côté jardin et utilisé tel un continuo tenu d’une main souple et le sourire continuellement accroché aux lèvres par Pierre Charial auquel l’accordéon de Dorine Duchez fait contrepoids à jardin, ainsi que les deux cornemuses (Mickaël Cozien et Quentin Viannais) placées elles aussi à jardin mais en fond de plateau, tandis que le cymbalum de Mihaï Trestian a clairement donné une résonnance cristalline à la partition aux colorations généralement sombres. 

Philippe Nahon et Bernard Cavanna. Photo : (c) Ensemble Ars Nova

Le texte si discuté, tant pour ce qui concerne son auteur et le discours haineux qu’il contient, que pour avoir été choisi par le compositeur pour être mis en musique, a été « défendu » avec un engagement et une violence idoine par Christophe Crapez, Paul-Alexandre Dubois et Euken Ostolaza dont les voix se sont fondues en un alliage d’un subtil métal. Le geste toujours légèrement métronomique mais la tenue inlassablement décontractée, Philippe Nahon dirige la musique de Bernard Cavanna comme s’il chantait dans son jardin.

Bruno Serrou

1) Effet de va-et-vient rapide du soufflet tout en tenant une note ou un accord

2) Editions Gallimard, La Pléiade 

CD : Pour les 90 ans de Pierre Boulez,Sony publie l’intégrale des enregistrements CBS du compositeur chef d’orchestre en un somptueux coffret de 67 CD

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Le coffret de 67 CD consacré à l'intégrale des enregistrements de Pierre Boulez pour CBS/Sony. Photo : (c) Bruno Serrou

L’air de rien, l’enrichissant bon an mal an d’un maillon qui aura fait chaque fois date, Pierre Boulez est l’un des chefs d’orchestre qui ont le plus enregistré de l’histoire du disque. Abstraction faite de ses premiers enregistrements réalisés pour les labels français Adès, la Guilde du Disque et Erato, et de quelques « pirates », l’essentiel de la discographie de Pierre Boulez a été réalisé par la Columbia américaine et britannique devenue CBS puis Sony Classical, enfin, à partir de 1993, par l’éditeur allemand Deutsche Grammophon.

Pierre Boulez entouré de Jean-Louis Barrault et de son épouse Madeleine Renaud à l'époque du Domaine musical. Photo : DR
 
Dans la perspective du quatre-vingt-dixième anniversaire du compositeur chef d’orchestre français, le label américano-japonais a réuni l’intégralité de ses enregistrements réalisés par Columbia puis CBS Masterworks et enfin Sony à Paris, Londres, Cleveland et New York, entre 1966 et 1991, avec les Orchestres de l’Opéra national de Paris, de Cleveland, Philharmonique de New York, Symphonique de Londres. Symphonique de la BBC, du Covent Garden de Londres, New Philharmonia, Philharmonia Chamber Orchestra, le Domaine Musical, le London Sinfonietta et l’Ensemble Intercontemporain. Soit cent-quarante œuvres de vingt compositeurs dont lui-même avec cinq de ses partitions, et onze formations orchestrales, le tout réparti en soixante-sept CD présentés pour l’essentiel dans les reproductions des pochettes originales réduites au format du disque compact, ce qui pose de gros problèmes de lectures des textes et des graphies réduits en proportion.

Pierre Boulez. Photo : DR

Haendel et Beethoven

Parmi ces compositeurs et ces œuvres, un certain nombre ne seront jamais repris par Boulez, à l’instar des pages de Haendel, Beethoven, Berio, Carter, Falla, Roussel et Wagner, ainsi que la majorité des pièces de Berlioz et de Schönberg, voire de Mahler. Ainsi, pour les Haendel, il m’avait déclaré en 1993 : « D’aucuns considèrent que mes Haendel ont été une "faute", ce que je ne conteste pas. Vous savez, quand on est embarqué dans une machine, on accepte parfois les choses parce que l’orchestre est là, et que l’on se dit qu’il faudrait peut-être faire un enregistrement... L’on ne peut se désister. Mais je ne veux pour rien au monde reprendre ces œuvres. J’ai d’ailleurs demandé à Sony de ne pas les rééditer. Avant New York, j’avais gravé une Water Music avec l’Orchestre de La Haye pour la Guilde du Disque. Après avoir enregistré pour ce label le Sacre du printemps et Noces de Stravinsky, ses responsables artistiques m'ont demandé d’enregistrer un Haendel pour l’orchestre, ce que j’ai fait... » Sony a donc négligé cette fois la requête de Boulez, considérant sans doute que s’il fallait relever le défi d’une intégrale il n’y avait aucune raison de choisir le bon grain de l’ivraie, et que, pour que le discophile puisse se faire une idée complète d’un artiste il convient de lui donner accès au meilleur comme au pire de ses enregistrements. 


Ainsi, les deux Beethoven qui appartiennent bien évidemment au répertoire de Boulez depuis les années soixante alors qu’il dirigeait au Festival d’Edimbourg l’Orchestre Symphonique de la NDR de Hambourg, œuvres qui sont les maillons faibles de ce coffret, plus encore que les Haendel (Concerto pour deux orges et cordes, Ouverture de Bérénice, Musique pour les feux d’artifices royaux, Water Music suites), qui, il faut bien le reconnaître, méritent plus l’attention que ce que voulait bien concéder Boulez voilà vingt ans. Fruit de ses saisons de concerts comme directeur musical du New York Philharmonic Orchestra, la Symphonie n° 5en ut mineur op. 67 de Beethoven est en effet abordée lourdement dans un tempo excessivement étiré, les quatre initiaux et le développement qui suit se présentant molto pesante, et il en sera ainsi jusqu’à la fin de cette œuvre fameuse entre toutes, alors que la moins courue cantate Mer calme et heureux voyage op. 112, mieux tenue que la symphonie, mérite que l’on s’y attarde davantage, ne serait-ce qu’en raison de la rareté de l’œuvre.

George Szell et Pierre Boulez prenant le thé au JTatsumura Silk Factory's Tea House pendant la tournée de l'Orchestre de Cleveland au Japon en mai 1970. Photo : collection Cleveland Orchestra

Roussel et Wagner

Autre réserve sérieuse, la Troisième Symphonie d’Albert Roussel, toujours avec le Philharmonique de New York, dont l’interprétation s’avère laborieuse, surtout mise en regard de la vigoureuse La Péri de Paul Dukas. Parmi les autres curiosités, Das Liebesmahl der Apostel (la Cène des Apôtres) pour chœur d’hommes et orchestre de Richard Wagner que Pierre Boulez a été l’un des premiers à enregistrer, et qui figure aux côtés d’ouvertures d’ouvrages du « Sorcier de Bayreuth » qu’il n’a pas eu l’occasion ou la volonté de diriger au théâtre, outre l’ouverture de concert Eine Faust Ouvertüre et Siegfried Idyll dans sa version pour grand orchestre, l’ouverture de Tannhäuser, le prélude des Maîtres Chanteurs de Nuremberg, le prélude de Tristanet Mort d’Isolde et les Wesendonck Lieder, toutes œuvres qu’il ne reprendra pas, DG et Philips/Decca publiant ses intégrales d’opéras de Wagner captés à Bayreuth, dès 1970 Parsifalmis en scène par Wieland Wagner, puis le Ringdu centenaire de Bayreuth mis en scène par Patrice Chéreau, d’abord en DVD puis en CD, tandis que circule sur YouTube le Tristan und Isolde capté au Japon par la NHK dans la mise en scène de Wieland Wagner pour Bayreuth.

Pierre Boulez et Wieland Wagner travaillant sur Parsifal de Richard Wagner en 1966. Photo : DR

Falla, Mahler, Berlioz et Berg

Plus précieux encore sont les témoignages de Pierre Boulez dirigeant Manuel de Falla (le Tricorne et le Concerto pour clavecin), d’une richesse de timbre et d’une énergie stupéfiante, le Klagende Lied de Gustav Mahler qu’il reprendra certes pour DG mais en négligeant le mouvement initial, Waldmärchen, que Mahler retira il est vrai dans sa version définitive mais qui, aux oreilles de nombre de mahlériens, est une page majeure du compositeur austro-bohémien.

Leonard Bernstein et son successeur Pierre Boulez à la tête du NYPO, deux compositeurs chefs d'orchestre se passent le relais en 1971. Photo : (c) Christian Steiner / Archives du New York Philharmonic Orchdestra 

Les affinités de Boulez avec la musique d’Hector Berlioz sont clairement revendiquées, bien que ce dernier « reste un phénomène isolé si l’on considère ce qui se passe autour de lui ». Sa place dans l’estime de Boulez est égale à celle qu’il porte pour Debussy et Ravel, pour rester dans le domaine de la musique française, et s’il n’a pas gravé Roméo et Juliette pour Sony, qui « n’en voulait pas à l’époque » (Pierre Boulez, 1993), il le fera plus tard pour DG. Mais sa Symphoniefantastique op. 14de 1967 avec le London Symphony Orchestra est indispensable, d’autant plus qu’elle figure au côté de son œuvre-sœur, le rare Lélio, ou le retour à la vie op. 14b aussi enregistré à Londres  1967 avec pour récitant rien moins que l’ami de toujours, Jean-Louis Barrault.

Pierre Boulez à Paris en mars 1980. Photo : (c) Diego Goldberg/Corbis

Sans Jean-Louis Barrault, Pierre Boulez n’aurait peut-être pas fait la carrière que l’on sait. C'est lui qui met en scène en 1963 la création à l’Opéra de Paris de Wozzeck d’Alban Berg dirigé par Pierre Boulez - la captation de la création de l’intégrale de Lulu dans ce même théâtre mis en scène par Patrice Chéreau sera assurée par DG en 1979 - et que CBS/Sony enregistra lors de sa reprise en 1966 avec quasi la même distribution, à l’exception de la fabuleuse Helga Pilarczyk remplacée par la moins convaincante Isabel Strauss (voir l'archive de l'INA d'août 1964 : http://fresques.ina.fr/en-scenes/fiche-media/Scenes01079/creation-de-wozzeck-a-l-opera-de-paris.html). De Berg encore, les trésors que constituent Der Wein avec Jessye Norman (1977), le Sept Lieder de Jeunesse dans les versions de 1972 avec Heather Harper et BBC Symphony et 1987-1988 avec Jessye Norman et le London Symphony Orchestra, les Altenberg Lieder avec Halina Lukomska et le BBC (1967) et Jessye Norman et le LSO (1984), le Concertopour violon « à la mémoire d’un Ange » et la Lulu-Suite, toutes œuvres qu’il ne réenregistrera pas, mais aussi le Kammerkonzert avec Daniel Barenboïm et Saschko Gawriloff, les Trois Pièces pourorchestre op. 6 et les Trois Pièces de la Suite lyrique. « Berg me fascine, me disait Pierre Boulez en 1993. Bien sûr parce que l’expression musicale est de premier ordre et très émouvante. Mais ce qui m’attire aussi chez lui c’est ce qui m’attire chez Proust, c’est-à-dire que ce sont des artistes qui savent merveilleusement créer des labyrinthes, et les labyrinthes de Berg, comme ceux qui se trouvent dans Wozzeck, Lulu, ou la Suite lyrique sont des labyrinthes de haute complexité où l’on peut se perdre, et il me semble que de même que chez Proust, lorsque vous lisez La recherche du temps perdu, il y a des endroits où l’on se perd, et il est vraiment très agréable de se perdre. »


Pierre Boulez dirige l'Orchestre Philharmonique de New York en 1975. Photo : (c) Archives du NUPO

Bartók, Debussy, Stravinski et Ravel

Nous retrouvons bien sûr les compositeurs favoris de Pierre Boulez, dont il est depuis toujours l’un des meilleurs interprètes dans l’absolu, ses Bartók, d’une force vitale saisissante, dramatique et impétueux à souhait, dont les trois partitions scéniques, le Château de Barbe-Bleue, où il manque étonnamment le prologue parlé contrairement à la version DG, le Prince de bois et le Mandarin merveilleux - qu’il avait dirigé pour la première fois en juillet 1957 à Aix-en-Provence en remplaçant au pied levé Hans Rosbaud, malade -, ainsi que le Concerto pour orchestre et de la Musique pour cordes, percussion et célesta, aux côtés des Scènes villageoises, des Quatre Pièces orchestrales et de la Suite de danses Sz 77. De Claude Debussy, modèle de Boulez auquel sa musique renvoie constamment, son premier Pelléas et Mélisande capté au Covent Garden de Londres fin 1969 début 1970, et, surtout, de sublimes Jeux qui n’ont jamais été égalés par quiconque, ni avant ni après cet enregistrement de 1966 avec le New Philharmonia de Londres, mais aussi La Mer, dans une interprétation changeante comme l’écume, les Nocturnes, Images, Danses, Prélude à l’après-midi d’un faune, Première Rhapsodie et le plus rare Printemps.

Pierre Boulez et Igor Stravinski. Photos : DR

De Stravinski, les indispensables ballets pour Nijinski, sans doute dans leurs meilleures versions laissées par Pierre Boulez, qui en a fait l’un de ses chevaux de bataille, l’Oiseau de feusous ses formes d’intégrale et de suite, un exceptionnel Petrouchka, violent, aigre, tendu haletant jusqu’à la suffocation, et un Sacre du printemps au cordeau, magnifié par un Orchestre de Cleveland aux sonorités de braise, trois partitions scéniques accompagnées par un Chant du Rossignol onirique et un Scherzo fantastique virevoltant, tandis que le Stravinski néo-classique est représenté par les deux Suites et par les Symphonies d’instruments à vent.

Pierre Boulez à New York en mars 1986. Photo : (c) Bernard Bisson/Corbis

Maurice Ravel ensuite, dont Pierre Boulez aura presque tout enregistré par deux fois (dix-sept œuvres pour CBS/Sony), à l’exception des deux opéras auxquels il n’aura jamais touché. « Enfant, me confiait-il voilà quelques années, ma professeur de piano, qui était très ouvert si l’on reste dans les limites de ma petite ville, Saint-Etienne, qui était tout de même une grande ville, déjà, capitale d’une petite province, considérait Debussy et Ravel comme des compositeurs très importants. C’était en 1936-1937. Ravel était encore vivant, et Debussy n’était mort que dix-huit ans plus tôt. Dans le contexte provincial où je me trouvais alors, il était certainement audacieux de me faire travailler les œuvres de ces deux musiciens. Et je dois dire que depuis ce temps-là j’ai gardé le sens de la modernité, et que ce sont certainement ces deux compositeurs qui m’ont fait saisir ce que peut être la musique contemporaine par rapport à une musique du passé. J’ai eu dès lors très nettement la notion de ce qui est actuel et de ce qui est historique. »

Pierre Boulez. Photo : DR

Varèse et Schönberg

Autre compositeur que Boulez s’est plu à défendre, Edgar Varèse, avec ici d’impressionnants Amériques, Arcana et Ionisation avec le New York Philharmonic, et des pages pour ensembles dont le fameux Déserts qui suscita le désordre que l’on sait au Théâtre des Champs-Elysées lors de sa création dirigée par Hermann Scherchen, Hyperprism, Intégrales, Octandre et Offrandes avec l’Ensemble Intercontemporain. Plus proches encore du compositeur chef d’orchestre, Arnold Schönberg, dont Boulez a enregistré pour Sony une quasi intégrale, de la Nuit transfigurée op. 4 jusqu’au Psaume moderne op. 50c, tout y est, ou presque, des opéras, Erwartung, Die glückliche Hand, Moses und Aron (il ne manque que Von heute auf morgen), à l’œuvre chorale en passant par les oratorios, les pages pour orchestre et pour ensembles et la musique de film, soit vingt-neuf œuvres au total, tous enregistrements à connaître impérativement pour qui entend connaître la création du maître de la Seconde Ecole de Vienne.

Pierre Boulez dirige une répétition du New York Philharmonic Orchestra. Photo : (c) Archives du New York Philharmonic Orchestra

Webern et Scriabine

Mais celui à qui Boulez voue une admiration sans bornes, c’est assurément Anton Webern dont la musique constituait à ses yeux « LE seuil » au début des années 1960. « La modernité de Webern, me disait-il en 1993, est vraiment un tranchant parce qu’elle a obligé à repenser toutes les catégories du langage musical, ce qu’est l’expression de la musique. Il y a trente ans, on pensait que Webern était inexpressif, que sa musique était celle d’un géomètre... Je pense que c’est une sensibilité un peu difficile à percevoir et elle est enfouie dans un vocabulaire extrêmement précis, construit, mais on peut en dire autant de Mallarmé, où il y a des mots extrêmement choisis, où la grammaire est extrêmement soignée, je dirais même plus que soignée, au point que la grammaire devient parfois une obsession chez Mallarmé, et que dans cette obsession se révèle une expression qui oblige à repenser les catégories du langage d’un point de vue très fondamental. » Tout Webern figurait dans le coffret original, mais Sony n’a limité ici aux seules œuvres que Boulez dirige, ce qui conduit à ne trouver dans ce coffret que deux des trois disques du coffret CD original. Autre novateur, le Russe Alexandre Scriabine, représenté par le seul Poème de l’Extase, que Boulez brosse de façon magistrale transportant l’auditeur dans la folie sonore la plus éclatante.

Olivier Messiaen et Pierre Boulez en 1966. Photo : DR

Messiaen, Berio, Carter et Boulez

Enfin, Pierre Boulez et ses contemporains. Le maître tout d’abord, Olivier Messiaen, qui n’est représenté que par deux œuvres, Couleurs de la cité célesteet Et expecto resurrectionemmortuorum enregistrées toutes deux en janvier 1966 avec le Domaine musical et les Percussions de Strasbourg.

Pierre Boulez et Luciano Berio. Photo : DR

L’exacte contemporain et ami de Boulez, Luciano Berio, est présent avec les chefs-d’œuvre que sont Chemins II et IV, Corale, Points on the curve to find… et Ritorno degli snovidenia avec l’Ensemble Intercontemporain, enregistrements auxquels Sony a associé l’AllelujahII dirigé par Berio.

Pierre Boulez et Elliott Carter. Photo : DR

Elliott Carter dont Boulez a défendu la musique dès sa rencontre avec son aîné new-yorkais lorsqu’il prit la succession de Leonard Bernstein à la tête de l’Orchestre Philharmonique de New York. Seul A Symphony of 3 Orchestras a été gravé par Sony, et il faudra attendre qu’Erato confie une série d’enregistrements à Pierre Boulez pour que ce dernier aille plus avant dans l’œuvre de son confrère américain.


Last but not least, Pierre Boulez dirige Pierre Boulez. Moins nombreuses que chez DG, qui a réuni en 2013 la totalité de la création du compositeur sous sa direction musicale et artistique (voir à ce propos http://brunoserrou.blogspot.fr/2013/06/entretien-avec-pierre-boulez-le-coffret.html), les gravures CBS/Sony, dont DG a repris dans son coffret de six CD quelques pages, apportent leur lot d’enseignements, particulièrement Rituel in memoriam Bruno Madernaenregistré en 1976 avec le BBC Symphony Orchestra, et le Marteau sans Maître dont deux versions sont mises en regard, celle avec Yvonne Minton et l’Ensemble Musique Vivante (1968/1972), et celle d’Elizabeth Lawrence et l’Ensemble Intercontemporain (1985), et, surtout, Eclat / Multiples par l’Ensemble Intercontemporain. Le Livre pour cordeset Pli selon Pli complètent ces indispensables documents du compositeur dirigeant sa propre création dans les années 1968-1985.

Pour conclure, signalons que ces disques ne sont pas classés dans l’ordre alphabétique des compositeurs mais par dates d’enregistrements et/ou de parutions, le plus souvent dans les couplages originels.

Bruno Serrou

« Pierre Boulez The Complete Columbia Album Collection », 67 CD Sony Classical 88843013332






Maudits les Innocents, une collaboration à renouveler entre l’Atelierd’Art lyrique de l’Opéra et le Conservatoire (CNSMDP) de Paris

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Paris, Amphithéâtre de l’Opéra Bastille, mardi 16 décembre 2014

Maudits les Innocents. Andriy Gnatiuk (le Pape), Piotr Kumon (un Moine). Photo : (c) Mirco Magliocca / Opéra national de Paris

Excellent dessein que cette production d’une œuvre nouvelle née sous l’impulsion de l’Atelier lyrique de l’Opéra National de Paris qui a voulu mesurer les jeunes chanteurs à la musique contemporaine en commandant un ouvrage qui leur soit expressément destiné. Il aura fallu trois ans pour que le projet prenne forme et aboutisse à l’opéra en quatre actes enchaînés Maudits les Innocents. Fruit de la collaboration de deux institutions de pédagogie musicale de très haut niveau, l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris et le Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris (CNSMDP), cette œuvre résulte de la sélection de quatre étudiants en composition du Conservatoire :

Mikel Urquiza (né en 1988).  Photo : DR

Le Basque Espagnol Mikel Urquiza (né en 1988), élève de Gérard Pesson, à qui est revenu le premier acte, 

Julian Lembke (né en 1985). Photo : DR

l’Allemand Julian Lembke (né en 1985) pour le deuxième acte, autre élève de Gérard Pesson, 

Didier Rotella (né en 1982). Photo : DR

le Lillois Didier Rotella (né en 1982), élève de Frédéric Durieux, pour l’acte III, 

Francisco Alvarado (né en 1984). Photo : (c) Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris

et le Chilien Espagnol Francisco Alvarado (né en 1984), de la classe de Stefano Gervasoni, pour l’acte IV d’un livret conçu par l’écrivain dramaturge parisien Laurent Gaudé (né en 1972), Prix Goncourt 2004 pour le Soleil des Scorta, roman traduit en trente-quatre langues. Ce dernier est également un fin connaisseur du conflit théâtralisé, ce qui le désignait naturellement pour la mise en forme du sujet de l’opéra, la croisade des enfants de 1212. 

Laurent Gaudé (né en 1972). Photo : DR

Tandis que le metteur en scène, le Britannique Stephen Taylor, travaillait avec l’équipe de création pour sa dramaturgie, les classes instrumentales du CNSMDP sélectionnaient douze musiciens (Chi-When Ou, flûte, Diogo Lozza, clarinette, Jimmy Charitas, cor, Marc Pradel, trompette, Noam Bierstone, percussion, Eloise Lamaume, harpe, Vincent Lhermet, accordéon, Eun-Joo Lee et Joseph Metral, violons, Vladimir Percevic, alto, Clément Peigné, violoncelle, Renaud Bary, contrebasse) pour travailler sous la direction du chef lyonnais Guillaume Bourgogne, co-directeur de l’Ensemble Cairn aux côtés du compositeur Jérôme Combier et d’Op.Cit (Orchestre pour la Cité, Lyon). Côté distribution vocale, ce sont les dix chanteurs les plus expérimentés de l’Atelier lyrique de l’Opéra qui ont été mis à contribution. S’y sont joints par la suite seize membres de la Maîtrise des Hauts-de-Seine / Chœur d’enfants de l’Opéra de Paris, ainsi que le comédien Didier Sandre, sociétaire de la Comédie-Française à la voix profonde d’une noble musicalité dont les trois interventions s’avèreront capitales dans le développement de l’action.

La Croisade des enfants. Photo : DR
   
Histoire et légende

Le drame des enfants partis d’Allemagne et de France pour le Moyen-Orient avec l’espoir de fouler la Terre Sainte pour libérer Jérusalem du joug musulman, est d’une tragique actualité, puisqu’il revoie notamment au djihad et à la destruction d’autrui, et aux boat people noyés en nombre par des passeurs sans morale dans leurs tentatives de traversée de la Méditerranée, fuyant l’Afrique avec l’espoir d’un renouveau en Europe. Mus par une force mystérieuse, se déplaçant à pied, ces enfants étaient répartis en deux cortèges. Parti de Cologne, le premier était allemand. Il réunissait vingt mille personnes placées sous l’autorité d’un dénommé Nicolas, un berger âgé de 12 à 14 ans. La croisade française réunira trente mille pèlerins placés sous la conduite d’un autre berger, un certain Etienne venu de l’Orléanais. Après avoir demandé la bénédiction de Philippe Auguste, qui ne la leur accordera pas, les enfants partirent de Saint-Denis et se rendirent jusqu’à Marseille. En cours de route, ces « innocents » appelés par Dieu suscitent l’admiration des villageois et des paysans, qui les nourrissent, ainsi que des ecclésiastiques, qui bénissent leur entreprise et y voient un miracle… S’il se peut que les deux processions aient été décimées par la misère, les famines, les épidémies et le brigandage, des récits affirment que sept mille survivants auraient embarqué sur sept navires conduits par des commerçants, qui, au lieu de les amener à destination, les vendirent comme esclaves. Entassés sur le pont de navires surchargés, ils meurent de faim, et de suffocation. Infections et épidémies se propagent sans attendre. Deux jours après leur départ de Marseille, une violente tempête éclate. L’un des bateaux chavire, emportant tous ses passagers et son équipage dans la mort. Les autres navires parviennent sur la côte algérienne, où les jeunes croisés sont vendus comme esclaves. Le livret de Laurent Gaudé aborde le sujet sous un angle différent, mettant sur le compte de l’Eglise l’échec de la croisade des enfants et leur mort. Craignant que son autorité soit remise en cause par cette marche, le pape Innocent III - celui-là même qui inventa de l’Inquisition qu’il confia à saint Dominique de Guzman pour éradiquer l’hérésie cathare durant la croisade contre les Albigeois -, décide de l’interdire, il serait responsable de leur mort. A cette fin, il aurait laissé voire fait soudoyer des hommes de main parmi les membres des équipages des navires censés transporter les enfants jusqu’en Terre Sainte pour les faire chavirer après avoir enfermé les jeunes passagers dans les cales et attachés sur le pont…

Maudits les Innocents. Andriy Gnatiuk (le Pape), et quatre enfants de la Maîtrise des Hauts-de-Seine. Photo : (c) Mirco Magliocca / Opéra national de Paris

C’est ce destin abominable que les quatre compositeurs ont été chargés de mettre en musique. A seize mains mues par quatre imaginaires, ils ont réussi à faire œuvre commune avec des moyens qui leur sont propres et qui rendent leur travail à la fois personnel et distinct, mais aussi et surtout homogène puisque l’œuvre qui en résulte est cohérente, les actes s’enchaînant sans pause et sans créer de rupture sensible.

Maudits les Innocents. Andriy Gnatiuk (le Pape), Piotr Kumon (un Moine), et les enfants de la Maîtrise des Hauts-de-Seine. Photo : (c) Mirco Magliocca / Opéra national de Paris

Le spectacle

Vue à travers le souvenir de Jean Croisé, tenu avec émotion par Didier Sandre, qui va de l’admiration jusqu’à l’effondrement en passant par la confusion face à l’engagement des enfants, leur cheminement puis le destin cruel qui leur est réservé, l’intrigue de ce « récit lyrique » a pour personnage central le groupe de jeunes croisés. C’est à eux que revient d’ailleurs la part belle de l’acte initial remarquablement tenu par les seize membres de la Maîtrise des Hauts-de-Seine/Chœur d’enfants de l’Opéra National de Paris, Mikel Urquiza les faisant vaillamment chanter, tandis que les trois mères (la soprano arménienne Ruzan Mantashyan, la soprano camerounaise Elisabeth Moussous et la mezzo-soprano roumaine Cornelia Oncioiu) sont un peu trop réduites au quasi parlando, alors que l’orchestre s’avère le personnage central, ce qui permet aux étudiants des classes instrumentales du CNSMDP de briller largement. Mais le véritable deus ex machina de l’intrigue est le pape Innocent III, campé avec une froide indifférence par la basse ukrainienne Andriy Gnatiuk, qui trouve à s’exprimer librement dans l’acte le plus dramatique, le deuxième, celui de Julian Lembke, au lyrisme débridé, où l’on apprécie également la diction du ténor d’origine arménienne Arto Sarkissian (le Messager) et la présence lumineuse de la basse italienne Pietro Di Bianco dans le rôle du Marin des sept nefs. Au troisième acte, celui de la traversée de la France de Saint-Denis jusqu’à la mer, Didier Rotella ne peut dissimuler son inscription dans la tradition française, instillant dans son orchestre des couleurs sombres au caractère debussyste et aux résonances Bouléziennes (cordes/bois/percussion), tandis que la vocalité ne peut échapper au style récitatif hérité de Pelléas et Mélisande. Ce qui n’empêche pas d’apprécier le grain vocal du ténor chinois Yu Shoa (Nicolas) et de la mezzo-soprano irlandaise Gemma Ni Bhriain (Etienne). Introduit par deux monologues menés en parallèle par le Pape (Andriy Gnatiuk) et par le Marin (Pietro Di Bianco), ce dernier s’apitoyant sur lui-même devant sa propre lâcheté alors que tous deux s’apprêtent à sacrifier les enfants, Francisco Alvarado fait entendre dans son quatrième acte un orchestre écumant, particulièrement dans la scène de la tempête, et des chœurs d’enfants polychromes qui exaltent des sonorités d’une diversité expressive confondante de vérité, considérant l’horreur de ce qu’ils sont en train de vivre, avant que les voix puis l’orchestre s’éteignent peu à peu pour sombrer dans un silence sépulcral.

Maudits les Innocents. Pietro Di Bianco (le Marin des sept nefs) et les enfants de la Maîtrise des Hauts-de-Seine. Photo : (c) Mirco Magliocca / Opéra national de Paris

Scénographie simple et lisible

L’humilité de la mise en scène de Stephen Taylor, qui exploite les circulations de l’Amphithéâtre Bastille en faisant passer les enfants dans les allées publiques, la simplicité nue de la scénographie de Laurent Peduzzi, qui joue de l’espace de la salle jusqu’à implanter l’orchestre et le chef sur un praticable reposant sur les gradins côté cour, tandis que le plateau est occupé par un demi mur à jardin et des grilles mobiles qui circulent manœuvrées par les protagonistes, les costumes de Nathalie Prats qui situent clairement l’action de nos jours, donnent à ce spectacle une lisibilité parfaite et une austérité propre à la concentration sur l’écoute et incitant à la réflexion. Reste à espérer que la collaboration entre l’Atelier lyrique de l’Opéra national de Paris et le Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris perdure dans ce même état d’esprit qui s’avère particulièrement créatif, et qui permet à la fois d’aguerrir les chanteurs lyriques à la musique de notre temps et les compositeurs à l’opéra.

Bruno Serrou 

L’Orchestre Français des Jeunes fait ses adieux à Dennis Russell Davies, son directeur musical depuis quatre ans

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Paris, Salle des concerts de la Cité de la Musique, samedi 20 décembre 2014

Dennis Russell Davies. Photo : (c) Benno Huzniker

L’Orchestre Français des Jeunes cru 2014 a donné son dernier concert de la saison à Paris, Cité de la Musique, sous la direction de son directeur musical depuis quatre ans, Dennis Russell Davies, qui avait succédé à Kwame Ryan. Son propre successeur est d’ores et déjà connu, puisqu’il s’agit rien moins que de son compatriote David Zinman, qui vient de quitter l’Orchestre de la Tonhalle de Zurich après dix fructueuses saisons à sa tête.

Ce dernier concert dirigé par Davies a confirmé le niveau d’excellence atteint par les jeunes recrues de cette formation à but pédagogique qui s’impose toujours davantage comme un passage obligé pour les apprentis musiciens qui projettent de se lancer dans une carrière d’orchestre. D’autant que, comme de coutume depuis la fondation de l’OFJ en 1982, les œuvres proposées aux quatre vingt dix huit élèves des conservatoires nationaux, régionaux et étrangers âgés de seize à vingt-six ans par les responsables de l’orchestre pour les deux sessions de cette année ont permis de mettre en valeur tous les différents pupitres de l’orchestre, aussi bien les cordes que les bois, les cuivres et la percussion.

L’OFJ a confirmé à la Cité de la Musique n’avoir rien à envier à quantité de phalanges professionnelles de renom. Notamment la persévérance. En effet, l’œuvre contemporaine inscrite au programme de cette session d’automne était pour le moins adaptée à des instrumentistes automates. Certes, il convient de confronter les futurs musiciens d’orchestre à tous les répertoires, et, surtout, à la musique de leur temps, ce qui est bien évidemment à l’honneur des responsables de ce orchestre de jeunes, comme il est naturel que figure au programme une partition d’essence classique et une œuvre de la fin du XIXe/début du XXe siècle, il est normal qu’y figure un compositeur d’aujourd’hui. Mais le choix d’une page d’un minimaliste nord-américaine est apparu fort itératif. Composé en 1985 par John Adams (né en 1947) pour se faire la main avant de s’engager dans la genèse de son premier opéra, Nixon in China (1985-1987), cette pièce pour orchestre - bois et cuivres par deux (quatre cors, tuba), percussion, timbales, piano, harpe, cordes - se veut une suite de danses fondée sur un foxtrot lancé par Jiang Qing pour son vieil époux, le président chinois Mao Tse Toung devant ses invités de la délégations américaine sous la conduite du président Nixon et de sa femme Pat. Douze minutes de rang, les cordes, surtout les violoncelles, sont astreintes aux mêmes coups d’archet sur une rythmique pérenne, tandis que bois, cuivres et percussion lancent presque continuellement les mêmes traits plus ou moins jazzy, façon Leonard Bernstein dans West Side Story ou Mass, mais dans le style répétitif, comme si le compositeur cherchait à enfoncer un clou à l’aide d’un marteau.

Maki Namekawa et Dennis Russell Davies en duo piano. Photo : DR

La page d’obédience classique ne datait pas du XVIIIe siècle mais du XXe, puisque signée Igor Stravinski (1882-1971). Mais un Stravinski dans sa période néo-classique reste Stravinski et continue à faire du Stravinski. Ce qui est tout à son honneur, et ce dont devraient s’inspirer nombre de « néo » actuels. Cette parenthèse fermée, composé en 1923-1924 à la demande de Serge Koussevitzky, qui en dirigea la création à Paris le 22 mai 1924, le Concerto pour piano et instruments à vent (trois flûtes et hautbois, deux clarinettes et bassons, quatre trompettes et cors, trois trombones, un tuba et trois timbales auxquels le compositeur ajoute six contrebasses qui n’apparaissent pas dans l’intitulé de l’œuvre malgré leur présence indéniable tant elles sont indispensables ici) est mélodiquement plutôt dépouillé à la façon des classiques, et les traits de virtuosité se situent davantage dans l’orchestre, quoique parfois massif, que dans la partie soliste, malgré de constants changements de mesure dans la cadence du mouvement initial et quelques bordées de virtuosité dans le Largo, repris dans la coda finale qui conclut l’œuvre de brillante façon. Sous la battue un peu sèche de Dennis Russell Davies, l’Orchestre Français des Jeunes s’est montré plus ou moins raide, phénomène peut-être mis en avant par l’acoustique lointaine et assez réverbérante de la Salle des concerts de la Cité de la Musique. Etonnamment vêtue d’un luxueux kimono façon geisha, la pianiste japonaise Maki Namekawa a tenu avec simplicité et constance la partie piano, les doigts courant sur le clavier sans rien laisser paraître, tant les touches ont semblé ne jamais s’enfoncer, au point que les nuances sont apparues peu contrastées. Ce qui tout compte fait va dans le sens de l’œuvre de Stravinski, qui, malgré le côté funèbre de l’introduction de ce concerto, rejetait toute velléité d’expression. Il s’en trouve encore moins dans l’insipide Etude pour piano n° 12 de Philip Glass que Namekawa, proche du compositeur, a donnée en bis, à la grande joie des musiciens de l’OFJ restés en coulisse pendant l’exécution du concerto qui ont bruyamment manifesté leur enthousiasme au terme d’une pièce sans guère d’intérêt si ce n’est d’être proche côté rythmique de l’esprit des musiques binaires mercantiles.

Dennis Russell Davies et l'Orchestre Français des Jeunes Cité de la Musique. Photo : (c) Orchestre Français des Jeunes

La seconde partie du programme était heureusement beaucoup plus convaincante et roborative. Le geste large, précis et engageant, Davies a brossé un plus impétueux qu’émouvant Mémorial pour Lidice, court et déchirant poème symphonique au caractère funèbre que Bohuslav Martinů(1890-1959) composa en 1943, quelques mois après le massacre par les nazis des habitants du village tchèque de Lidice. Cet adagio pour grand orchestre - trois flûtes, trois hautbois, trois clarinettes, deux bassons, quatre trompettes, deux cors, trois trombones, tuba, timbales, percussion (grosse caisse, cymbales, tam-tam), harpe, piano, seize premiers et quatorze seconds violons, douze altos, dix violoncelles, huit contrebasses -, tient des trop rares cris lancés par des compositeurs en écho aux horreurs de la Seconde Guerre mondiale, dont le sommet est Un Survivant de Varsoviequ’Arnold Schönberg composa en 1947, période dont les crimes ont été curieusement négligés par les compositeurs français (Oradour-sur-Glane n’a suscité aucune œuvre-cri musicale !)… L’Orchestre Français des Jeunes s’est fait un peu trop massif dans cette partition, mais la fureur de l’interprétation, si elle n’a pas bouleversé, a clairement reflété les sentiments d’horreur et d’injustice qui gouvernent la partition de Martinů.

Cette œuvre hallucinée a été suivie d’une autre page au caractère de furiant, la suite de concert que Béla Bartók (1881-1945) a tirée en 1928 de son ballet pantomime le Mandarin merveilleux op. 19(1918-1919, 1924 et 1935), son ultime œuvre scénique après le ballet le Prince de bois (1914-1916) et l’opéra le Château de Barbe-Bleue op. 11(1911), trois partitions en un acte. Il est toujours frustrant d’écouter en « abrégé » une œuvre qui vous « berce » depuis plus d’un demi-siècle dans sa version intégrale, même si elle a été réalisée par son auteur qui a en fait cherché à populariser une pièce qui a choqué ses premiers auditeurs, dans la cas du Mandarin autant par sa musique, d’une violence inouïe à l’époque, que par son immoralité. C’est d’autant plus frustrant avec la pantomime que Bartók a essentiellement enchâssé les parties les plus sonores et fébriles, négligeant presque systématiquement les épisodes les plus oniriques et sensuels, ainsi que les tentatives de meurtre du mandarin pour s’achever directement dans un violent fortissimo. Le tourbillon sonore qui introduit l’œuvre et situe l’action au cœur d’une métropole s’est avéré un peu bousculé côté cordes, comme surprises par le départ donné par le chef, qui a pourtant levé les bras bien avant de donner le départ non sans l’avoir signifié auparavant des yeux à tous les pupitres les uns après les autres, tandis que les accents syncopés des cuivres ont été un peu précipités. Mais les musiciens de l’Orchestre Français des Jeunes sont rapidement parvenus à trouver leurs repères, notamment les cordes sous la houlette de leur premier violon, Alexandre Paul, et le public a pu savourer le niveau technique et la qualité d’écoute de ces jeunes qui n’ont en aucun cas démérité, mais que l’on eut aimé écouter dans une acoustique plus présente, par exemple Salle Pleyel, comme ce fut le cas en décembre 2010 avec ce même chef, en attendant l’année prochaine la Philharmonie de Paris. 

Pour son ultime prestation, Dennis Russell Davies n’a pas jugé opportun d’offrir un bis à son orchestre et au public, préférant mettre rapidement un terme aux applaudissements pourtant fournis. Il faut dire que, annoncé pour durer une heure trente, le concert s’est terminé avec une demie heure de retard...


Bruno Serrou

Jacques Lonchampt, le critique du quotidien Le Monde de 1961 à 1990 qui a porté ce métier avec une opiniâtre objectivité et une haute exigence littéraire, est mort le 27 décembre 2014. Il avait 89 ans.

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Jacques Lonchampt (1925-2014). Archives INA tirée de l'entretien filmé en 2005 avec Bruno Serrou

« A quoi bon parler d’œuvres médiocres dont la critique ne présente plus guère d’intérêt à distance sinon pour les historiens, tandis qu’il y a tant de merveilles à évoquer par ailleurs... » Tout comme le quotidien pour lequel il a travaillé trente années durant, le poids des articles que Jacques Lonchampt a consacrés à la musique dans les colonnes du Monde aura été d’une importance considérable, autant pour les musiciens que pour le public voire les tutelles. D’autant plus qu’en ce temps-là, les musiques actuelles n’avaient guère de place dans le journal, sinon aucune. « En tant que critique, même si l’on n’est pas constamment en train d’y penser, l’on se sent investi d’une certaine responsabilité et d’une obligation à la prudence. Mais cela ne doit pas influer sur notre jugement, si ce n'est avoir en tête que l’on risque de détraquer complètement le fonctionnement d’une association de concert si on la démolit systématiquement. Il faut donc simplement avoir le sentiment que l’on a une rubrique qui est importante. »

Jacques Lonchampt est né à Lyon le 10 août 1925. Il a passé son enfance entre Colmar, Charleville-Mézières, Dijon et Lyon. Au gré de ces nombreux déménagements dus au métier de son père, cadre à la Banque de France, l’enfant étudie le piano et le violon, privilégiant le solfège qu’il apprécie davantage que les instruments. Il voue également une véritable passion pour le scoutisme dans le cadre duquel il découvre sa vocation de journaliste en créant à Charleville le journal de sa patrouille. Au milieu de la guerre, après la mort de son père en 1941, il arrive à Lyon alors considérée comme la capitale intellectuelle de la zone libre, et où beaucoup de journaux s’étaient repliés en 1940, notamment Le Temps et Le Figaro. Il y découvre la critique littéraire et surtout musicale, vouant un culte à la musique, qu’il redécouvre à quinze ans par le biais du disque. En 1942, le film la Symphonie fantastique de Christian-Jaque dont le héros est Hector Berlioz, rôle tenu par Jean-Louis Barrault, le bouleverse et provoque en lui une véritable révolution. Avec des camarades de classe, il partage son amour pour la musique. Il fréquente des élèves du Conservatoire, assiste à tous les concerts possibles, et commence à écrire des commentaires sur les œuvres qu’il apprécie…

La revue des Jeunesses musicales de France fondée et dirigée par Jacques Lonchampt

A la Libération, à Lyon comme ailleurs en France, quantité de nouveaux journaux paraissent. Dès 1944 - il a dix-neuf ans -, Jacques Lonchampt commence sa carrière de critique musical, d’abord à Lyon libre, puis à La République et à L'Echo du Sud-Est, tout en poursuivant des études à l'université. Il passe toutes ses  soirées à écouter de la musique à la radio et au disque, et à écrire. Il assiste également à de nombreux concerts, notamment à ceux de l’Orchestre de la Société Philharmonique de Lyon, dont il intègre le Chœur. A partir de 1946, il devient délégué à Lyon des Jeunesses Musicales de France, pour lesquelles il organise concerts et conférences. L’année suivante, il se rend à Paris pour devenir rédacteur en chef de la Revue des JMF. Il crée alors, avec le critique musical Emile Vuillermoz, à une époque où il n’existait encore pratiquement pas de revues musicales, le Journal musical français, qu'il dirige pendant douze ans. En 1960, Jacques Lonchampt reprend la direction artistique des disques Jéricho édités par les Dominicains du couvent de La Tour-Maubourg, puis, à partir de 1961, il devient chef du service des éditions du Cerf, maison littéraire appartenant aux mêmes Dominicains. Il allait occuper cette dernière fonction jusqu'en 1979.

Parallèlement, il reprend à partir de 1961 la rubrique musicale du quotidien Le Monde, où il succède à René Dumesnil. Il y effectuera l’essentiel de sa carrière de critique musical, jusqu'en 1991. Pour Le Monde, Jacques Lonchampt commente toute l’actualité musicale : disques, livres, concerts, spectacles lyriques, festivals. L'âge de la retraite venu, il regroupera une sélection de ses articles en quatre volumes ainsi que ceux d’Emile Vuillermoz qu’il publiera chez Plume et Lharmattan entre 1994 et 2006, ainsi qu'un ouvrage consacré aux Quatuors à cordes de Beethoven dont la première mouture était parue aux Editions des JMF avant d'être complétée et remise à jour en 1987 chez Arthème Fayard, tandis qu’il confiera au Cerf son édition des écrits de sainte Thérèse de Lisieux.  

Un article de Jacques Lonchampt consacré à Partiels de Gérard Grisey paru dans le Monde daté 9 mars 1976 : 
« [...] Grisey a pris sa revanche avec la création de Partiels pour dix-huit Instruments. Excellemment dirigés par Boris de Vinogradov, une partition très poétique et d’une merveilleuse écriture orchestrale. D’un triple raclement de contrebasse, encore noirci par le trombone (formule qui revient à de nombreuses reprises au début de l’œuvre) s’évadent des sons légers, une brise instrumentale, plus tard des sons plus chargés, très divers, souvent en harmoniques, et aussi des explosions harmonieuses, des enchaînements de timbres subtils libérant des rêves enclos. Un monstre aux cris affreux se réveille. Les cuivres rôdent en lumières phosphorescentes, les bois bruissent comme des mouettes, les cors claquent, les percussions frissonnent. Un vrai mystère passe derrière ces épisodes très purs qui s'achèvent avec des froissements de papier de verre sur les caisses ou du papier calque des partitions, quelques paroles et facéties bien innocentes encore qu'inutiles. »

Il concevait son métier comme un art à part entière. « Le critique musical n’est pas là pour donner des coups de règle sur les doigts et pour compter les fautes. Bref, il n’est pas là pour faire le Beckmesser de la profession. C’est quelqu’un qui s’adresse à un public cultivé, en tous les cas qui s’intéresse à la musique et s’il lit un article c’est pour deux raisons. Ou bien il a assisté à un concert et il a envie de savoir ce que le critique qu’il connaît bien en pense. En ce cas, le critique doit lui apporter quelque chose qui n'est pas forcément le reflet de ce qu’il a lui-même pensé mais celui d’une expérience musicale, de ce que le critique a à dire par rapport à l’interprétation qui a été donnée de telle ou telle œuvre qui va confirmer ou infirmer l’opinion du lecteur ou surtout lui donner des impressions nouvelles, enrichir ce qu’il en sait. Ou bien - et c’est le cas le plus fréquent -, le lecteur n’a pas assisté au concert - s’il s’agit d’un opéra, il cherche à se déterminer avant d’aller à une prochaine représentation -, le critique doit alors mettre dans son article tout ce que peut souhaiter le lecteur, voire au-delà. C’est-à-dire, d’une part, des éléments descriptifs et informatifs sur l’œuvre en question, et, au-delà, des explications de l’auteur, s’il en a, mais en plus il doit, d'autre part, ajouter toute la richesse que lui-même est capable d'apporter à cette œuvre. C’est-à-dire il a écouté une œuvre, qui a suscité en lui un certain nombre de réactions, l’a amené à un monde de pensées, à un univers poétique, car tout un travail se fait dans la tête du critique que ce dernier doit restituer pour le lecteur. Je crois que c’est ce qui fait la richesse d’un article, et je pense que c’est ce qu’il faut arriver à viser : le critique se doit d’être lui-même interprète, au même titre qu’un chanteur dans un opéra ou un pianiste dans une sonate. Il doit recréer l’œuvre pour le lecteur. Il doit donc en donner un équivalent  stylistique et un équivalent poétique. C’est en tout cas ce vers quoi il faut tendre au maximum. Pour une interprétation d’une œuvre classique par un soliste par exemple, pourquoi telle interprétation qui est très bien faite ne dit rien et pourquoi telle autre parle, c’est ce mystère qu’il faut arriver à décrypter et qu’il faut ensuite rendre. Je pense que le critique musical dans le meilleur des cas est également un recréateur, comme doit l’être un interprète. Voilà pourquoi un critique musical se doit d’être un écrivain. Il n’est pas là simplement pour dire "cette œuvre me plaît ou ne me plaît pas, cette œuvre est bien jouée ou ne l’est pas", non, il doit être capable d’apporter quelque chose… C’était je crois, en littérature, Léon Daudet qui disait qu’une critique doit toujours être au niveau de l’œuvre dont le critique parle. C’est certainement un peu prétentieux, et il n’est pas question pour un critique d’être du niveau de Stravinski ou de Messiaen ou d’un autre compositeur ou interprète, mais ce vers quoi il lui faut tendre : recréer, restituer ce qui peut être dans la tête du compositeur à partir d’une œuvre. Ce ne sera jamais la richesse de l’intégrale de l’œuvre mais ce peut être quelque chose de plus. Et je pense que c’est là que se situe le fondement de la critique. C’est grâce à cette exigence que des textes que l’on a écrit voilà longtemps peuvent continuer à vivre. Néanmoins, il ne s’agit pas de se demander ce que l’on va en penser dans vingt ans - il y a tellement de critiques musicaux qui se sont trompés -, mais de restituer quelque chose qui correspond probablement à la fois à la personnalité de l’œuvre et à celle du critique, et également à tout l’entourage. Il est certain que le milieu qui reçoit les œuvres sera différent vingt ans plus tard. 

Jacques Lonchamps. Photo : (c) L'Harmattan

« Je me demande souvent, après une création, ce que donnera une œuvre écoutée vingt ans plus tard. Parfois - je pense au Canto sospeso de Luigi Nono -, quarante ou cinquante ans après sa première audition, l'œuvre est toujours aussi belle. Les festivals de musique contemporaine sont très intéressants de ce point de vue, parce que l’on y entend beaucoup de partitions nouvelles, et des différences s’établissent immédiatement entre elles. On s’enthousiasme pour certaines parce qu’on est au milieu de gens enthousiastes, avec qui on discute, etc., et l’on se demande malgré tout ce qui adviendra dans vingt ans de ces œuvres. De ce fait, les gens doivent pouvoir lire un article comme une œuvre littéraire ou poétique. Mais surtout, en évitant de faire de la littérature. Ce qui est assez complexe. C’est-à-dire que tout en écrivant du mieux possible, le critique doit éviter de se monter la tête en cédant à la facilité de la plume pour majorer les choses ou les minorer. Le critique doit donc garder un self-control sur son style. Ce qui, dans la vie courante, pose de véritables problèmes : faut-il écrire à chaud ou à froid ? Je dirai qu’il faut faire les deux à la fois. 
« Après la création d’opéras qui a suscité en moi quantité de questions, il me fallait vite me déterminer, ce qui me conduisait à me retrouver rapidement seul à l'issue de premières représentations. J’avais en effet horreur de discuter avec d’autres critiques parce que l’on est systématiquement influencé par l’opinion des autres, du moins on est marqué d’une manière sensible par le jugement d'autrui, et il y a beaucoup de cas où l’on voit que les échanges entre critiques aboutissent à une sorte d’opinions moyennes qui en général n’ont aucune valeur. Les trois quarts du temps, j’allais travailler directement au Monde, et je ne rentrais chez moi que vers quatre heures du matin - il n’y avait pas d’ordinateur et d’Internet, à l’époque. Avant d’écrire ma première ligne, je reprenais mes notes, j’essayais de réfléchir pour me forger une opinion définitive qui soit à la fois chaude ou fraîche et réfléchie. Quelques fois, après une soirée éprouvante, il m’arrivait de n’avoir plus aucun style, de ne plus pouvoir écrire. En ce cas, il faut se rendre compte vers une heure du matin que cela ne va pas, rentrer chez soi et se relever à quatre heures du matin pour écrire le papier qu’il faut absolument pondre et c'est là que l'on se retrouve tout à fait au point, comme par miracle. »

A la fin de sa vie, Jacques Lonchampt était vice-président de la Médiathèque Musicale Gustav Mahler. Il est mort à Paris samedi 27 décembre 2014, dans sa quatre-vingt-dixième année.

Bruno Serrou

Voir sur le site de l’INA (Institut National de l’Audiovisuel) l’entretien filmé de 10h50mn qu’il m’accorda en 2005 pour l’INA, la SACEM et le ministère de la Culture et de la Communication : http://entretiens.ina.fr/consulter/Musique puis cliquer sur l’image de Jacques Lonchampt. ou :
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L’Orchestre de Paris se donne à la Russie de Guennadi Rojdestvenski et Viktoria Postnikova

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Paris, Salle Pleyel, mercredi 15 octobre 2014

Guennadi Rojdestvenski. Photo : DR

A 83 ans, Guennadi Rojdestvenski est le dernier grand chef d’orchestre vivant à pouvoir s’enorgueillir d’avoir compté parmi les proches de Dimitri Chostakovitch. Régulièrement invité par l’Orchestre de Paris, il y dirigeait la semaine dernière l’ultime partition symphonique de son compatriote, la Symphonie n° 15 en la majeur op. 141, poursuivant ainsi un cycle dont les premiers jalons ont été posés en juin et octobre 2012, avec de mémorables Dixième (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2012/06/sans-repetitions-remplacant-au-pied.html) et Quatrième (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2012/10/guennadi-rojdestvenski-retrouvait.html).

Rojdestvenski est en effet l’un des rares héritiers directs de la tradition de l’interprétation de l’œuvre de son aîné. Il est également celui qui, en 1974, réhabilita dans ce qui était encore l’URSS le premier des deux opéras de Chostakovitch, Le Nez, ouvrage dans lequel depuis sa création quarante ans plus tôt le régime soviétique ne voyait qu’une anthologie formaliste d’expériences musicales (1). Rojdestvenski est par ailleurs l’auteur de l’arrangement sous forme de suite de la musique du film la Nouvelle Babylone, autre œuvre de Chostakovitch vivement critiquée au moment de sa création en 1928, suite que l’arrangeur créa en 1976. Deux documentaires de Bruno Monsaingeon (2), qui était présent au concert de mercredi, consacrés à Rojdestvenski content les relations du chef avec le compositeur et la dictature stalinienne.

Guennadi Rojdestvenski et Dimitri Chostakovitch. Photo : DR

Créée le 8 janvier 1972 à Moscou sous la direction du fils du compositeur, Maxime Chostakovitch, la Quinzième Symphonie de Dimitri Chostakovitch est une rétrospective douloureuse de la vie de son auteur. Les premier et dernier mouvements citent l’ouverture de Guillaume Tell de Rossini et le leitmotiv du Destin de la Tétralogiede Wagner, tandis que des thèmes de douze sons abondent, à l’instar de la Symphonie n° 14 pour soprano, basse et orchestre de chambre op. 135 de 1969. S’ouvrant sur un appel au contour enfantin de glockenspiel et de flûte solo, le mouvement initial est d’une gaieté feinte qui conduit à une marche funèbre, dont le choral grave et solennel qui l’ouvre est un squelette du motif du Destin du Ring, tandis que cet Adagio est parcouru de solos qui permettent à divers pupitres de briller, du violoncelle au tuba, en passant par le violon, le trombone, le célesta, la contrebasse, le vibraphone, les timbales, enfin les bassons, qui introduisent sans pause le scherzo (Allegretto) à l’ironie acide lancé par la clarinette et jouant avec le motif personnel de Dimitri Chostakovitch dans la transcription allemande, DSCH (ré (D) mi bémol (Es), do (C), si (H)). A l’instar de la Symphonie n° 6 « Pathétique »de Tchaïkovski et, surtout, de la Symphonie n° 9 de Mahler à laquelle pensait expressément Chostakovitch, mais aussi de sa propre Symphonie n° 4 en ut mineur op. 43, sans doute l’œuvre la plus chère au cœur du compositeur russe, la Symphonie n° 15 se conclut sur un long Adagio. Ce dernier est introduit par les citations menaçantes du motif du Ringde Wagner aux cuivres qui sont bientôt suivies par celui de l’ « invasion » de la Symphonie n° 7 « Leningrad », tandis que les ultimes mesures ont la gravité d’un adieu à la vie, qui renvoie à la Quatrième Symphonie, avant de s’achever par un retour de la caisse claire qui conclut le cycle des symphonies de Chostakovitch dans une sérénité aux élans enfantins qui donne à cette Quinzièmeun tour cyclique en renvoyant au climat de l’introduction de son mouvement initial.

Dirigeant toujours l’air de ne pas y toucher, économe en gestes, précis et larges, soutenant l’orchestre en donnant les départs et les indications d’intonations de façon ferme et rassurante tout en laissant par un savant dosage la bride sur le cou à des musiciens dont le jeu et le style coulent ainsi avec une aisance naturelle, Rojdestvenski donne de cette symphonie une interprétation de feu, ménageant des contrastes éblouissants, depuis des piannississimid’une minéralité inouïe jusqu’à des fortississimiapocalyptiques, donnant à l’œuvre des soubresauts impressionnants, tandis que les ultimes mesures trahissent un désespoir incommensurable d’où émerge soudain le sublime rais de lumière du célesta, qui reste dans les oreilles de l’auditeur qui a eu la chance d’assister à cette magnifique exécution, où tous les chefs de pupitres et les tutti, notamment cuivres et timbales des sonneries wagnériennes, ont eu à tour de rôle le bonheur de participer.

Viktoria Postnikova (à sa gauche, Guennadi Rojdestvenski en tourneur de pages). Photo : DR

La soirée avait commencé sur deux œuvres rares du répertoire russe du XXe siècle. La première a été le Fragment de l’Apocalypse op. 66 d’Anatoli Liadov (1855-1914). Créé en 1912 à Saint-Pétersbourg sous la direction de Siloti, cette courte pièce puise son inspiration dans les trois premiers versets du Chapitre X de l’Apocalypse de saint Jean. A l’origine, le compositeur était de donner naissance à une œuvre de grande envergure, mais à l’instar de l’ensemble de sa création, il ne parvint pas à développer son propos et dut se contenter des huit minutes restantes qui se présentent comme une succession de montagnes russes alternant vallons puissants et plaines lisses qui donnent au compositeur l’occasion de démontrer ses dons d’orchestrateur, avec un effectif instrumental imposant, et son aptitude à inventer des thèmes de qualité, celui de l’Ange étant confié aux cuivres, un second aux bois et aux cordes qui adopte la forme de choral orthodoxe, avant que la percussion prenne le dessus dans la dernière partie. Là aussi, l’Orchestre de Paris a pu briller de tous ses feux, avant la partie concertante, infiniment moins convaincante. Ce qui s’est avéré regrettable, compte tenu de l’extrême qualité de la soliste, Viktoria Postnikova, l’épouse de Guennadi Rojdestvenski. 

Œuvre d’un académisme consternant, le Concerto n° 1 pour piano et orchestre en fa mineur op. 92 d’Alexandre Glazounov (1865-1936) est d’une platitude qui élève Rachmaninov au rang de génie, tant cette partition d’une longueur monotone (les trente minutes paraissant une éternité) égrène les arpèges et les mélodies d’une banalité atterrante, y compris dans le second mouvement pourtant centré sur un thème censément varié neuf fois avant de conclure sur une fresque sonore écrasante. Il est indubitable que Viktoria Postnikova, avec le soutien de son mari au poste du chef, a donné de ces pages interminables minutes la quintessence de ce qu’il est possible d’en tirer, et qu’il doit être impossible de faire mieux, tout en suscitant des regrets dans le fait de ne pas avoir pu entendre le couple dans un concerto plus passionnant. Jouant avec une facilité confondante, la pianiste russe a réussi à maintenir en haleine un auditoire qui l’a ovationnée, et à qui elle a offert en bis une charmante berceuse intitulée Tabatière à musique d’Anatoli Liadov, donnant ainsi un tour cyclique à la première partie du programme.

Bruno Serrou

1) Le témoignage de cette « résurrection » à l’Opéra  de Chambre de Moscou est heureusement préservé par le remarquable enregistrement qui fut longtemps le seul disponible au disque de ce remarquable ouvrage (1CD Melodya et en DVD chez VAI). L’intégrale de ses symphonies et concertos pour violon (avec David Oïstrakh) de Chostakovitch avec l’Orchestre Symphonique du ministère de la Culture d’URSS est également disponible chez Melodya. D’autres enregistrements sont proposés par divers label, notamment BBC Legends

2) « Notes interdites » (1 DVD Ideale Audience International)

"Cabaret", comédie musicale qui a inspiré le célèbre film de Bob Fosse, revient à la scène dans une mise en scène perspicace d’Olivier Desbordes avec une étonnante Nicole Croisille

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Le Chesnay (Yvelines), La Grande Scène du Chesnay, vendredi 12 décembre 2014

John Kander (né en 1927) et Fred Ebb (1933-2004), Cabaret. China Moses (Sally Bowles), Samuel Theis (Clifford Bradshaw). Photo : (c)  Opéra Eclaté / Folies lyriques de Montpellier

Mise en scène avec sagacité par Olivier Desbordes pour Opéra Eclaté et les Folies lyriques de Montpelier,  la comédie musicale Cabaret renvoie le tragique reflet de la société contemporaine en plongeant au début des dramatiques années trente, au cœur de la capitale de la République de Weimar, Berlin.

John Kander (né en 1927) et Fred Ebb (1933-2004), Cabaret. Eric Perez (le Maître de cérémonie). Photo : (c)  Opéra Eclaté / Folies lyriques de Montpellier

Tiré de la nouvelle de Christopher Isherwood (1904-1986) Goodbye to Berlin qui se fonde sur sa propre expérience, Cabaret imbrique intimement légèreté et gravité. Ecrit en 1939, ce texte se fonde en effet sur l’expérience de son auteur à Berlin, où, rejetant l’élite conservatrice britannique qui ne comprenait pas son homosexualité, il s’était réfugié en 1929. En pleine crise économique, il comptait y passer quelques semaines avec Wystan Auden. Or, il allait y séjourner jusqu’en 1933, ne pouvant y rester davantage sous la pression des nazis. Goodbye to Berlin allait être adapté en 1951 pour le théâtre par John Van Druten sous le titre I am a camera, puis sera retravaillé pour Broadway en 1966 sous forme de comédie musicale par John Kander (né 1927) pour la musique et Fred Ebb (1933-2004) pour les paroles. Cabaret sera finalement popularisé par le cinéma dans la réalisation de Bob Fosse tournée en 1972 avec Liza Minnelli dans le rôle de Sally Bowles, chanteuse américaine vedette du Kit Kat Klub dont s’éprend le héros, l’écrivain anglais Clifford Bradshaw qui n’est autre qu’Isherwood, mais qui refusera de suivre son amant malgré les menaces qui pèsent sur elle.

John Kander (né en 1927) et Fred Ebb (1933-2004), Cabaret. Patrick Zimmermann (Herr Schultz), Nicole Croisille (Frau Schneider). Photo : (c)  Opéra Eclaté / Folies lyriques de Montpellier

Cette comédie musicale au tour dramatique est régulièrement programmée en France. L’on se souvient notamment des lectures qu’en a faites Jérôme Savary, la première étant créée au Théâtre du 8eà Lyon en 1986, avant d’être retravaillée en 1987 pour le Théâtre Mogador à Paris puis en 1995, tandis que les Folies Bergères présentaient en 2007 la production de Sam Mendes. Mais, contrairement à ses prédécesseurs, qui avaient adaptés l’œuvre en français, et comme il en a désormais l’habitude, Olivier Desbordes a choisi de donner les numéros chantés en américain, langue originale du musical, et les intermèdes parlés en français. L’on retrouve ici l’esprit de Bertolt Brecht, Kurt Weill et Hanns Eisler qui imprègne de façon tangible le texte d’Ebb et la musique Kander, cette dernière étant jouée ici avec virtuosité par six instrumentistes réunis pour l’occasion et perchés sur un praticable en fonds de scène et côté jardin. Après Savary, qui avait confié le personnage de Sally à Dee Dee Bridgewater, Desbordes s’est tourné à son tour vers la famille Bridgewater, faisant cette fois appel à sa fille, l’incandescente China Moses. Le maître de cérémonie est tenu par un flamboyant Eric Perez, Clifford par l’acteur Samuel Theis remarqué à Cannes dans le film Party Girl. Créé par Lotte Lenya, veuve de Kurt Weill et créatrice de l’Opéra de Quat’Sous, le rôle de la logeuse Frau Schneider est campé par une saisissante Nicole Croisille, qui réalise ici une incroyable performance d’actrice-chanteuse. Attachante et authentique, elle fait de son personnage le centre d’une action polymorphe qui touche autant pour la violence de la situation historique au cœur d’une capitale allemande, Berlin, témoin de l’effondrement de la République de Weimar et de la montée du nazisme, et par la prégnante actualité qui émane de ce sujet. Face à elle, le bouleversant Herr Schultz de Patrick Zimmermann, qu’elle s’apprête à épouser mais qu’elle décide d’éconduire lorsque, sous la pression de sa clientèle nazie, elle se rend compte des risques qu’elle court en se mariant à un commerçant juif.

John Kander (né en 1927) et Fred Ebb (1933-2004), Cabaret. Photo : (c)  Opéra Eclaté / Folies lyriques de Montpellier

Au Chesnay, non loin de Paris où j’ai vu cette production en décembre, tout ce petit monde était animé avec sensibilité et réalisme par Desbordes, dont la mise en scène plonge autant dans le cabaret que dans l’histoire la plus noire dans un décor unique aux multiples facettes de Patrice Gouron et les costumes réalistes de Jean-Michel Angays fort bien éclairés par Guillaume Hébrard. La chorégraphie de Glyslein Lefever est bien réglée, bien présente mais sans excès ni allusions insistantes. Dirigé avec allant par Manuel Peskine, l’ensemble instrumental élève la partition de Kander au rang de celles de Kurt Weill, marquée à la fois par le jazz, le cabaret et la musique savante « dégénérée » abhorrée par les nazis.

Bruno Serrou

Tournée en France jusqu’au 5 mai 2015 : Perpignan (Théâtre de l’Archipel, 10-11 janvier 2015), Albi (Scène nationale, 14 janvier), Mérignac (le Pin galant, 16-17 janvier), Issy-les-Moulineaux (Palais des Congrès, 31 janvier), Massy-Palaiseau (Opéra, 11-12 avril), Biarritz (Ancienne Gare, 23 avril), Cahors (Théâtre, 5 mai)

CD : Patrice Fontanarosa, portrait en cinquante enregistrements

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Ainé d’une fratrie qui compte dans ses rangs la pianiste Frédérique Fontanarosa et le violoncelliste Renaud Fontanarosa, avec qui il a formé le fameux trio sous leur patronyme commun, Patrice Fontanarosa est l’un des violonistes français les plus naturellement doués de sa génération. Fils des peintres Lucien Fontanarosa (1912-1975) et Annette Faive-Fontanarosa (1911-1948), époux de la harpiste Marielle Nordmann, il est l’un des violonistes français les plus couronnés par les concours internationaux, Ginette Neveu à Paris, Georges Enesco à Bucarest, Long-Thibaud à Paris, Villa-Lobos à Rio de Janeiro, Paganini à Gênes… Une facilité qui lui a permis de s’exprimer avec autant d’aisance dans les répertoires soliste, chambriste, avec ses frère et sœur au sein du Trio Fontanarosa, qu’avec sa femme Marielle Nordmann, de violon solo de l’Orchestre National de France, dont il fut dix ans titulaire (de 1976 à 1985) après l’avoir été des Virtuosi di Roma, et de chef d’orchestre, dirigeant du violon l’Orchestre des Pays de Savoie de sa création en 1984 jusqu’en 1989.7

Pochette originale de l'enregistrement du second Trio de Franz Schubert par le Trio Fontanarosa réalisé en 1973

La facilité du jeu, la technique si sûre qu’il lui arrive d’en oublier le contrôle,  et la musicalité naturelle de Patrice Fontanarosa s’imposent dans leur flegmatique évidence dès les premières minutes d’écoute des enregistrements réunis par Decca en douze disques enregistrés en vingt ans, entre 1971 et 1991, qui le présentent en concerto, entouré de sa fratrie et d’un certain nombre de ses amis chambristes, en un curieux duo violon/guitare, en solo et jusque dans ses bis. Au total quarante-neuf œuvres de trente-quatre compositeurs parmi lesquels aucun contemporain, ce qui reflète bel et bien le répertoire du violoniste et son manque légendaire de témérité qui le pousse à rejeter en bloc toute musique plus ou moins nouvelle et audacieuse. Au sein de cet ensemble, où l’on regrette que Patrice Fontanarosa soit accompagné dans les œuvres concertantes soit par des orchestres de second rayon soit par des chefs sans personnalité réelle, voire les deux à la fois, ce qui rend superflus ses concertos de Bach (BWV 1052) Mozart (KV. 216), Dvorak, et, pire encore, Beethoven, Mendelssohn, Brahms et Tchaïkovski - ce qui représente tout de même près de quatre disques -, tandis que les cinq plus courtes pages pour violon et orchestre (Chausson, Berlioz, Dvorak, Ravel, Rimski-Korsakov) réalisées avec le Grand Orchestre de Radio Luxembourg dirigé par Louis de Froment réunies sur un disque, et, surtout, le concerto de Schumann et celui de Sibelius sont infiniment plus recommandables. Cependant, le meilleur se trouve du côté des enregistrements du Trio Fontanarosa, particulièrement les deux Trios pour violon, violoncelle et piano de Schubert, le Trio de Ravel et celui de Fauré, que Decca pourrait proposer indépendamment.

Bruno Serrou
                                                                                                                                                
Patrice Fontanarosa Portraits 12CD Decca 481 1195 (Universal Classics)

Avec les Héros de la France Unie


Le Théâtre de l’Athénée accueille une Belle au bois dormant vue à Strasbourg dans le tragique contexte d’un vendredi sanglant

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Strasbourg, Grande salle de la Cité de la Musique et de la Danse, vendredi 9 janvier 2015

Ottorino Respighi (1879-1936), la Belle au bois dormant, production Opéra Studio de Colmar. Photo : (c) Alain Kaiser / Opéra du Rhin

Le déplacement à Strasbourg pour un conte de fées restera comme l’un des plus longs et pénibles de toute ma vie professionnelle. Il ne s’est pourtant agi que d’un aller-retour dans la journée, en TGV depuis Paris. Peu après le départ, alors que le train roulait à pleine vitesse sur la ligne à grande vitesse tombaient sur mon téléphone les premières alertes de mes abonnements presse. Tristesse, angoisse et rage au cœur, mes pensées ne pouvaient plus se détourner de ce qui était en train de se nouer Porte de Vincennes, à moins de cinq cents mètres du lieu de vie de la majorité de ma famille et de la clinique où est censée se reposer ma compagne après une opération chirurgicale. Arrivé à destination, j’ai éprouvé d’énormes difficultés pour entrer dans l’opéra que j’étais venu découvrir. D’autant plus qu’il s’agissait d’une représentation scolaire durant laquelle les enfants se sont montrés plutôt excités. La police, présente dans les rues de Strasbourg, était plutôt discrète autour de la Cité de la Musique et de la Danse pourtant dotée non seulement d’une salle de spectacle, mais aussi siège du CRR de Strasbourg et du Festival Musica, tandis qu'un millier d'enfants se bousculaient dans le hall pour voir laBelle au bois dormant s’éveiller sous les doux baisers d'un prince charmant… C’est dire la gageure qu'a représenté le fait de m’intéresser au sort d’une héroïne de conte de fées, aussi charmante soit-elle, tandis que se déroulait l’un des événements les plus tragiques du dernier demi-siècle en France.

Ottorino Respighi (1879-1936), la Belle au bois dormant, production Opéra Studio de Colmar. Photo : (c) Alain Kaiser / Opéra du Rhin

Pourtant, envoyé à Strasbourg pour un compte-rendu à paraître dans le quotidien auquel je collabore dans la perspective de représentations parisiennes (1), il m’a bien fallu faire mon maximum pour me concentrer sur le spectacle que j’étais venu expressément voir et écouter. Connu essentiellement pour son dytique symphonique les Fontaines de Rome (1916) et les Pins de Rome (1924), Ottorino Respighi (1879-1936) est comme tous les compositeurs italiens avant tout un lyrique. Pourtant, les neuf opéras et cinq ballets de ce musicien qui entretint des relations privilégiées avec Mussolini restent méconnus, à l’exception de la Fiamma (la Flamme, 1934) parmi les premiers, et de la Boutique fantasque (1919) d’après Rossini pour les Ballets russes parmi les seconds. Mais la Belle au boisdormant (la Bella addormentala nel bosco, 1923), conte musical en trois actes d’après Charles Perrault qui a pourtant quantité d’atouts pour séduire n’avait jamais franchi les Alpes avant la semaine dernière. Pourtant, le charme opère autant qu’avec Hänsel et Gretel d’Engelbert Humperdinck. Créés à trente ans de distance, ces deux opéras pour petits et grands doivent autant l’un que l’autre à Richard Wagner. Il faut dire que le réveil de la Belle endormie par le Prince charmant renvoie inévitablement au réveil de Brünnhilde par Siegfried sur son rocher dans le finale de la deuxième journée du Ring. Il convient d’ajouter chez l’Italien une rutilante proximité avec l’orchestre et la flamboyance de Giacomo Puccini.

Ottorino Respighi (1879-1936), la Belle au bois dormant, production Opéra Studio de Colmar. Photo : (c) Alain Kaiser / Opéra du Rhin

L’Opéra Studio de Colmar, structure de formation et d’insertion professionnelle pour jeunes chanteurs directement attachée à l’Opéra national du Rhin qui se plaît à programmer des ouvrages rares ou à passer des commandes spécifiques, donne avec ses huit chanteurs et ses deux pianistes chefs de chant la création française en français de cette romantique histoire de la Belle qui se pique et s’endort jusqu’à ce que le baiser d’un Prince finisse par l’éveiller. Vu durant une représentation scolaire entouré d’enfants de quatre à onze ans peu concentrés dans la grande salle de la Cité de la Musique et de la Danse de Strasbourg il est vrai très sonore, la production m’a séduisant, malgré le contexte évoqué en liminaire. 

Ottorino Respighi (1879-1936), la Belle au bois dormant, production Opéra Studio de Colmar. Photo : (c) Alain Kaiser / Opéra du Rhin

Dans les décors de tulles de Carles Berga et les costumes colorés de Nidia Tusa, Valentina Carrasco réalise une mise en scène onirique où se déploie une distribution pimpante et tonique dominée par la gracieuse princesse de Kristina Bitenc. Une petite réserve néanmoins pour la Fée bleue de Rocio Pérez, voix et diction peu assurées. Mais Marie Cubaynes excelle dans ses trois rôles de Fée verte / Vieille édentée / Duchesse. Dans la fosse, Vincent Monteil, directeur musical de l’Opéra Studio, donne de la partition une lecture luxuriante à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, auquel se substituera à Paris l’Ensemble Le Balcon. 

Bruno Serrou

1) Paris, Théâtre de l’Athénée, du 17 au 22 janvier. Rés. : 01.53.05.19.19. www.athenee-theatre.com

Elena Obraztsova, mezzo-soprano russe qui fut une incomparable Carmen, s’est éteinte lundi à Berlin. Elle avait 75 ans

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Elena Obraztsova (1937-2015). Photo : DR

Voix large, chaude et conquérante, authentique tragédienne, Elena Obraztsova a marqué de façon indélébile les quatre vingt six rôles de son répertoire, sans compter œuvres symphoniques, cantates, oratorios, lieder et mélodies d’une centaine de compositeurs courant du XVIIIe au XXe siècle. Née le 7 juillet 1937 à Leningrad (aujourd’hui Saint-Pétersbourg), elle a fait ses études au Conservatoire Rimski-Korsakov de sa ville natale d’où elle est sortie diplômée en 1964, deux ans après avoir remporté le Concours Glinka de Moscou et la Médaille d’or du Festival mondial de la jeunesse à Helsinki. Un an plus tôt, le 17 décembre 1963, elle avait fait ses débuts sur scène, au Théâtre Bolchoï, dans le rôle de Marina de Boris Godounovde Modeste Moussorgski.

Elena Obraztsova (1937-2015). Photo : DR

Durant sa première année au Bolchoï, elle se voit confier huit rôles, dont celui d’Amneris d’Aïda de Giuseppe Verdi, et de la Comtesse dans la Dame de pique de Tchaïkovski, ainsi que dans Guerre et Paixde Prokofiev. En 1967, elle participe à la tournée du Bolchoï à Montréal. En 1970, elle remporte les Concours Tchaïkovski à Moscou et Francisco Vinas à Barcelone. Très vite, elle s’impose sur la scène lyrique internationale : à la Scala de Milan dès 1964, à New York, San Francisco, Paris, Londres, Buenos Aires, Vienne, Barcelone… En 1975, elle crée l’opéra de Kirill Molchanov (1922-1982) les Aubessont tranquilles ici, compositeur consensuel soviétique alors directeur du Bolchoï, qu’elle reprend à Washington et à New York. A partir de 1976, elle se produit régulièrement au Metropolitan Opera. Elle est la première à chanter en Russie Oberon du Songe d’une nuit d’été de Benjamin Britten et Judith dans le Château de Barbe-Bleue de Béla Bartók. Parmi ses rôles favoris, Marfa de la Khovanstchina de Moussorgski, la Comtesse de la Dame de pique de Tchaïkovski, Lioubacha du Prince Igor de Borodine. Elle chante aussi Orphée dans Orfeo ed Euridice de Gluck, Adalgisa dans Norma de Bellini, Giovanna Seymour dans Anne Boleyn de Donizetti, la Princesse de Bouillon dans Adrienne Lecouvreur de Cilea… Dans ces ouvrages et dans d’autres, elle a pour partenaires Mirella Freni, Renata Scotto, Joan Sutherland, José Carreras, Placido Domingo, Luciano Pavarotti… Mais c’est surtout le rôle-titre de Carmende Bizet qu’elle a chéri entre tous et qui lui a apporté la gloire, notamment face au Don José de Domingo dans une production de l'Opéra de Vienne mise en scène par Franco Zeffirelli et dirigée par Carlos Kleiber heureusement captée en 1978 et gravée sur support DVD par le label Arthaus Musik.

Elena Obraztsova à la Scala de Milan dans le rôle de Marfa de la Khovanstchina de Moussorgski en 1973. Photo : DR

Elena Obraztsova a également enseigné, notamment au Conservatoire de Moscou de 1973 à 1994, et s’est essayée à la mise en scène en 1986 avec Wertherde Massenet. En 1996, elle a fondé à Saint-Pétersbourg un Centre culturel de jeunes chanteurs d’opéra, puis, en 2011, une Fondation caritative à son nom pour soutenir la musique sur laquelle la cantatrice entendait s’appuyer pour réaliser des projets d’enseignement et mettre en place une Académie internationale de musique.

Elena Obraztsova dans le rôle de la Comtesse de la Dame de Pique de Tchaïkovski. Photo : DR

En décembre 2013, elle fêtait ses cinquante ans de carrière avec un concert sur la scène du Bolchoï, où elle remontait une ultime fois le 28 octobre 2014 durant un concert-gala organisé en son honneur au cours duquel elle a chanté l’air de la Comtesse de la Dame de pique. Une autre prestation était prévue au Kremlin le 11 décembre dernier, mais la maladie l’en empêcha. 

Elena Obraztsova s’est éteinte lundi 12 janvier 2015 à Berlin victime des suites d’une longue maladie à l’âge de 75 ans. Elle sera inhumée au cimetière Novodevitchi de Moscou.

Elena Obraztsova dans le rôle de Carmen, au côté du Don José de Placido Domingo à l'Opéra de Vienne en 1978. Photo : (c) Arthaus Musik

Pour retrouver la voix d’Elena Obraztsova, parmi les nombreux disques qu’elle a gravés, retenons le Château de Barbe-Bleue de Bartók avec Yevgeny Nesterenko dirigé par János Ferencsik (Hungaroton), Werther de Massenet avec Placido Domingo et Riccardo Chailly (DG), Alexandre Nevsky de Prokofiev avec Claudio Abbado (DG), Samsonet Dalila de Saint-Saëns avec Domingo et Daniel Barenboïm (DG), Adrienne Lecouvreur de Cilea avec Renata Scotto, Domingo et James Levine (Sony), le Trouvère de Verdi avec Piero Cappuccilli, Leontyne Price et Herbert von Karajan (EMI/Erato), Un bal masqué de Verdi avec Domingo, Katia Ricciarelli, Renato Bruson et Abbado (DG), Rigoletto de Verdi avec Cappuccilli, Ileana Cotrubas et Carlo Maria Giulini (DG), Nabucco de Verdi avec Matteo Manuguerra, Renata Scotto et Riccardo Muti (EMI/Erato).

Bruno Serrou

La Philharmonie de Paris, salle de concerts moderne attendue depuis des décennies, inaugurée en grande pompe par l’Orchestre de Paris, est finalement bien née après avoir été accouchée aux forceps

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Paris, Philharmonie de Paris, jeudi 16 janvier 2015


Le geste du dessin de l’architecte Jean Nouvel est saisissant, avec sa forme de gigantesque goutte d’eau parcourue d’oiseaux, et sa fusion au sein du parc de la Villette dont elle semble présenter une excavation ou une colline, avec son jardin suspendu sur le toit et le chemin qui le parcourt pour permettre aux promeneurs de déambuler au-dessus du bâtiment et s’y détendre sans même s’être aperçu qu’il est sur un édifice - ce qui ne pourra se faire que dans quelques mois, l’extérieur de la Philharmonie étant encore en travaux -, l’intégration au sein de la nature du parc implanté au nord de Paris est amplifiée par les oiseaux incrustés dans le béton. Au milieu d’un horizon dégagé quel que soit l’angle de vue, la Philharmonie semble dès la premier regard promise au plus bel avenir, et laisse le passant pantois, qu’il soit mélomane ou non, qu’il ait été pour ou contre son existence… Tout esprit polémique a d’un coup disparu devant la beauté de la réalisation.


Cette fois, ça y est, Paris possède bel et bien sa grande salle de concert moderne qu’orchestres et public mélomane espéraient sans trop y croire. Ils l’attendaient sans doute dans un autre arrondissement que celui finalement retenu, plus central et plus accessible par les transports en commun. Tant et si bien que même les plus favorables au projet s’en sont pour certains détournés, allant jusqu’à espérer que le patrimoine historique soit maintenu, érigeant la Salle Pleyel en symbole de la musique et ne craignant pas de déclarer le parc de salles amplement suffisant pour satisfaire la demande. Ce vers quoi les responsables mêmes du projet ont abondé, puisqu’ils ont décidé de se défaire de la gestion artistique de la Salle Pleyel et de contraindre les candidats à l’appel d’offre à l’absence de toute programmation musicale classique, y compris dans les locations et dans les soirées privées…


La Cité de la musique rêvée par Pierre Boulez, à l’origine du projet en 1979 qu’il souffla à l’oreille du président de la République d’alors, Valéry Giscard d’Estaing, est enfin complète, après trente-six ans de gestation. Le compositeur chef d’orchestre, déjà à l’origine de l’IRCAM, de l’Ensemble Intercontemporain et de la salle modulable de l’Opéra de Paris qui ne verra finalement jamais le jour, caressait l’idée d’un pôle pédagogique et de diffusion. Il restait à trouver le lieu d’implantation. Ce sera l’est du parc de la Villette, dans le 19e arrondissement, où étaient situées les anciens abattoirs du la rive droite de Paris. Tandis que Boulez avait suggéré que le nouvel Opéra y soit intégré, avant que l’ancienne gare Bastille lui soit préférée, le pôle musical fut initié par la construction du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse qui s’y installait en décembre 1990 pour échapper à l’implosion dans les murs étroits de la rue de Madrid et dont la conception fut confiée à Christian de Portzamparc. Le 7 décembre 1995, conçue par le même architecte, la Cité de la Musique était inaugurée avec sa salle modulable pouvant accueillir de 900 à 1600 spectateurs selon sa configuration, le Musée de la Musique et un amphithéâtre de 250 fauteuils, des espaces pédagogiques, le tout bientôt complété par une médiathèque ouverte le 26 octobre 2005. Une grande salle de concerts aurait dû suivre, mais elle restera dans les cartons de Portzamparc, à moins qu’il en ait récupéré quelques esquisses pour sa somptueuse Philharmonie du Luxembourg…


Dans l’intervalle, de nombreuses métropoles se sont dotées de temples symphoniques, en Espagne, Grande-Bretagne, Allemagne, Suisse, Amérique, Asie… Mais aussi en France (Lille, Lyon, Montpellier…). En 2006, ce que l’on croyait définitivement enterré revint d’actualité de par la volonté conjuguée de l’Etat et de la Ville de Paris, dans la perspective d’ « introduire un nouveau modèle de création et de transmission musicales ». L’architecte sera désigné en mars 2007 à l’issue d’un concours qui portera son choix sur le projet de Jean Nouvel. Je ne vais pas revenir ici sur la genèse de la Philharmonie de Paris et ses vicissitudes, notamment financières, que j’ai longuement abordées ici après une visite de chantier, le 5 juillet dernier (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2014/07/la-philharmonie-de-paris-six-mois-avant.html). Néanmoins, il faut reconnaître que, les journées d’ouverture aidant, et bien que le chantier soit encore loin d’être parachevé, particulièrement sur les façades et le toit qui, d’ici quelques semaines, seront couverts de 340.000 oiseaux de sept formes et quatre teintes différentes, tandis que les panneaux réverbérant de la salle forment des mouvements d’ailes et de vagues, le résultat est pour le moins convaincant, et l’outil prometteur, et que le porteur de projet, Laurent Bayle, directeur de la Cité de la Musique et de la Salle Pleyel, désormais patron de la Philharmonie, a eu raison de fixer une date précise d’ouverture, alors même qu’il y a encore moins de deux mois rien ne pouvait laisser présager que le défi fut relevé dans les temps pour un grand week-end d’ouverture mi-janvier 2015 au cours duquel tout le potentiel du nouveau lieu est exploité et démontré à tous les publics.


Même si l’arrivée de cette salle de deux mille quatre cents places a engendré le sacrifice de la Salle Pleyel - dotée en fait de trois salles, la grande salle, la salle Chopin et la salle Debussy - au style art déco, lieu emblématique de la musique symphonique, de la musique de chambre et du jazz inauguré en 1927 au cœur de l’un des quartiers les plus huppés de Paris, la rue du Faubourg Saint-Honoré, et qui, après trois rénovations successives (1980-1981, 1994, 2002-2006) avec une acoustique adaptée aux instruments acoustiques - dans l’intervalle, la jauge de Pleyel est passée de 3000 places en 1927 à 1800 en 2006 -, se voit désormais interdite de programmation de musique classique, y compris dans le cadre limité de concerts privés, pour être vouée aux seules musiques actuelles et amplifiées - genres qui auront également accès à la Philharmonie, conformément à l’exigence ces tutelles, alors qu’à deux cents mètres est implanté le Zénith de Paris et ses six mille places adapté aux seules musiques amplifiées. Autre réserve, les transports en commun. Là où la Salle Pleyel était aisément accessible depuis la place de l’Etoile, à trois cents mètres de distance, et ses trois lignes de métro et sa ligne de RER, sans compter les nombreuses lignes de bus, la Philharmonie n’est accessible que par le biais d’une ligne de métro, d’un tramway et une ligne de bus, ce qui, les soirs de concert à la Philharmonie et au Zénith, risque d’engorger sérieusement le trafic.


Bâties sur un modèle datant du XIXe siècle, les salles de concert parisiennes ne disposaient pas de lieux de vie avec d’autres activités que le concert, remarque Laurent Bayle, et la modularité était impossible, tandis que le volume acoustique était en-deçà des 20.000 m3 (17.000 m3 pour le Musikverein de Vienne), pour atteindre dans les salles construites au XXe siècle une moyenne de 20.000 à 25.000 m3, la Philharmonie de Paris atteint les 30.500 m3, renforcé par un volume ménagé entre le fond des balcons et les murs d'enceinte, tandis que le temps de réverbération est situé entre 2 et 2,3 secondes. Le principe de modularité permet à la Philharmonie d’accueillir concerts symphoniques, opéras en version concert et manifestations populaires de « musiques actuelles » avec la suppression des fauteuils du parterre qui permet d’accueillir le public debout, la jauge passant alors de 2400 à 3650 places - l’étonnant ici est que le modèle des Prom’s de Londres au Royal Albert Hall ou la majorité des spectateurs assiste debout aux concerts populaires de musique classique n’ait pas été retenu comme exemple plutôt que les « musiques actuelles ». « Les salles dont disposait Paris jusqu’alors génère des publics homogènes, qui vieillissent plus que ceux d’autres disciplines culturelles, remarque Laurent Bayle. Dans la mesure où rien d’autre que le concert n’est proposé, il est normal que seuls les mélomanes viennent. Le vieillissement du public [NDLR : à l’instar de celui de l’Eglise], plus important encore que celui du théâtre et de la danse - 12 ans contre 4 -, tandis que la musique contemporaine a peu porté les 25-40 ans à rester fidèles à la musique classique, alors que la danse a un meilleur taux de remplacement, et que l’éducation musicale est le parent pauvre de l’Education Nationale font que la musique classique est en perte de vitesse, et si l’on n’y prend pas garde, est condamnée à la disparition. » Bayle cite l’exemple de la mutation des musées, qui ont longtemps été en perte de vitesse, jusqu’à ce qu’ils s’ouvrent à l’international, se penchent sur la ductilité de l’offre, élargit son offre en présentant des expositions temporaires tout en maintenant l’accès aux collections permanentes, et amplifient l’offre avec cinémas, concerts, ateliers pour enfants, restaurants, etc. « Ici, dit Bayle, nous avons le musée de la Musique, la Cité, la Philharmonie, la Médiathèque, le Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse, les orchestres résidents, qui travaillent avec le Conservatoire à Rayonnement Régional d’Aubervilliers. La question du préprofessionnel est donc au centre de nos préoccupations, la pédagogie, trop longtemps axée sur le statut de soliste, s’ouvrant désormais à l’orchestre. » Pensée à l’origine pour être la salle de l’Orchestre de Paris, qui en est le principal résident, ce dernier n’est pas le seul, puisque l’ont rejoint l’ensemble baroque Les Arts florissants et l’Orchestre de Chambre de Paris, tandis que l’Ensemble Intercontemporain est le résident historique de la Cité de la Musique, qui prend désormais le nom de Philharmonie 2. « Les enfants sont aussi au cœur de nos préoccupations, insiste Bayle. En effet, ce sont de futurs adultes, donc des mélomanes en puissance qui, vivant en famille, peuvent créer du lien familial avec la musique. » A cette fin, la Philharmonie dispose d’ateliers de pratique collective, situés au rez-de-chaussée du bâtiment, ouverts à tout enfant, sans notion de solfège, à seule fin de faire découvrir et aimer les instruments, des journées de concerts pour enfants ou réunissant enfants et adultes. A cette fin, à l’instar de El Sistema au Venezuela et du London Symphony Orchestra, la Philharmonie a créé des orchestres d’enfants en Seine-Saint-Denis, Hauts-de-Seine, et Paris dans les XIIIe, XIVe, XIXe et XXe arrondissements, réunis en six ou sept groupes de quinze et rassemblés en un certain nombre d’occasions. En outre, chaque conservatoire d’arrondissement se voit proposé un module Atelier Philharmonie pour la pratique collective. Le soir, la Philharmonie propose des ateliers collectifs aux adultes, au-delà du gamelan javanais et de la percussion joués jusqu’à présent, pour se tourner vers la tradition occidentale, et aller vers des territoires peu travaillés de la musique du XXesiècle et contemporaine.

Numérotation des fauteuils

L’inauguration a bien évidemment créé l’événement, malgré le contexte tragique des journées qui ont ensanglanté Paris les jours précédents, suivis par l’espoir suscité par les quelques quatre millions de Français de toute confession qui ont manifesté leur union face au terrorisme. Il aura fallu pas moins de deux soirées pour accueillir tous les invités protocolaires, politiques de tout bord, ceux qui ont soutenu le projet et ceux qui ont tout fait pour qu’il n’aboutisse pas, ambassadeurs, directeurs d’institutions culturelles, artistes, architectes, entrepreneurs de travaux publics, directeurs de médias, journalistes… Ainsi, mercredi soir, à peine plus de deux cents places étaient accessibles à la vente, et jeudi soir un peu plus de quatre cents. Un grand absent néanmoins, Pierre Boulez, figure tutélaire de la Philharmonie, tenue éloigné des festivités pour raison de santé, à deux mois de ses 90 ans et de l’inauguration de la grande exposition rétrospective que lui consacre la Philharmonie de Paris…


C’est pourtant à un compositeur fort loin de Pierre Boulez que l’Orchestre de Paris a passé commande d’une œuvre nouvelle dans la perspective de la soirée d’ouverture de la Philharmonie. Mais, les premiers accords officiels ont été précédés par les vœux du Président de la République, arrivé très en retard, au monde de la Culture dans un lieu où on l’attendait guère, tant il est réputé peu mélomane. Ce qui ne l’empêchera pas d’assister de bout en bout au concert inaugural exclusivement de musique française. N’ayant pas été invité le premier soir, j’ai suivi cette première soirée sur Arte Live Web. Dès lors, je ne peux émettre le moindre avis sur l’acoustique de la salle, que je ne découvrirai que le lendemain. Pas une note donc de Pierre Boulez, qui a pourtant souvent dirigé l’Orchestre de Paris - il était cependant loisible de choisir l’une des Notations pour orchestre -, mais, après un clin d’œil humoristique à l’orchestre signé Edgar Varèse avec son Tuning Up qui n’est autre que l’accord d’un orchestre symphonique avant le début de sa prestation, les responsables de l’Orchestre de Paris ont préféré rendre hommage à Henri Dutilleux disparu en mai 2013 avec son nocturne pour violon et orchestre Sur le même accord avec en soliste Renaud Capuçon. Autre bizarrerie, des extraits du Requiem de Fauré le soir d’une inauguration là où il eut mieux valu un Te Deum ou un Veni Creator - pour rester dans une thématique religieuse -, à moins de vouloir enterrer un lieu mort-né… Mais cette partie a permis au public présent de mesurer le rendu des voix solistes et chorales de la nouvelle salle. Deuxième œuvre concertante, le Concerto en sol de Ravel avec une roide Hélène Grimaud moins démonstrative que de coutume mais toujours aussi peu concernée, et qui bissera le finale. Quoi de plus naturel qu’une création le soir d’une inauguration ? Cette fois, le raisonnement tenait. Et pour juger de la qualité de l’acoustique d’une salle de concerts symphonique, que rêver de mieux qu’un Concerto pour orchestre, héritier du concerto grosso qui met en avant chacun des pupitres de l’orchestre. C’est à Thierry Escaich qu’est revenu l’honneur de composer cette œuvre nouvelle. Escaich est un excellent orchestrateur, comme je l’ai déjà rappelé lors de la création de son opéra Claudeà l’Opéra de Lyon en avril 2013 (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2013/04/avec-claude-cree-lopera-de-lyon-thierry.html). Ce qui se confirme dans ce concerto en quatre mouvements enchaînés sans interruption. Mais rien de plus, dans cette partition d’une trentaine de minutes qui s’éternise et dont l’inspiration se situe en-deçà d’un Bartók, d’un Lutoslawski voire d’un Kodaly pour rester dans le même type d’œuvre. Pour conclure un concert qui allait se terminer à minuit passé, c’est sur une rutilante seconde suite d’orchestre du ballet Daphnis et Chloé de Ravel, avec le chœur de femme dans la danse générale.


C’est avec grand plaisir que je me suis rendu au second concert inaugural placé sous l’égide de l’Orchestre de Paris et dirigé par son directeur musical, Paavo Järvi. Conformément au carton d’invitation, je me suis présenté à la Philharmonie une heure et demie avant le concert. Depuis l’arrêt du tramway d'où je suis arrivé, la vision argentée de la Philharmonie était impressionnante. Sentiment amplifié par les reflets suscités par la pluie et les lumières de la nuit. Pour profiter du point de vue auquel je me suis accoutumé pendant toute la durée des travaux les soirs de concert à la Cité de la musique, je suis passé par le parc, contournant le restaurant, pour voir la Philharmonie débarrassée de sa grue et de la grande nacelle qui bouchait la perspective. Le public était un peu perdu quant à l’étage où est située l’entrée. Moi-même, une fois l’escalier roulant franchi, poussant désespérément les portes vitrées, jusqu’à ce qu’un appariteur musclé finisse par m’apercevoir et pousse l’une des portes, avant de m’inviter à passer sous un portique de sécurité digne d’un aéroport. Après avoir attendu une heure au contrôle en compagnie d’un certain nombre de confrères le billet qui m’était dévolu, ce n’est pas sans émotion que j’ai parcouru les espaces publics, couloirs, escaliers, points de vue sur Paris et sa banlieue nord, jusqu’à franchir le seuil qui conduit à la salle de concert. Vision impressionnante depuis le premier balcon, surtout avec le dégradé vertigineux entre les dernier et premier rangs, si serrés que l’on est obligé de se lever pour laisser passer ses voisins. Le programme concocté par Paavo Järvi pour cette seconde soirée était plus populaire que celui de la première, mais permettait tout autant de jauger les spécificités acoustiques de la Philharmonie. Dansespolovtsiennes de Borodine, qui ont sans délais permis de constater combien ladite acoustique est chaude et présente, la résonance naturelle, le temps de réponse rapide, toutes qualités que n’ont pas les salles nées ces dernières années, la Cité de la Musique et l’Opéra Bastille. Cette acoustique flatteuse est sans équivalent à Paris - je n’ai pas encore eu l’occasion d’assister à un concert dans le nouvel Auditorium de Radio France -, et elle ne demande qu’à être légèrement améliorée. Principalement côté cordes et des graves. Particulièrement analytique, elle permet de goûter tous les pupitres, qu’ils soient solistes ou tuttistes. Seul le violoncelle solo, dans le Concerto n° 1 pour piano de Tchaïkovski, est apparu terne, sonnant telle une boîte en carton - ce qui ne provenait pas de l’instrumentiste, dont les couleurs sont habituellement chaudes et sensuelles. En revanche, le piano tient de toute évidence avec la Philharmonie un lieu somptueux pour les récitals, tant il sonnait avec une présence et un brillant exceptionnel sous les doigts d’airain de Lang Lang, qui a gêné l’audition avec ses postures de diva illuminée par son propre talent, alors que son interprétation est restée terre à terre, suscitant de bout en bout l’ennui. Son bis mielleux sans vie et si étiré qu’il ressemblait à une pièce de musique néo-classique chinoise. La seconde partie du concert était entièrement occupée par la Symphonie fantastique de Berlioz, œuvre que l’Orchestre de Paris utilise à chacune des inaugurations de salles auxquelles il est convié. Avec cette grande page d'orchestre, il est en effet facile de juger des qualités sonores d’un lieu. Le temps de réponse laisse résonner le son qui reste suspendu dans la salle entière le temps de pénétrer le corps de l’auditeur, ce qui rend d’autant plus insupportables les applaudissements exprimés trop rapidement après le dernier accord. Percussion et cuivres sans être envahissants sont très présents, au point de laisser paraître les cordes effacées, tandis que les bois sont chauds et sonnent clair.


Tout le week-end durant, la Philharmonie a accueilli le public dans des concerts gratuits, tandis que les deux autres formations en résidence, les Arts florissants et l’Ensemble Intercontemporain ont permis d’apprécier la salle avec des ensembles baroque et de musique contemporaine. Au total, une salle bien née qui a tous les atouts pour rendre la musique « savante » pérenne. Au total, quarante cinq mille personnes se seront bousculées à la Philharmonie tout au long du week-end d'ouverture... 

Bruno Serrou

Reportage photo : (c) Bruno Serrou, janvier 2015

"Il re pastore" de Mozart de science-fiction et jeu vidéo au Théâtre du Châtelet

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Paris, Théâtre du Châtelet, jeudi 22 janvier 2015


Immédiatement après le départ en 2006 de Jean-Pierre Brossman de la direction du Théâtre du Châtelet, la programmation du premier théâtre parisien a effectué un virage à trois cent soixante degrés. Centrée à l'époque sur une production lyrique ambitieuse et des séries de concerts de rang international, la politique artistique du Châtelet s’attache depuis huit ans principalement à présenter des comédies musicales emblématiques des Etats-Unis d'Amérique. Des opéras néanmoins restent encore à l’affiche, bon an mal an. Des ouvrages rares pour la plupart, ou en création, mais montés telles des comédies musicales, de Broadway à Bollywood, ou retravaillés pour les plus connus, comme le Couronnement de Poppéede Monteverdi revu façon pop-rock sous le titre Pop’pea. Après les Féesde Wagner, Padmavâtî de Roussel, Orlando paladino de Haydn, ou les Paladins de Rameau, c’est au tour de Il re pastore (Le roi berger) de Mozart.

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Il re pastore. Soraya Mafi (Aminta) et Raquel Camarinha (Elisa). Photo : (c) Marie-Noëlle Robert / Théâtre du Châtelet

Commande du prince-archevêque Colloredo pour la visite de l’archiduc Ferdinand Franz dans son fief de Salzbourg où il est créé en avril 1775, moins de trois mois après la Finta giardiniera (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2012/06/normal-0-21-false-false-false-fr-x-none_28.html), composé en six semaines, cet operaseria qui porte le numéro de catalogue Köchel 208 appartient à la première maturité de Mozart. Peu présent sur les scènes lyriques en raison sans doute d’une dramaturgie sommaire, mais riche d’une orchestration fluide (violon, hautbois et basson doublant les voix dans les arie, entre autres), d’un souffle mélodique continuellement renouvelé, d’airs pétulants forts exigeants pour les chanteurs, cet ouvrage porte en germes les chefs-d’œuvre qui naîtront une décennie plus tard de la collaboration du compositeur autrichien avec l’abbé Lorenzo da Ponte. Il préfigure surtout l’opéra suivant de Mozart, Idomeneo, re di Creta, créé six ans plus tard à Munich, et jusqu’à la Clemenza di Tito, son ultime opéra. 

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Il re pastore. Rainer Trost (Alessandro). Photo : (c) Marie-Noëlle Robert / Théâtre du Châtelet

En effet, composée sur un livret italien de Métastase inspiré en 1751 de l’Amintadu Tasse déjà utilisé en 1765 par le Turinois Felice Giardini (1716-1796) que Mozart avait entendu à Londres tandis qu’il y séjournait avec son père, réduit à deux actes au lieu de trois à l’origine, cette œuvre est centrée sur le conflit au temps d’Alexandre le Grand entre l’amour pour une bergère (Elisa) et le devoir d’un jeune héritier (Aminta) d’un trône conquis par le tyran de Sidon qu’Alexandre vient de renverser. Choisissant l’amour, Aminta finit grâce à son abnégation par gagner les deux par la volonté d’Alexandre. Parmi les particularités de la partition, un seul rôle est confié à un homme, celui d’Agenore, ami d’Alexandre, et encore s’agit-il d’un ténor. Le héros grec revient à une soprano - mais le Châtelet a préféré faire appel à un ténor aigu -, ainsi que le rôle-titre, le berger Aminta.

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Il re pastore. Krystian Adam (Agenore), Rainer Trost (Alessandro), Soraya Mafi (Aminta). Photo : (c) Marie-Noëlle Robert / Théâtre du Châtelet

Associant esprit manga japonais, Guerre des étoiles de George Lucas et jeux vidéo, la production du Théâtre du Châtelet a tous les atouts pour séduire petits et grands fans de science-fiction plus ou moins déjantée. Co-signée Olivier Fredj, pour la direction d’acteur, et Nicolas Buffe, pour l’atmosphère (le graphisme de la scénographie) et le cadre (dessins animés, accessoires de science-fiction, costumes psychédéliques), se revendiquant baroque là où Mozart est classique, la mise en scène prend le parti d’aborder ce livret rudimentaire avec humour et extravagance, ce qui permet aux auteurs d’en présenter la pérennité. Mais à trop charger le trait, les duettistes écrasent l’essentiel de l’œuvre, la musique de Mozart. En effet, l’œil et les référents du spectateur sont tellement sollicités, que l’oreille perd considérablement en acuité.  

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Il re pastore. Raquel Camarinha (Elisa) et Soraya Mafi (Aminta). Photo : (c) Marie-Noëlle Robert / Théâtre du Châtelet

Cela dès l’ouverture, qui transporte dans un univers de dessin animé stratosphérique, un ciel constellé étant traversé par le vaisseau spatial du conquérant Alexandre qui, projeté sur un écran géant incurvé, se dirige vers la planète Sidon. Sur ce même écran sont projetés les noms et qualités de chaque personnage au fur et à mesure des entrées en scène, des lieux variés situant l’action, des véhicules électriques parcourent le plateau (trottinettes, automobiles), tandis que, au milieu d’astronautes et de créatures interstellaires dont les acrobaties perturbent l’écoute des arie, les deux personnages bucoliques, le roi pasteur et sa bergère, sont tournés en dérision, le premier étant vêtu en garagiste, métier qu’il exerce au premier acte qui se déroule dans une station-service, la seconde accoutrée d’oreilles de lapin, d’une robe rouge et de collants à poids...

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Il re pastore. Raquel Camarinha (Elisa). Photo : (c) Marie-Noëlle Robert / Théâtre du Châtelet

Mais le talon d’Achille de ce spectacle l’aspect musical. Du coup, l’on se dit que tout compte fait le côté visuel détourne opportunément l’attention de l’oreille. La distribution vocale, où les timbres des trois sopranos sont difficilement identifiables tant ils sont proches, est en effet loin d’être satisfaisante, avec un Alexandre de Rainer Trost certes solide mais dont la voix s’avère trop limitée dans les vocalises, un Tamiri (Marie-Sophie Pollak) peu concerné, un roi pasteur (Soraya Mafi) effacé qui finit heureusement par se réveiller enfin dans le célèbre rondo avec violon obligé du second acte (n° 10 de la partition) « L’amerò saròconstante ». En revanche, l’Agenore de Krystian Adam séduit par la perfection de sa ligne de chant et la plénitude de son timbre de ténor, et Raquel Camarinha est une Elisa généreuse, tant du point de vue vocal que théâtral. Dans la fosse, l’Ensemble Matheus est d’une belle homogénéité, avec un premier violon et des instruments à vent sûrs, mais la direction de Jean-Christophe Spinosi, continuellement dans l’énergie, ménage aucune respiration et ne suscite guère de variétés de climats. Mais le pire, ce sont, en lieu et place du continuo, les sons stratosphériques type jeux vidéo qui réduisent Mozart au rang de faire-valoir de quelque DJ touche-à-tout en mal d’inspiration et de notoriété. 

Bruno Serrou

"Aufgang", le concerto pour violon classico-romantique de Pascal Dusapin pour Renaud Capuçon en première audition parisienne pour l'entrée de l’Orchestre Philharmonique de Radio France à la Philharmonie

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Paris, Philharmonie I, lundi 26 janvier 2014

Myung-Whun Chung, Renaud Capuçon, Pascal Dusapin et l'Orchestre Philharmonique de Radio France. Photo : (c) Yann Ollivier

La forme concerto est décidément très prisée en ces premières journées d’exploitation de la Philharmonie de Paris. Après la création du Concerto pour orchestrede Thierry Escaich le soir de l’inauguration de la grande salle de concerts parisien le 14 janvier (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2015/01/la-philharmonie-de-paris-salle-de.html), commande conjuguée de l’Orchestre de Paris et de la Philharmonie, c’était le 26 janvier au tour de la première exécution française du Concerto pour violon et orchestre intitulé Aufgang de Pascal Dusapin pour la première prestation dans cette même salle de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, qui, aux côtés de la Philharmonie, compte parmi les nombreux commanditaires de cette partition, comme c’est désormais le cas pour chaque commande du compositeur français. En effet, créé à la Philharmonie de Cologne le 8 mars 2013 par Renaud Capuçon et le WDR Sinfonieorchester dirigé par Jukka-Pekka Saraste, Aufgang a été conjointement financé par Pierre Bergé, le Westdeutscher Rundfunk de Cologne, l’Orchestre de la Suisse romande de Genève, l’Orchestre Philharmonique de la Radio néerlandaise à Hilversum, du Festival de Hollande et de la Philharmonie de Paris…

Myun-Whun Chung et Pascal Dusapin pendant les répétition de Aufgang. Photo : (c) Jean-François Leclercq / Radio France

En cette année de ses soixante ans, Pascal Dusapin a un programme chargé. Le théâtre de la Monnaie de Bruxelles, qui lui commanda son premier opéra, Medea Material, donnera en création le 31 mars prochain son septième, Penthesilea d’après le drame de Heinrich von Kleist, la reine des Amazones qui a inspiré en 1927 le chef-d’œuvre scénique du compositeur suisse Othmar Schoeck (1886-1957), la reprise d’un autre de ses opéras, Perelà, uomo di fumo (2003) à Mayence, la création d’une pièce pour violon, In vivo, à Witten le 24 avril, de Disputatio pour chœur et orchestre à cordes à Berlin le 6 juin sur un dialogue entre un proche de Charlemagne, le poète savant et théologien anglais Alcuin (732-804) et son élève qui sera ensuite présenté à Paris et à Munich, et la reprise de plusieurs de ses œuvres en Allemagne, Corée, Finlande, Italie, Portugal, Royaume-Uni…

Pascal Dusapin. Photo : DR

Avec ce concerto de près de trente-cinq minutes qui, en près de deux ans, a déjà été donné jusqu’aux Etats-Unis après une gestation de plus de trois ans entrecoupée par la réalisation d’autres projets, Pascal Dusapin semble vouloir se tourner sans ambigüité vers l’expressivité et l’évocation tant l’œuvre gomme toute tentation de quête sonore et d’inattendu pour se focaliser sur l’émotion et l’introspection. Certes l’on est parfois surpris par un trait de flûte au timbre rauque, un violon qui se fait soudain plus volubile, renonçant à sa pureté angélique pour devenir soudain plus humain tandis que l’orchestre entre dans un immobilisme morose. Mais l’essence de l’œuvre tend quasi continuellement à l’inertie, avec ces nombreuses et longues périodes de quasi immobilité, comme marquée par le minimalisme nord-américain. Comme le suggère le titre du concerto, Aufgang (Elévation), Dusapin considère ici le violon comme une entité séraphique qui porte de temps à autre l’orchestre jusqu’à ses propres hauteurs, tandis que le soliste est à son tour entraîné dans les profondeurs de son partenaire dont l’assise des cordes est un tapis de douze altos, onze violoncelles et dix contrebasses - bois et cuivres par deux, deux percussionnistes mais pas de timbales. Le début de l’œuvre est une synthèse de la structure de la partition entière. Le violon flotte dans les hautes sphères, violoncelles et contrebasses frémissant au-dessous comme contraints, tandis que la harpe, hésitante et le geste gracile, occupe l’espace médian. Ainsi, avec ses trois mouvements séparés alternant vif-lent-vif, l’œuvre laisse percer un canevas en trois étapes, le violon « séraphique » tirant tout d’abord vers un humus mélancolique entouré d’abysses représentées par un orchestre suscitant un bras de fer titanesque entre les deux entités, avant que le soliste finisse par se libérer de cette attraction sépulcrale prégnante dans le finale pour flotter de nouveau en dernier ressort dans une apesanteur sidérale.

Photo : (c) Philippe Grison

Aufgang s’ouvre dans l’extrême aigu du violon solo, bientôt soutenu par un voile de violoncelles et de harpe. L’instrument soliste reste dans son registre le plus élevé et suave, tandis que l’orchestre s’anime finalement plus ou moins, tous les instruments étant traités de façon classique, les cordes jouées avec le seul archet. Commencé par une séduisante fusion du timbre du violon solo et des quatre cors dont le son semble émaner d’une même source avant que les violons tuttistes et soliste se rejoignent pour former un effet d’écho avec en arrière-fond de steel-drums, le mouvement central s’avère particulièrement chantant, les cordes graves, des altos jusqu’aux contrebasses - absentes dans le premier mouvement, ces dernières s’imposent dans le deuxième, à l’instar des violoncelles, omniprésents - usant parfois du pizzicato alors que le violon solo, qui s’exprime davantage qu’auparavant dans le bas du spectre, use pour la seule fois du jeu doubles cordes dans la cadence. Survient au centre du morceau une phase plus énergique qui se conclut sur un grand cri, vite apaisé, le climat revenant rapidement à l’introspection, le violon solo jouant sur la corde de sol, tandis que la flûte s’impose sur un tapis de violoncelles avant d’être rejointe par la clarinette basse et le contrebasson, tous enluminés par l’aigu d’un crotale joué à l’archet. Le finale commence sur un quatuor violon, trompette, deux trombones, bientôt enrichi du tutti à l’exception des violoncelles et des contrebasses. Tandis que le soliste mouline, ces derniers produisent leurs premiers pizzicati, avant que l’œuvre se termine sur un fortissimode l’orchestre entier, avec grosse caisse, cymbales et tam-tam.

Renaud Capuçon. Photo : DR

Peu aguerri en matière de création contemporaine, Renaud Capuçon, à qui Dusapin doit d’avoir achevé son concerto, est apparu dans son élément. Particulièrement concentré, oubliant pour une fois le public qui le pousse trop souvent à se tenir sur le plateau comme s’il était en démonstration pour focaliser son regard sur la partition et la direction de Myung-Whun Chung, le violoniste a donné le meilleur de lui-même pour servir au mieux cette partition qui ne lui donne guère de répit, malgré une écriture peu piégeuse et sans hardiesse technique ni d’écriture, et tendant au contraire au lyrisme classico-romantique. Quoi que l’on pense de l’œuvre, Capuçon a réussi la gageure de tirer de son violon (le Guarneri del Gesù qui appartint à Isaac Stern) des sonorités d’une richesse harmonique étonnante considérant le fait que Dusapin a limité l’instrument soliste de son concerto dans le registre aigu, c’est-à-dire là où le son est le moins opulent. Placé au septième rang d’orchestre, j’ai pu apprécier différemment du 15 janvier l’acoustique de la Philharmonie de Paris, d’où les cordes de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, singulièrement les basses (particulièrement fournies il est vrai), me sont apparues plus chaudes, naturelles et enveloppantes que depuis le troisième rang du premier balcon où j’étais assis le second soir de l’inauguration de la salle, tandis que les divers pupitres se sont montrés brillants.


Bruno Serrou
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