Paris. Philharmonie. Salle Boulez. Jeudi 6 octobre 2022
C’est un SacreduPrintemps de feu qu’ont proposé l’Orchestre de Paris et son flamboyant directeur musical finlandais Klaus Mäkelä, donnant toute sa signification au sous-titre de l’œuvre, Tableaux de la Russie païenne. Cette partition créée le 29 mai 1913 au Théâtre des Champs-Elysées par les Ballets Russes sous la direction de Pierre Monteux et dans une chorégraphie de Vaslav Nijinski est l’une de celles qui ouvrirent le XXe siècle musical, « un chiffon rouge, un brûlot » comme se plaisait à la qualifier Pierre Boulez, qui en avait fait l’un de ses chevaux de bataille. Au sein d’un matériau mélodique et harmonique relativement élémentaire et traditionnel, Stravinski instille dans ce ballet une vitalité rythmique inédite vraiment incroyable et jamais égalée, qui ne pouvait être obtenue sans une certaine simplification de son vocabulaire.
Klaus Mäkelä à la tête de son Orchestre de Paris d’une vélocité proprement éblouissante, a instillé une puissance tellurique et des tensions hallucinantes comparables à ce que proposait un Pierre Boulez, ou un Esa-Pekka Salonen, avec un sens de la narration, une théâtralité haletante qu’il distille à satiété, sûr de son orchestre qui scintille de tous ses feux avec le confort d’une Rolls Royce dopée aux amphétamines. Timbres fauves, rythmique incantatoire, vecteurs spécifiques du langage du Stravinski dans Le Sacre du printemps, juxtaposition des lignes… Mäkelä et sa phalange symphonique parisienne ont donné tout ce qui fait du Sacre une œuvre stupéfiante, d’une force, d’une vitalité rythmique phénoménale, mettant également en exergue les nombreux passages d’inspiration populaire. Dans cette fête des sons et des rythmes, il faudrait citer la totalité des noms des quatre vingt quinze musiciens de l’Orchestre de Paris dans leur traitement global plus ou moins solistes, surtout dans les rangs des bois, des cuivres et de la percussion, ainsi que les têtes de pupitres du quintette des cordes, particulièrement les altos.
Le programme s’ouvrait sur la création française de Vista, grande partition d’orchestre de près d’une demie heure de Kaija Saariaho, partition en deux mouvements au titre inspiré par des panneaux routiers étatsuniens indiquant des points de vue touristiques de Californie, composé en 2019 à la suite d’une commande groupées des Orchestre Philharmoniques de Berlin, Oslo, Los Angeles et Helsinski, cette dernière formation en ayant donné la première mondiale en mai 2021. Le premier mouvement, Horizons, s’ouvre sur un superbe appel de deux hautbois, l’un s’exprimant sur une hauteur fixe, l’autre jouant un thème volubile, formules qui se propagent aux flûtes puis aux cordes, et dans tout l’orchestre, et se transformant peu à peu jusqu’à engendrer une longue section aux élans lyriques annonciateurs de l’opéra Innocence créé l’été 2021 au Festival d’Aix-en-Provence. La seconde partie, Targets, plus tendu et dramatique, se déploie avec une énergie sausissante, développant le matériau musical exposé dans le mouvement initial, avant de s’effacer et s’éteindre sur les traits de hautbois qui ont préludé à l’œuvre entière. Vista a été remarquablement servi par un Orchestre de Paris galvanisé par la direction au cordeau de Klaus Mäkelä.
Pour sa première prestation parisienne avec orchestre, la jeune nippo-allemande Alice Sara Ott, née à Munich en 1988, s’est immédiatement imposée dans le Concertopourpianoetorchestreensolmajeur de Maurice Ravel. Cette partition célébrissime, qui associe le jazz et Mozart, a été remarquablement servie par son interprète, dont la main gauche est tout simplement féerique, à la fois solide, souple, légère, expressive, inaltérable dans le mouvement lent dont la rythmique et le tempo sont restés pérennes du début à la fin, soutenant une main droite volubile, aérienne, planant au-dessus du clavier dont elle tire néanmoins des sonorités lumineuses et sensuelles. Au terme de ces vingt minutes qui se sont écoulées tel un rêve dans un dialogue avec un Orchestre de Paris aux sonorités éclatantes et voluptueuses, particulièrement le cor anglais et la harpe, mais aussi flûte, clarinette, basson et cordes. En bis, et après quelques mots destinés au public, Alice Sara Ott a donné une troisième Gymnopédie d’Erik Satie d’une grande délicatesse.
Bruno Serrou