Grèce. Athènes. Agora romaine. « Toute la Grèce est une culture ». Samedi 18 juillet 2020
Erigée en modèle dans sa lutte contre la Covid-19, la Grèce reste vigilante cet été face à une reprise possible de la pandémie, contingentant ses rendez-vous culturels et touristiques
Athènes, sans ses millions de touristes qui s’épandent chaque année sur ses nombreux sites archéologiques et dans ses rues colorées, est étonnamment calme cet été 2020. Il est pourtant simple d’y entrer, tant les formalités sont réduites, seuls étant demandé de répondre à un questionnaire de santé sur l’honneur et de communiquer un lieu de résidence.
« La covid-19 nous a contraint à annuler la moitié de la saison, regrette Giorgos Koumendakis, directeur général de l’Opéra National de Grèce. Nous avons perdu beaucoup de recettes de billetterie, mais nous avons réussi à maintenir le théâtre vivant pour garder tout notre personnel. Tout le monde a été payé normalement, il n’y a pas eu de licenciements, tous les contrats ont été honorés. Jusqu’à maintenant nous avons réussi à assurer notre personnel de leurs revenus, et nous espérons que nous n’aurons pas une seconde vague, parce que dans ce cas cela sera très difficile, il nous faudra voir comment nous survivrons. Mais pour l’instant, si tout va bien nous pensons que ce sera bien pour l’année prochaine, même si nous sommes obligés de diminuer les jauges pour la distanciation sociale. »
Festival d’Athènes et « Toute la Grèce et sa culture »
L’un des plus anciens festivals d’Europe, celui d’Athènes créé en 1955, a considérablement réduit son offre, se concentrant sur deux lieux emblématiques, les Théâtres de l’Odéon d’Hérode Atticus sur le flanc sud de l’Acropole, et d’Epidaure, pour quatorze spectacles de musique et de théâtre de productions grecques, au lieu des soixante-dix initialement prévus de provenance grecque et internationale, mille quatre cents artistes en provenance de quatorze pays étant invités à l’origine. Traditionnellement, c’est l’Opéra National de Grèce qui ouvre et clôt la manifestation entre début-juin et mi-août, ce qui n’est pas le cas cette année, l’unique institution lyrique hellénique ne donnant que deux soirées de gala (1)
Mais c’est dans l’Agora romaine que l’Orchestre de l’Opéra s’est produit en plein air le 18 juillet devant un parterre d’invités infirmiers, médecins, chercheurs, en présence de la Présidente grecque Ekaterini Sakellaropoulou et de son premier ministre Kyriakos Mitsotakis pour un hommage aux personnels soignants en première ligne face au covid-19. Ce n’est donc pas dans le cadre du Festival d’Athènes que ce concert a été donné, mais sous l’intitulé « Toute la Grèce est une culture », qui associe jusqu’à mi-septembre répertoires classiques et création contemporaine. Ce concert a été l’occasion de la première prestation publique de l’Opéra depuis le 5 mars, avec pour Gueststar la mezzo-soprano géorgienne Anita Rachvelishvili, qui devait faire en mai dernier à l’Opéra National de Grèce sa prise de rôle dans Charlotte de Wertherde Jules Massenet.
« Le confinement m’a touchée à Berlin un soir de mars avant l’antépénultième représentation de la nouvelle production de Carmen avec Daniel Barenboïm, se souvient la cantatrice qui a renoncé à son cachet à Athènes. Cette représentation a été retransmise dans le monde entier sans public, sensation curieuse avec le silence pour tout écho. Beaucoup de choses passionnantes auxquelles je tenais particulièrement été annulées. Mais j’ai profité de ma famille, du calme et de mon jardin. Les prochains mois vont être difficiles, bien que l’activité reprenne juillet peu à peu en Europe. C’est la première fois que je rechante en public ce 18 juillet, et je me sens particulièrement en forme. »
Récital Anita Rachvelishvili
De fait, Anita Rachvelishvili a enthousiasmé un public, qui la connaît déjà pour l’avoir apprécié dans Carmen en 2018 et qui l’attendait en Charlotte de Werther et qui a du coup accueilli sa prestation avec un enthousiasme libérateur, à l’instar de ce qu’a connu l’Orchestre de Paris le 6 juillet pour son retour à la Philharmonie de Paris. Enchaînant airs moins connus et célébrissimes, mais toujours dans le répertoire belcantiste des XIXeet XXe siècles (airs d’Eboli de Don Carlo de Verdi, de Sapho de l’opéra éponyme de Gounod, de Dalila de Samson et Dalila de Saint-Saëns, et de la Princesse de Bouillon d’Adriana Lecouvreur de Cilea) ponctués d’intermèdes orchestraux extraits de Médée de Cherubini, Adriana Lecouvreur de Cilea, Le Prophète de Meyerbeer, Samson et Dalila de Saint-Saëns et Luisa Millerde Verdi. Le tout dirigé avec allant par le chef athénien Lukas Karytinos, directeur musical de l’Opéra National de Grèce de 1985 à 2020, à qui l’orchestre dont il a été le patron pendant trente-cinq ans a répondu à la moindre de ses sollicitations avec une dextérité sans faille s’illustrant par sa souplesse et une sereine homogénéité.
La voix de la mezzo-soprano géorgienne a enthousiasmé par son grain sombre velours, son art de la nuance, le velours de son timbre, musicalité accomplie, sa maîtrise de l’italien et du français - « deux langues que tout oppose, confirme-t-elle, l’une naturellement chantante, l’autre assurément la plus difficile à maîtriser entre toutes, particulièrement pour ce qui concerne l’articulation, surtout quand il s’agit de chanter devant un public français, qui ne pardonne pas » -, ajoutant en fin de programme les trois airs les plus fameux de Carmen de Bizet. Seule restriction, ses effets excessifs de poitrine dans sa quête du registre grave que compense une vocalité flexible.
L’Opéra national de Grèce
Première institution culturelle de Grèce, subventionnée par l’Etat pour 12,5 millions d’euros (sans comparaison avec l’Opéra de Paris, qui reçoit du gouvernement français 100 millions d’euros), soutenue par la Fondation Stavros Niarchos à hauteur de 5 millions d’euros (4 millions de recettes propres, 2 millions de sponsors, deux postes mis à mal par le coronavirus), l’Opéra National de Grèce est installé dans un vaste centre culturel du sud d'Athènes, à Kallithéa, conçu par l’architecte du Centre Pompidou à Paris, l’Italien Renzo Piano, qui héberge également la Bibliothèque Nationale. Dès son ouverture en 2017, les Athéniens se le sont immédiatement approprié pour y déambuler en famille et y admirer depuis les terrasses la vue sur le golfe Saronique d’un côté et sur Athènes et l’Acropole de l’autre.
Avec le soutien de la Fondation Stavros Niarchos, l’Opéra peut ainsi proposer une programmation dense et audacieuse et faire appel aux grands noms de l’art lyrique, chanteurs, chefs d’orchestre, metteurs en scène. En trois ans et demi, son directeur général, le compositeur Giorgos Koumentakis, ex-pensionnaire de la Villa Médicis, l’unique institution lyrique grecque a tissé des liens avec plusieurs institutions, dont l’Opéra Comique à Paris, le Covent Garden de Londres, La Monnaie de Bruxelles, les Opéras de Copenhague, de Göteborg, d’Helsinki, les Festivals d’Aix-en-Provence, de Baden-Baden et de Pesaro.
« Avec la grande salle à l’italienne de mille quatre cents places et la salle modulable de trois cent cinquante places dite salle alternative (ndr : ce dont rêvait Pierre Boulez pour l’Opéra Bastille en 1989) nous pouvons donner trois cents représentations par an, de la musique ancienne à la création contemporaine, à raison de seize productions dont neuf nouvelles dans la grande salle, et vingt-cinq dans la salle alternative, la plupart de ces derniers étant des créations, se félicite Koumentakis. Les Grecs, qui sont très ouverts, s’intéressent particulièrement à la création, même si ce n’est pas le grand public, contrairement à la grande salle, qui attire un auditoire plus populaire, même si nous y donnons beaucoup d’œuvres du XXe siècle. » L’Opéra de Grèce, qui accueille plus de trois cents mille spectateurs par an, compte six cent cinquante salariés, dont un orchestre de cent musiciens, un chœur et un ballet de soixante membres chacun, quarante élèves de l’école de danse, cent enfants de la maîtrise, une troupe de seize jeunes chanteurs, des ateliers de décors et de costumes, des équipes pédagogiques, vidéo, Internet...
La programmation de l’Opéra couvre tout le répertoire, du baroque au contemporain. « En fait nous construisons un vrai répertoire, confie Koumentakis. Dès le début de mon contrat, j’ai voulu combler les vides de ce que l’on ne pouvait pas faire dans l’ancienne salle où Maria Callas fit ses débuts à l’âge de 18 ans en 1941 dans Toscade Puccini, qui ne comptait que sep-cents places et une scène plus petite que la nouvelle salle alternative. Le répertoire était donc très limité, et il nous fallait faire prendre conscience au public grec que l’opéra ne se limite pas aux vingt titres qui leur sont familiers, que l’opéra s’est identifié à l’histoire artistique et culturelle de l’Europe. Il était nécessaire d’ouvrir le répertoire dans toute son envergure, jusqu’au XXe siècle. Mozart, Rossini, Bellini, Donizetti, qui étaient à l’échelle de l’ancienne salle, ainsi que les Verdi et Puccini que l’on pouvait faire dans le grand théâtre romain de l’Odéon d’Hérode Atticus et dans le Megaron Concert Hall. »
«Pour que l’opéra soit un art vivant, poursuit Giorgos Koumendakis; nous passons beaucoup de commandes parce qu’il est indispensable de créer un nouveau répertoire. Nous développons aussi une collaboration avec des metteurs en scène pour des nouvelles productions et nous mettons en place une politique de coproductions à l’international de plus en plus poussée. Ainsi, nous avons douze coproductions d’ici à 2023, avec l’Opéra de Barcelone, le Théâtre de La Monnaie de Bruxelles, la Salle Favart à Paris, le Festival d’Aix-en-Provence, l’Opéra de Munich, l’Opéra de Paris (projet Callas), le Festival Pesaro, l’Opéra du Danemark (Don Giovanni), l’Opéra d’Helsinki… Ce qui est bien pour le rayonnement d’Athènes. »
La programmation intègre également les grandes célébrations grecques. « Cette année, nous célébrons les quatre-vingts ans de la fondation de l’Opéra National de Grèce, et l’année prochaine ce sera le bicentenaire de l’indépendance de la Grèce, énonce Koumentakis. La plupart des trente-cinq productions présentées seront inédites, au nombre de trente-cinq productions inédites entre les deux scènes, avec de nombreuses commandes qui plongeront dans l’émergence des consciences nationales aux XIXeet XXe siècles dans la lignée de la Révolution française de 1789, occasion d’évoquer toute l’histoire de l’Europe des deux derniers siècles, du XIXeau XXIe, pour aborder toutes les libérations nationales et la montée de l’esprit des nationalités, l’Italie, les Etats-Unis, la Tchéquie, la Belgique, etc. Le fil conducteur est l’histoire de la prise de la conscience nationale. Nous avons aussi commandé à un compositeur turc, à qui nous avons demandé de se plonger dans l’indépendance de la Grèce du point de vue de son ex-occupant. Une telle densité de programmation est une question d’organisation, parce que la même chose en France, par exemple, coûterait beaucoup plus cher. »
Bruno Serrou
1) Galas les 26 et 28 juillet 2020 retransmis sur le site de l’Opéra, Festival d’Athènes, Facebook, Twitter. Tel. : +30 210 3272000.nationalopera.gr/en ; greekfestival.gr