Bruxelles (Belgique). Théâtre de La Monnaie de Bruxelles. Samedi 14 décembre 2019
Jacques Offenbach (1819-1880) Les Contes d'Hoffmann. Photo : (c) Bernd Uhlig
Après le relatif dénuement de son Don Carlo de Verdi repris à l’Opéra-Bastille voilà peu, Krzysztof Warlikowski présente à La Monnaie de Bruxelles des Contes d’Hoffmann imposants voire surchargés.
Jacques Offenbach (1819-1880) Les Contes d'Hoffmann. Photo : (c) Bernd Uhlig
Au sein d’une scénographie faite de meubles années cinquante et de dorures de théâtre, les hommes se retrouvent sous l’empire de l’alcool entourés de femmes mues par le plaisir. A l’arrière-plan, les immuables vidéos plus ou moins tournées en direct sont projetées sur des écrans venus des cintres.
Krzysztof Warlikowski assemble ici tout ce qui lui est cher, jouant de l’exubérance et conviant le cinéma Hollywoodien, de Cukor à Lynch, de Kubrick à Sorrentino, pour évoquer les amours passées douloureuses de l’homme torturé qu’est le poète Hoffmann que seul l’alcool console tandis qu’il mesure combien les trois femmes qu’il a le plus aimées n’en forment qu’une.
Jacques Offenbach (1819-1880) Les Contes d'Hoffmann. Photo : (c) Bernd Uhlig
Pour sa cinquième production à La Monnaie, après Macbethde Verdi en 2010), Médée de Cherubini et Lulu de Berg en 2012 et DonGiovannide Mozart en 2014, Warlikowski semble avoir voulu réunir ici toutes ses obsessions, outre les vidéos et les références au cinéma, le théâtre dans le théâtre, la mise en abime du public avec le chœur assis en miroir sur les mêmes fauteuils d’orchestre, le studio d’enregistrement qui apparaît depuis les cintres pour capter une bande-son gravant pour l’éternité la trajectoire de leur idole Hoffmann, les visages projetés en gros plans par une caméra indiscrète, le bar mondain enfumé, le tout renvoyant au film de George Cukor A Star is born. A l’instar de sa remarquable Lulu, Warlikowski conte ici une histoire d’ascensions et de chutes, avec ce héros perdu, ce chanteur alcoolique qui essaie de vivre son rêve à travers la poupée Olympia qui s’exprime tel un automate, la cantatrice Antonia que le star system voue à la mort, et l’actrice porno Giulietta qui renvoie aux stars fanées qu’Hollywood a tant produit. Les références sont si nombreuses qu’elles en deviennent un catalogue déjà vu.
Jacques Offenbach (1819-1880) Les Contes d'Hoffmann. Photo : (c) Bernd Uhlig
Alain Altinoglu dirige avec une délectation non feinte et un engagement communicatif une partition dont il souligne la moindre inflexion avec le soutien d’un orchestre chatoyant dont les musiciens s’illustrent jusqu’au plus petit solo. Brillant coloriste, le chef français offre à son orchestre des reliefs quasi cinématographiques, et, à l’instar de Warlikowski, il ménage à la perfection les espaces pour tragédie et la comédie, la gravité et le comique, se situant ainsi entre le drame lyrique et l’opéra bouffe.
Jacques Offenbach (1819-1880) Les Contes d'Hoffmann. Photo : (c) Bernd Uhlig
Excellent directeur d’acteur, Krzysztof Warlikowski transmet à sa troupe de chanteurs la passion de jouer, tandis qu’Alain Altinoglu la soutient et la sollicite avec une attention de chaque instant. Un coup dse chapeau pour commencer, la dextérité avec laquelle certains protagonistes jonglent avec des balles et autres accessoires. Il faut dire que la distribution est d’une totale homogénéité. Même si Willard White n’a plus la solidité et la rectitude vocale d’antan, il n’en est pas moins un Luther et un père d’Antonia d’une grande noblesse. Cinéaste hollywoodien, amoureux des femmes, alcoolique, suicidaire, l’Hoffmann d’Eric Cutler impressionne autant sur le plan théâtral que vocal, chantant avec naturel, colorant sa voix de ténor tel un bel-cantiste.
Jacques Offenbach (1819-1880) Les Contes d'Hoffmann. Photo : (c) Bernd Uhlig
Conformément à la volonté de Jacques Offenbach, le metteur en scène polonais confie plusieurs rôles à un même chanteur afin de démontrer la diversité d’un même personnage. A ce jeu, Patricia Petibon s’impose par son agilité à passer de la poupée désarticulée (chantant à la limite de la justesse avec une constance déconcertante), à la Giulietta courtisane en passant par la chanteuse maudite Antonia, incarnant avec une facilité déconcertante toutes les facettes de la femme, infantile, passionnée, mûrissante et meurtrie, de sa voix droite, spontanée, polychrome, charnelle.
Jacques Offenbach (1819-1880), LesContes d'Hoffmann. Photo : (c) Bernd Uhlig
Michèle Losier se fait remarquer par son aisance et sa plastique vocale, suave et profonde, dans les rôles de Niklausse et de la Muse. Les quatre figures diaboliques (Lindorf, Coppelius, Miracle, Dopertutto) sont remarquablement incarnées par Gábor Bretz, basse ample et sûre. Loïc Félix, voix lyrique et lumineuse, sert admirablement les personnages de Frantz, Andrès, Cochenille, Pitichinaccio, et François Piolino est un lugubre Spalanzani/Nathanaël.
Bruno Serrou
Jusqu’au 2/01/2020. Res. : +32 2 229 12 00. https://www.lamonnaie.be/fr